Hélas?
C’est un lieu étrange et méconnu. Un de ces petits bonheurs inconcevables en centre -ville, une voie déserte de plus d’un kilomètre qui le traverse de part en part. Elle suit le cours d’une rivière désormais souterraine qui a donné son nom au quartier : le Hédas, quartier réputé être historiquement les bas-fonds de Pau.
Ce lieu, je le fais volontiers visiter en commençant par sa partie la plus connue, l’allée Emir Abd el-Kader qui débute au pied des remparts, se poursuit entre le centre aéré et le magnifique jardin « sauvage » élaboré par les enfants et débouche sur la place du Hédas, son parking, ses bars et restaurants, son petit fronton devant la tour de Bór, siège du café associatif de Libertàt.
J’adorais y lire et photographier la poésie éphémère qui s’exprimait sur les murs, dans les allées et escaliers dérobés conduisant au centre-ville d’en haut mais la nouvelle municipalité a mené une politique anti-tags dissuasive et condamné les poètes urbains illégitimes au silence.
Au fond de la place, on découvre par hasard que le chemin continue et débute la partie la plus inouïe, mystérieuse, glauque diront certains. On emprunte une rue étroite goudronnée dont les virages en angle droit vous empêchent d’imaginer l’issue. Un parc broussailleux en friche, un immeuble délabré, des passages sous des ponts, une salle de gym, des lieux inhabités, une résidence avec quelques voitures… se succèdent. On n’y croise jamais personne et seuls quelques déchets, canins ou autres laissent présager que le lieu n’est pas complètement à l’abandon.
L’endroit est sombre et humide et les grands immeubles du centre d’en haut qui surplombent la voie encaissée contribuent à l’atmosphère vaguement angoissante. On débouche enfin devant les larges escaliers face au moderne cours Bosquet. En haut des marches, impossible d’imaginer l’envoutant chemin.
Cette semaine, je me suis offert une dernière visite, en quête d’ultimes traces. Trop tard, avant le passage du cortège médiatico-municipal quelques jours auparavant, les lieux avaient été minutieusement nettoyés. La semaine prochaine, des travaux finiront d’engloutir la poésie et la sauvagerie, la « verrue », à coups de réhabilitation, d’aseptisation, de rénovation, requalification, relégation, réappropriation… Bientôt le Hélas sera sous contrôle, policé. Déjà, des panneaux installés sur le fronton montrent les esquisses des nouveaux espaces minéralisés, empêchant toute utilisation de l’espace de jeu…
Colette Milhé