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Se mettre "à la place de l'autre" est la condition d'un vrai dialogue

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit

Une longue continuité dans la domination n'a-t-elle

pas créé une continuité perverse ? Autrefois : une

Église, un Dieu, un roi. Aujourd'hui : une culture,

une technique, un ordre mondial.

Hors de l'Église pas de salut. Hors de l'Occident

pas de civilisation. Et toujours : hors de ma vérité,

l'erreur. Toujours un peuple élu : hébreu, chrétien,

Dans cette perspective, aucun dialogue n'est possible.

Aucun dialogue entre les religions, car la religion

est l'expression de la foi dans le langage d'une

Il n'y a de dialogue véritable qu'à l'intérieur de la

foi. Un dialogue interreligieux, bien souvent, est un

dialogue de sourds, puisque chaque religion institutionnelle,

par exemple le christianisme ou l'Islam,

s'estime dépositaire de la vérité absolue. Il n'y a plus

dès lors dialogue, mais controverse, désir de prosélytisme

et de conversion, pour réduire l'autre à sa

propre et unique vérité. La " tolérance " reconnaît

seulement à l'autre le droit à l'erreur, comme condescendance

ou pitié à l'égard d'un infirme ou d'un

Il n'y a de dialogue véritable que lorsque chacun,

au départ, admet qu'il a quelque chose à apprendre

de l'autre, qu'il est donc prêt à remettre en cause telle

ou telle de ses certitudes. C'est pourquoi celui qui

s'engage dans cet authentique dialogue apparaît parfois

comme un dissident en puissance à l'égard de sa propre

Il n'y a de dialogue qu'à partir de la conscience de ce

qui manque dans notre foi, lorsque le dialogue devient

un échange et un partage dans l'expérience de la

recherche commune de Dieu, et donc du sens.

Cet abandon si rare est pourtant la seule forme

possible de dialogue sur l'essentiel : comment accepter

la suffisance à l'égard de la transcendance ? Quelle foi

peut prétendre, comme le font les religions, posséder la

vérité exclusive et totale d'une réalité qui, par son

principe même, déborde, transcende toutes nos expériences

partielles, relatives, des " dimensions " de Dieu,

de celles de l'homme, " fait à son image " comme disent

les chrétiens, " en qui Dieu a insufflé de son esprit " est-il

L'Esprit est en l'homme et en tout être, non comme

leur propriété ou leur intériorité, mais comme le

mouvement qui, à travers la multiplicité et la dispersion

des êtres, les oriente vers le Père en un cycle sans fin :

" Tout vient de Dieu et tout revient à Lui ", indique

Cette relation d'intériorité réciproque, ce mouvement

circulaire par lequel passent incessamment l'un dans

l'autre, et s'impliquent mutuellement les trois aspects

de la Trinité, les théologiens chrétiens l'appellent la

Cette prise de conscience de la relativité, de la " non-suffisance"

des perspectives, n'implique nullement un

relativisme ou un éclectisme démobilisateurs. Elle rappelle

seulement la diversité et les richesses inépuisables

des relations à Dieu. Elle permet seulement d'échapper

à l'ethnocentrisme colonialiste qui appelle trop facilement

universelle sa propre culture et sa propre religion.

Elle permet de comprendre qu'une même foi a pu,

s'exprimant à travers diverses cultures, donner naissance

à de multiples religions, et que cette multiplicité

même est une richesse car elle permet, par la fécondation

réciproque d'expériences " religieuses " différentes,

d'approfondir notre propre foi, de prendre conscience

de sa spécificité : de perdre seulement l'illusion que

notre religion est la seule vraie parce que nous ignorons

La réalité totale que nous vivons ne peut être saisie à

partir d'une perspective seulement. Nous ne pouvons la

saisir pleinement que si nous savons vivre du dedans

Plusieurs peintres peuvent s'efforcer de dessiner le

même modèle, placé entre eux, mais aucun tableau ne

sera identique à l'autre. L'un aura reproduit le sujet de

face, un autre de dos ou de profil. Je ne puis juger de la

fidélité de l'image à partir d'une perspective unique,

mais seulement à partir de la perspective propre à

Il en est de même pour les sagesses et les religions :

chacune a essayé de traduire son expérience du sens de

la vie ou de l'Un, en fonction d'une culture particulière,

d'une histoire et d'une civilisation. Cette multiplicité et

cette relativité des " prises de vue " sur le divin n'exclut

nullement la valeur absolue et unique de ce qui est visé

et dont l'inépuisable totalité ne peut être saisie par

Il ne s'agit pas de " tolérance ", ce qui implique un

certain mépris à l'égard des " déviants " par rapport à

un modèle unique de culture, de sagesse ou de foi, mais

de respect envers des expériences, différentes des nôtres,

d'une présence qui nous dépasse. Un dialogue ne peut

conduire à une fécondation réciproque que si chacun

accepte loyalement de " se mettre à la place " de

l'autre, donc à retrouver son angle de vue, la perspective

propre à partir de laquelle il a essayé d'exprimer

son irremplaçable expérience.

Ceci exclut le parti pris de conversion : ne pas

demander au chrétien de devenir bouddhiste, ni au

musulman de devenir chrétien. Mais aider le bouddhiste

à devenir un meilleur bouddhiste, le chrétien un

meilleur chrétien, le musulman un meilleur musulman.

" Meilleur " signifiant : capable d'approfondir sa propre

foi, sa propre saisie de Dieu, en l'enrichissant de

l'expérience des autres hommes de foi.

Roger Garaudy , extrait de " Les fossoyeurs. Un nouvel appel aux vivants "


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