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Voyager avec maman à son bras..
Publié le 12 mars 2016 par Vanessa-May DeschampsJe vais toujours me souvenir de ce moment. C'était un moment intensément puissant, comme ceux qu'on ressent seulement quelques fois dans sa vie. Je crois que chaque voyageur voyage dans le but de vivre ce genre de feeling, un feeling qui s'explique difficilement, mais qui te rentre dedans à cent mille à l'heure, qui vient tout secouer en dedans, qui te fait brasser toutes sortes d'émotions. Si ce fut un instant si particulier c'est probablement parce qu'une foule de sentiments m'habitaient en même temps et se mélangeaient si fortement au présent, à ma vision du moment, au paysage renversant qui était là devant mes yeux.
C'était sur la route nous menant au phare du Cap de Formentor, nous nous sommes arrêtés à une des haltes routières où la vue était spectaculaire : Mirador de Sa Creueta. Et comme toutes les autres fois, Daniel a pris les devants avec les enfants, ma mère et moi sommes restées dernières et avons avancé doucement, un pas à la fois. J'avais maman à mon bras...
Des yeux, ça va de soi, nous en avons tous deux. On n'y pense pas vraiment, on nait avec, ils nous appartiennent et nous permettent de voir la vie. Les siens sont verts, comme les miens, comme ceux de Lili... Ça me fait sourire.
« Vous savez les enfants, il faut faire attention avec mamie et y aller doucement, ses yeux sont brisés... » C'est la façon que j'ai trouvée pour simplifier la maladie de ma maman auprès de Lili et d'Elliot qui ne comprenait pas trop pourquoi mamie ne voyait pas très bien, les cherchait souvent alors qu'ils étaient pourtant à ses côtés. Pourquoi elle avait 283749824 bleus sur les jambes à force de se cogner et tombait quelques fois à défaut d'avoir pu éviter un obstacle... Et bien, croyez-moi, ma maman a les yeux brisés les plus courageux que je connaisse. Si je me permet d'en parler ici, c'est parce que je sais qu'elle a accepté sa maladie depuis longtemps et qu'elle en parle ouvertement.
On est quand même habitué de voyager doucement à cause des petits. Ou à l'extrême, on va trop vite à cause que Lili et Elliot ne tiennent pas en place et veulent tout toucher ou escalader (OUF!). Je me disais qu'avec maman ça serait pas mal pareil. Mais non, ce ne l'était pas du tout. Il a fallu y aller encore plus tranquillement, choisir les bons chemins, s'arrêter vraiment pour lui montrer les choses, être patient, s'adapter... Et vous savez quoi! C'était FABULEUX! J'ai l'impression que nous avons encore plus savouré le moment et nous avons admiré les paysages encore plus profondément. C'était différent de tous les autres voyages et pour cette raison c'était unique et merveilleux.
Le paysage était époustouflant. Je dis souvent ça, je le sais (on en a vu en maudit des belles places!), mais cette fois c'était particulier. Devant la mer à l'infini et ces rochers tellement imposants, maman à mon bras, j'ai vraiment été touchée.
Depuis toujours ma mère ne voit pas bien. Elle n'a jamais vu parfaitement. Et une triste réalité de sa maladie c'est qu'elle est dégénérative, son champ de vision diminue avec le temps. Je me souviens lorsque j'étais encore toute jeune et que je commençais juste à comprendre cette maladie qui donnait de la misère aux yeux de ma mère et qui un jour allait lui prendre sa vision. Je me suis demandé si elle allait encore bien voir quand j'allais devenir une femme, quand j'allais avoir des enfants. Ça me préoccupait tellement. Le temps a passé, les années aussi et elle a vu tout ça. J'en suis tellement reconnaissante. Lorsqu'on se revoit après une longue séparation, j'ai peur, j'angoisse un peu de voir comment cette maudite maladie aura pris de l'ampleur. Chaque fois c'est pareil, je trouve dont bien que sa vision a encore changé... Mais l'important c'est qu'elle voit, tout simplement.
Alors voilà, c'est surement pour un peu toute cette grosse histoire que ce moment a été si spécial pour moi. J'ai réalisé ce qui en était vraiment... Ma maman était à mon bras, en Espagne au bout du monde, les yeux débordants d'images plus belles les unes que les autres... Elle pouvait voir. C'est tout. C'est ça... C'est tout ce qui compte. C'est de cette chance immense qui fallait être conscient.
En attendant, ses beaux yeux verts continuent de faire du chemin, d'emmagasiner toute la beauté et la lumière qu'ils peuvent capturer, merci la vie.