Laissés sur la grève, les vivants se meurent un peu plus au décès de leurs proches. Doté de l’élégance d’une nouvelle fantastique, Vers l’Autre Rive métamorphose le fatalisme de la mort mille fois visité au cinéma en un voyage vivant ancré dans le présent, au cœur du Japon contemporain. La part mélo-dramatique de la réalisation devient poétique à mesure de la réapparition possible d’être défunts au moyen de souvenirs, de la musique, de la mélancolie et plus généralement des sentiments. L’absence de compréhension ou d’explications appelle volontiers à notre curiosité sensible et joue de notre incompréhension. Le dépaysement donne part à l’imaginaire où le semblant de réalité est orienté par le shintoïsme, la philosophie nippone et une beauté photographique impressionnante.


* Bonus DVD : Critique réalisée sur une version DVD Condor Studios VOSTFR constituée d’une entrevue du réalisateur Kiyoshi Kurosawa. (Les entretiens d’Olivier Père – ARTE.)
Fantômes de cœur.
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A son écoulement monotone, le quotidien de Mizuki (Jouée par Eri Fukatsu) va reprendre son cours par la confluence soudaine de son mari, défunt il y a trois ans. Ôter toute part inconnue liée à la mort en parant ses victimes de couleurs saturées, de sentiments vifs ou en les rendant vivants aux yeux de tous mène le spectateur à contre-courant et à la seule source du fantastique du film. A fleur d’eau, le duo sait l’événement temporaire, réintègre les habitudes culturelles (L’absence de chaussures dans le domicile.) et puisent dans leurs énergies pour donner des significations à ce retour : au fil de l’aventure, une femme redevient mariée, redécouvre une vie affective, découvre le parcours de son bien-aimé jusqu’au sens et la raison d’être un duo.
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L’imaginaire nait de frontières subitement bouleversées. Si les fantômes existent, le contact entre humains révèle une plus forte complexité.
Le poids de la société japonaise accentue l’indicible, l’expérience de Kiyoshi Kurosawa dans l‘érotisme s’utilise à escient. Le tout se jette dans une esthétique réservée, attirée par la saisie de ses personnages portraits et souvent idéalisée. En banalisant l’apparition d’autres fantômes, le seul regret du scénario est celui d’une plus grande dilution : les idées affluent et dévient la trame émotionnelle et sensible d’époux retrouvés pour un temps, seulement.
Vivre, penser, et mourir diffère en fonction de facteurs culturels. Vers l’Autre Rive navigue parmi les flots connus du voyage où apprendre est possible au contact de l’Autre. Un équilibre s’opère entre la curiosité hors de la noyade et la marée montante d’un Japon familièrement imaginé.
Le voyage d’un duo.
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Petit à petit, les intérieurs s’agrandissent.
Aux premières notes studieuses d’un piano : chaque témoin de la réalisation s’imprègne d’une quiétude monotone. Sans changer le rythme de l’instrument (Possiblement lent pour certains spectateurs.), l’excursion ajoute quelques notes supplémentaires pour en égayer peu à peu la teneur. Depuis les scènes d’intérieurs intimes aux images associées aux transports en commun jusqu’aux espaces urbains ou ruraux, épouse et époux s’ouvrent tous deux à la contemplation rêveuse d’un réalisateur soucieux d’interpréter chaque geste d’un quotidien subitement différent.
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Mizuki rêve à d’avenir. La photographie joue énormément sur des portraits et des caractères amenés à des modifications invisibles et importantes pour le récit.
Fantastiquement nôtre, dans un Japon idéal bien calme, réel ou non, Kiyoshi Kurosawa propose une escale introspective et amoureuse : le regard de la conjointe, autrefois dévitalisé voire absente, se grise de plaisir, de tristesse, de projets, se plait à envisager l’amour charnel. Vers l’Autre Rive atteint un point de suggestion où les « Je t’aime » s’estompent au profit d’une incitation vitale (Celle de cheminer sans regrets mais plutôt avec les souvenirs des jours plus heureux.), d’une progression du jeu d’acteurs (L’actrice principale devient peu à peu resplendissante, le grain de peau change …) jusqu’à l’élargissement des lieux visités. (Les premières scènes dans l’intimité d’un salon domestique nous transportent jusqu’au bord d’un rivage.)


Une trame fantastique entretient un doute entre le réel et l’imaginaire. Vers l’Autre Rive n’explique rien : il s’efforce de donner un ou des points de vue possibles.
Donner du signifié à « la mort au cœur ».
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Etrangement, l’absence de frontières entre vivants et morts déplace le curseur de la vitalité. Les vivants, mélancoliquement, marquent leur passivité face à la présence d’un être « absent depuis longtemps », « disparu » …
Chaque ectoplasme existe à l’image du dernier souvenir nourri à son égard. Tous s’animent auprès de leurs proches un seul et unique intérêt ou pour parcourir le chemin terminal non effectué voire pour aboutir à une réflexion pesante difficile à déclarer avant la mort. Les vivants, extensions de leurs défunts, cahotent, s’affligent, regrettent et, dans un sens profond, se meurent. Paradoxalement, les morts rassérènent, intériorisent leurs hantises et vivent probablement plus intensément : ils savent l’absence de perte supplémentaire, connaissent la nature de leur retour et oeuvrent mains dans la main près des humains.
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Minutieusement, Kiyoshi Kurosawa dissémine les éléments de vitalité.
Vers l’Autre Rive efface la pénitence religieuse du shintoïsme, quelques centaines de prières écrites par l’héroïne du récit pour le transformer en philosophie du quotidien. La rentrée des « disparus » et leur seconde vie intervient en toute chose : dans une cuisine, dans un atelier poussiéreux, près d’un piano, au bord d’une cascade. Brûler les quantités d’incantations n’est pas une révolte terminale : le geste met fin à trois années où l’espace s’amenuisait (Tous les premières scènes sont des successions de lieux soigneusement privés ou fermés.), où l‘équilibre était rompu (L’héroïne retrouve la douceur de ses mains au contact de l’eau ou rêve de vivre ailleurs.) où les liens s’étaient brisés. (En dehors d’un métier de professeur de piano, le protagoniste semble ne nouer de contact.)
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On a aimé :
+ : La photographie, contemplative et orientée à créer des portraits progressifs.
+ : Un fantastique doux.
+ : Les effets, les habitudes et le poids de la société japonaise.
+ : Un romantisme d’une grande pudeur.
On a détesté :
– : Un rythme assez lent.
– : Un certain procédé dans une idée originale. (La multiplication redondante des fantômes.)