Magazine Les expat'
L'administration a une certaine uniformité, sous tous les cieux.
En principe, un permis de conduire européen est facilement convertible en un permis thaï (obligatoire après trois mois de séjour consécutifs). Il y a des accords internationaux. Mais bien sûr, on m'a demandé des justificatifs qui nécessitaient des démarches si pénibles et multiples à Bangkok que j'ai trouvé plus simple de repasser carrément le permis complet ici, à Korat.
Avant l'épreuve écrite, on nous a fait passer deux CD. Le second (dont les sous-titres en anglais laissaient franchement à désirer), faisait apparaître un monsieur à lunettes du Ministère des Transport qui expliquait les éléments du code. Bien que jeune, il représentait de façon très traditionnelle la bienveillance, la modération et la science officielles. Pour illustrer l'importance des styles de conduite, le monsieur à lunettes fait apparaître trois personnages : monsieur Sage, madame Jolie, et monsieur Ducon (pour ce dernier, je fais une traduction libre - à vrai dire, je n'arrive pas à me souvenir - mais tu vois l'idée). Monsieur Ducon est un jeune homme grimaçant en jeans rose et t-shirt, avec une coiffure un peu en crête et une gestuelle assez simiesque. Les deux autres n'ont rien que de très banal et propre sur soi.
Je te laisse imaginer le comportement de Monsieur Ducon, frimeur, vrombissant, zigzagant sur la route, etc. Pourquoi pas. Là où j'ai commencé à tiquer, c'est que Monsieur Ducon ayant craché par la fenêtre, Monsieur Sage lui donne un coup sur la tête - pas une petite tape - avec je ne sais pas quoi, qui le sonne. Passe encore, à la limite, en tablant sur le côté gag et symbolique du coup... C'est un peu plus tard que j'ai été scotché.
Monsieur Ducon continue à faire le zouave - rien qui justifie ce qui va suivre. Un moment, il est éjecté de sa voiture par cinq ou six autres personnages - dont Monsieur Sage ! Bourré de coups, il tombe sur le macadam. Attends, j'ai mieux. Alors qu'il est à terre, les cinq ou six types l'entourent et continuent à le frapper et lui donnent des coups de pieds sur le corps et la tête. Non pas filmé une demie seconde, mais bien cinq ou six. Incroyable !
Je sais, c'est juste du cinéma. Mais c'est aussi le symptôme d'une différence culturelle majeure. Dans trente ans, on ressortira ce CD, s'il n'a pas été soigneusement détruit, pour s'extasier des progrès de la conscience collective thaïe - car je n'ai pas trop de doute sur le sens de leur évolution. Ils sont simplement en retard, et fonctionnent dans ce domaine comme nous fonctionnions il y a peut-être soixante ans. A l'époque de l'honneur, des westerns et des bagarres de blousons noirs.
J'ai déjà évoqué plusieurs fois la violence ambiante dans ce blog. Les mille sourires seraient destinés à désamorcer les conflits. Les feuilletons à la guimauve montrent des petites amies qui se font frapper par leurs copains au point d'être expédiées à l'hôpital (et des petits copains qui se battent). Les foules se passionnent pour la boxe thaïe. Dans la vraie vie, il y a des règlements de compte au pistolet et au fusil (en vente libre dans les night markets) quand on perd la face, au travail ou en amour. Je n'ai malheureusement pas de données chiffrées pour comparer.
Je n'ai pas cette impression de violence latente en Indonésie. Je n'y suis peut-être pas resté assez longtemps. En revanche, ce qui m'a étonné, c'est la fascination qu'y exerce le spectacle de la mort. Les femmes s'envoient les vidéos les plus gores que tu puisses imaginer, généralement des accidents de la route - homme qui se fait littéralement couper en deux morceaux, accidents bien sales, bras qui rebondissent à vingt mètres du corps, corps transpercés avec gros plan, j'en passe… Elles s'en gobergent… et en rient. En tout cas plusieurs de celles que j'ai connues.
Ici en Thaïlande, on dit aussi que la peau d'un farang ne vaut pas plus que dix ou vingt mille bahts, soit deux cent cinquante à cinq cent euros. L'autre jour, Mike, un ami anglais de Rye, mon pote australien, racontait comment il s'était épris d'une très charmante vendeuse de nouilles sur le marché.
- Etes-vous mariée ?
- Oui.
- Où travaille votre mari ?
- Il est policeman.
Mike a réfléchi quelques jours, car la fille était vraiment jolie. Peut-être le coup du policemen, c'était pour l'écarter. Mais si c'était vrai ? Un policeman, ça porte une arme de service et ça sait s'en servir. Un farang qui disparaît, quelle importance ? Il est sans doute parti, pourquoi faire une enquête…
Mike s'est dit que finir enterré dans un terrain vague, ou se faire jeter bien lesté dans une grande mare : la fille n'en valait tout de même pas la peine.
Et le romantisme, bordel ! Ah ces godons, avec leur pragmatisme !...