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Primum Non Nocere

Publié le 08 juin 2008 par Docrica

Quand on est pas d'accord entre toubibs...
Isa a 49 ans, et elle a une particularité. Elle est handicapée.


Atteinte de séquelles suite à un problème neurologique (une encéphalite néonatale), elle est dans un fauteuil roulant depuis sa naissance.

Enfant, mon père la soignait. Elle me faisait peur. Je n'osais pas la regarder, je ne voulais pas lui parler, pas même la croiser. Pourquoi ? Aucune idée.

Quand je me suis installé, 20 ans plus tard, elle fut une de mes premières patientes.

Elle vivait, dans un studio aménagé, avec son compagnon. Un studio aménagé...mais avec un escalier dans lequel elle est tombée, aggravant encore plus les séquelles neurologiques.

Une vie difficile, chez une femme qui a une intelligence et un recul, lui permettant de sortir du mode plaintif et dépressif dans lequel il est facile de tomber dans ce contexte.

Des gestes comme se peigner, se laver le dos, se brosser les dents, ou tout simplement se frotter les fesses sont au mieux, des efforts conséquents, au pire, des impossibilités.

Abandonné par son compagnon suite à la longue hospitalisation lors de sa chute dans l'escalier, elle fut contrainte de se rapprocher de ses vieux parents, pour le moins bien engagés dans la " descente aux enfers " de la vieillerie.

C'est dans ce contexte que je la suis, cherchant à récupérer au niveau des fonctions (se retourner, se relever, se transférer d'une chaise au lit, d'une chaise aux wc), cherchant à depister des " complications ", des " ennuis " qui sont plus fréquents chez les patients sur fauteuil roulant, que chez les autres.

Au cours d'un bilan , elle passe des examens faisant le point sur ses capacités, en urologie (car les problèmes de vessie et de continence sont des problèmes fréquents), et en neurologie (verifiant si les modifications sur sa colonne cervicale induites par l'accident de l'escalier ne s'aggravaient pas).

Elle est revenue de cette courte hospitalisation...en pleurs, et extrêmement stressée. Elle me téléphone, " Ils m'ont dit que nous avions déconné. Je frise l'insuffisance rénale, il faut qu'on m'opère et qu'on m'abouche la vessie à la peau ".
La réception du courrier m'expliquant les résultats du bilan urodynamique me fit froid dans le dos... je me suis fait avoir... méchamment avoir, et je m'en prends, entre les lignes, plein les dents.

Je surveillais la fonction du rein, et l'apparition d'infections urinaires. Dès qu'elle avait un symptôme, on faisait une analyse d'urine suivie quelques temps plus tard d'une analyse sanguine pour contrôler la " clairance de la créatinine ", cette clairance représentant le niveau de fonctionnement du rein. Plus la clairance est haute, et plus le rein fonctionne.
La créatinine étant un composant des muscles, et les muscles étant souvent anormaux chez les handicapés en fauteuil roulant, c'est à ce niveau que je me suis fait avoir. Les calculs, que j'effectuais, étaient faux. Là ou je croyais qu'elle fonctionnait à 100%, le bilan retrouvait un fonctionnement à 40%.

Terreur sur le visage d'Isa, " me faire opérer et avoir ce tuyau qui sort du ventre? Vous imaginez? Je suis déjà limité, je vais avoir besoin de quelqu'un en permanence ! ". Terreur, car le peu de liberté qui lui restait (aller à la bibliothèque, aller donner des cours d'anglais), allait lui être enlevé par cette intervention.

Je suis furieux contre moi de m'être fait avoir par ce problème de fauteuil roulant, bien évidemment, nous en avons ouvertement parlé tout de suite avec Isa, lui indiquant mon erreur, et les conséquences.

Mais si effectivement sur ce bilan, les chiffres annoncés ne sont pas bons, elle, elle ne se porte pas plus mal, elle continue même a s'améliorer sur les gestes de tous les jours, grâce aux séances d'une équipe de kiné, qui vient la rééduquer à la maison.

L'intervention était prévue pour 3 mois après, et les semaines qui suivirent furent pleines de stress. De multiples consultations et visites, où on réfléchissait ensemble, et moi, penaud, de lui faire comprendre que j'étais désolé de cette grossière erreur de calcul. Me rappelant sans cesse, le " Primum Non Nocere ", (" d'abord, ne pas nuire "), précepte censé être inculqué à tout médecin.

C'est ce même " primum non nocere " qui me fit me demander pourquoi on allait potentiellement clouer cette bonne femme, alors qu'elle, dans son handicap, ne se trouve pas plus mal, voire mieux !

Si bien, que je lui parlais de prendre un avis, non pas d'urologue, mais d' un néphrologue, un spécialiste du rein. Il nous faut un avis "juste", quelqu'un qui nous confirme la nécessité de réaliser cette intervention.

Je l'appelle, et je lui décris le problème ci dessus:

Lui: " Je comprends. Il faut que je la vois, si aucun néphrologue ne l'a vu, et méfions nous, il est deja arrivé que certaines de ces interventions ne soient pas, au niveau du bénéfice-risque, du bon côté de la balance " Lui: " Refaites-lui faire une échographie de la vessie et du rein, et une clairance de la créatinine mesurée, et je la vois dans 3 jours "

La clairance de la créatinine mesurée, celle qui permet de ne pas se planter (quand elle est bien faite) consiste à faire garder au patient ses urines pendant 24 heures, d'y mesurer le taux de créatinine et de comparer avec ce qu'on trouve dans le sang.

Je vais de suite lui en parler, elle est d'accord. Nous plaisantons sur le fait que pour éviter de lui prescrire un tonneau et une brouette pour le recueil des urines, on allait mettre une sonde urinaire en place pendant 24 heures, ce qui permettrait d'être le plus précis possible.
Je reçus un mail du néphrologue le jour même de la consultation.

D'abord, la vessie n'est pas du tout " alarmiste " comme ce qui est décrit dans le bilan urodynamique. Elle n'est pas assez gonflée (ce qu'on appelle le résidu post-mictionnel) pour abîmer le rein.
Et ensuite, cette fameuse clairance de la créatinine, est à 65, c'est à dire... dans la zone normale. Certes la zone normale basse... mais normale quand même. Avec mon calcul, j'arrivais à 105, et le bilan urodynamique indiquait 45.
Au total, qu'il n'y avait pas lieu d'intervenir.

Nous sommes maintenant 2 an après cet épisode, et elle vient à nouveau de revoir le néphrologue, avec une clairance de la créatinine, et une échographie.
Son rein fonctionne très bien, la clairance est à 90. Les urologues l'ont revue aussi. Pas de commentaires de leur part.

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