Beaucoup, moi y compris, ont été étonné par le krach de 2008. Non pas parce qu’il s’est produit, la plupart des observateurs lucides de la situation économique d’alors n’avaient guère de doute sur l’occurrence d’un tel événement, mais bien sur ses suites que nous avons été nombreux à pronostiquer d’ampleur biblique. En effet, tout indiquait que ce krach provoquerait un effondrement majeur du système financier et, à sa suite, politique. Ce ne fut pas le cas.
Oh, bien sûr, la bourse a dévissé comme rarement. En l’espace de quelques semaines, les cours perdent alors plus de 40% de leur valeur, et des douzaines d’établissements financiers (surtout bancaires) se déclarent soit en faillite, soit dans des difficultés telles que les États sont obligés d’intervenir, de manière plus ou moins concertée, pour les recapitaliser.
Et justement : au lieu d’un effondrement complet, on assiste surtout à des vagues de mouvements violents, de soubresauts et de décisions prises fiévreusement par différentes autorités. Les banques centrales abaissent leurs taux et se démènent comme jamais pour éviter une interruption complète et fatidique du marché interbancaire. Au bout de quelques mois, dans le courant de 2009, les cours se stabilisent. De façon assez incroyable, la catastrophe immédiate est effectivement évitée. Mais à quel prix ?
Du côté des contribuables, des consommateurs et des clients des banques, les dommages ont été circonscrits. Les années suivantes permettront de mesurer, petit-à-petit, l’ampleur des mesures qui furent prises à ce moment et dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences encore aujourd’hui, huit ans plus tard. Pour tout le monde, le constat évident que le système a « survécu » est répété par les médias qui n’ont guère fait d’effort de pédagogie ni d’enquête sur le sujet, se contentant des habituels poncifs anti-libéraux, oubliant avec une facilité déconcertante qu’une société où les États interviennent justement si massivement dans l’économie est tout sauf libérale. Mais tout a tenu bon, et pour la masse, c’est l’essentiel.
Bien évidemment, cela aura coûté une masse considérable d’argent public. Les banques, finaudes, ont bien vite remboursé les avances qui leur furent faites (permettant au passage aux États d’engranger parfois de solides plus-values).
Mais la succession de bidouillages massifs sur les marchés monétaires (Quantitative Easing en tête) aura rapidement transformé des marchés jusqu’à présent agités en marchés illisibles. La formation des prix, information capitale pour l’échange éclairé et profitable de biens et de services, est maintenant à tel point distordue par les interventions étatiques que plus aucun marché ne semble sain.
Dans le même temps, la récession, issue logique d’une ré-allocation massive de capitaux à la suite d’un krach et de mauvaises allocations précédentes (immobilier inutile, typiquement), a été combattue avec toute la vigueur possible par des gouvernements trop heureux de trouver dans le keynésianisme des prétextes pour dépenser toujours plus. À l’austérité exclusivement composée d’une augmentation des impôts, il aura été ajouté moult dépenses faites avec appétit par une caste politicienne trop heureuse de pouvoir distribuer sans compter. Les dettes des États ont explosé.
De ce point de vue, oui, l’ensemble du système a montré une résilience remarquable depuis 2008, et peu sont ceux qui avaient pu prévoir qu’il tiendrait aussi bien, aussi longtemps.
Malheureusement, ces bidouillages et ces politiques à l’encontre du bon sens n’ont fait que retarder le nécessaire ajustement aux réalités de terrain. On a accumulé les expédients pour compenser les empilages d’erreurs : au risque de bank-runs, à la fuite des capitaux et au travail au noir, les États répondent par la guerre contre le cash, les taux négatifs, de discrets bails-in d’établissements boiteux, et le détournement d’attention (via le terrorisme notamment).
Moyennant quoi, tout continue à peu près comme avant. En première analyse, ce n’est même plus de résilience dont le système fait preuve, c’est quasiment de l’étanchéité au réel.
Pourtant, la situation courante est bel et bien désastreuse.
En France, on additionne (de moins en moins calmement, admettons-le) les grosses entreprises dans lesquelles l’État s’agite et accumule les dettes. Air France, EDF, Areva, la SNCF, chaque jour la liste s’allonge et les montants grossissent.
À ces entreprises étatisées fort mal gérées, on doit encore ajouter les collectivités locales, nombreuses, empêtrées dans des finances déficitaires, souvent à cause d’emprunts complexes souscrits par des responsables politiques ou bien incompétents, ou bien d’un cynisme sans borne. Au final, les dettes d’exploitations de nos administrations publiques dépassent allègrement les 700 milliards d’euros et continuent, là encore, de grossir.
Si l’on ajoute la situation dramatique des nombreuses caisses d’assurances publiques, que ce soit de retraite (CIPAV, AGIRC ou ARRCO) ou de santé (RSI en tête), l’explosion des chiffres du chômage, et la fuite des capitaux hors du pays, il est réellement difficile de trouver là matière à se réjouir.
Dans le reste du monde, là encore il est tout aussi difficile de faire preuve d’optimisme. L’économie des « émergents » est en berne, depuis la Russie jusqu’au Brésil (aussi dans une très mauvaise passe politique), en passant par l’Inde ou la Chine qui marque franchement le pas, à tel point, d’ailleurs, que les prix du fret maritime se sont effondrés, et qu’on trouve maintenant des tankers à 1$ pièce (ou quasiment)…
Difficile aussi d’oublier les tensions montantes entre l’Arabie Saoudite et les États-Unis. Ou de passer sous silence les tensions entre la Russie et les États-Unis. Ou de négliger les tensions entre la Chine et les États-Unis. La guerre étant généralement le prolongement politique des crises économiques et politiques, on est d’ailleurs en droit de s’inquiéter de la bonne santé américaine. Du reste, les pronostics en termes de candidats à la prochaine présidence laissent songeur…
En Europe, le Brexit ou n’importe quelle réplique équivalente d’un autre État membre de l’Union peut très bien déboucher sur une panique boursière ou sur n’importe quelle suite d’événements tragiques.
Pendant ce temps, les observateurs sérieux auront noté que les prix de l’or, de l’argent et même du Bitcoin sont en hausse, ce qui pourrait constituer un signe assez clair que les investisseurs un peu avisés commencent à redouter quelques soucis sur les monnaies fiat. Du reste, les manœuvres récentes de la Chine sur le métal précieux et les aveux de manipulations des cours de l’or au fixing de Londres ont sans doute nettement aidé, mais, plus généralement, en observant les banques centrales s’agiter pour créer de l’inflation sans y parvenir, tout le monde aura compris qu’à force d’essayer, elles risquent bien d’en avoir un bon coup, mais bien trop et sans plus pouvoir la contrôler ensuite…
Alors oui, effectivement, le système financier mondial a, sans discuter, montré une résilience assez extraordinaire jusqu’à présent. Mais ceci peut-il tenir ? Ceci peut-il tenir longtemps ? Ceci peut-il tenir suffisamment longtemps pour un retour à une situation stable avec croissance, capitaux bien investis, taux d’intérêts positifs, inflation très maîtrisée et dettes apurées ?
Au vu du tableau brossé précédemment, on est en droit de douter.