Lille, ma ville, à l’image de Paris, a connu sa première nuit debout,
place de la République, ce samedi 9 avril 2016.
Sur le modèle parisien, les participants de ce mouvement spontané,
proche de l’esprit des indignés et empreints de l’âme de Stéphane Hessel, se
réapproprient l’espace public, réinventent l’agora grecque.
Sur place la ruche bourdonne. Des tonnelles sont dressées et font
office de dortoirs, de centre de secours, de cantine… Des lits de fortune (pour
gens d’infortune) s’alignent en ballots de paille, comme un clin d’œil aux miséreux, régulièrement sur la paille, et qui s’avouent que "c’est ballot".
Les apôtres de la décroissance, les déçus du socialisme à la sauce
hollandaise, les « qui veulent avoir leur propre mai 68 » se
rassemblent, spontanément.
On fustige le projet de loi El Khomri, annonciateur de déréglementation
du code du travail, exécuteur de flexibilité au service du patron et d’insécurité
vis-à-vis du salarié kleenex.
On refait le monde. On raille le Ministre Macron qui vient de lancer
son propre mouvement «En marche ».
On glose sur ses intentions. Le jeune prétentieux issu du monde bancaire se dit
de gauche mais l’annonce de son mouvement a fait sauter de joie Pierre Gattaz,
le patron des patrons, qui a trouvé le concept « rafraîchissant » !
On s’attaque aux bourgeois, à la mondialisation, aux donneurs de leçon
qui se font prendre la main dans le pot de confiture panaméenne ! Une
ruche, je vous dis ! Mais pas encore de reine !
Le miel abonde ! Il se joue de l’état d’urgence, s’émancipe des
codes de l’urbanité et regarde vers des lendemains encore flous mais qu’on veut
débordant d’humanité.
Une nuit est « en marche ».
Pas sûr que Macron puisse dormir sur ses deux oreilles.
Et tandis que Macron nous abjure d’être en marche
Pour contrer son patron d’indolente démarche
Ils se lèvent, debout, dans l’éclat de la nuit
En rêvant du grand soir par l’espoir qui reluit
Pendant qu’Emmanuel de sa voix de banquier
Pousse la ritournelle de l’argent libéré
Ils sont la sous la pluie, sur les ballots de paille
Place de la République, hors des feux du travail
Le Prince de Bercy veut libérer les flots
L’énergie novatrice échappée des enclos
Mais ne voit liberté qu’en ses appâts vénaux
Eux la rêvent habillée de généreux signaux
L’ambitieux que la gauche n’a que très peu nourri
Rêve, tout en couleur, de jeunesses fleuries
Au printemps des Start up, de l'entrepreneuriat
Eux, caressent la nuit de dociles mantras
L’homme décomplexé de sa rose droitière
Veut glaner des patrons de branches ouvrières
Imaginant un monde d’opulence épanoui
Eux tournoient, folle ronde ouverte aux utopies
En dehors des partis, c’est du moins ce qu’il clame
Mais l’esprit envahi de pécuniaires flammes
Le marquis cravaté prône les bénéfices
Aux essences privées ; ils y voient maléfice !
La dérégulation coule encore en ses veines
Quand il ose avouer sans empreintes de gêne
Son amour de la rose, dans les pas de Jaurès
Eux finissent de croire, au bout
de la détresse.
Et la nuit les blottit dans ses bras de velours
Qu’importe les rivières de ces nuages lourds
Ils sont là, rassemblés, cœurs vaillants, solidaires
Loin de l’état d’urgence et des peurs militaires.
Et la nuit les ravit de sa noire plénitude
La parole échangée brise les solitudes
Un combat qui s’ébauche, indécises esquisses
On recherche un ressort, en voix fédératrices.
Une nuit tient debout, en marche est le Nocturne
Sous les doigts de Chopin, sous
l’anneau de Saturne
Loin des lunes d’argent du Seigneur de la Bourse
Dans la pensée d'Hessel, au cœur de la grande Ourse...