Magazine Humeur
Dans la rame de métro les gens sont silencieux occupés pour nombre d’entre eux à leur Smartphone, à leurs jeux, ou à écouter de la musique ou autre chose. Un homme, la cinquantaine, passe d’un bout à l’autre, « je ne refuse pas une pièce, un ticket de métro ou de restau, ou un sourire… ». Nous arrivons à la station Denfert Rochereau à 13 heures 40 pour participer à la manifestation « contre la Loi-Travail ». Le temps n’est pas particulièrement froid. Il n’est pas pour autant chaud. Peut-être 17°. Le ciel bleu n’est pas entièrement couvert. Quelques gros cumulus aux formes potagères, n’impressionnent que quelques-uns. Ils laissent s’exprimer un soleil timide. Ce que l’on voit dès la dernière marche du métro franchie, ce sont les étals des marchands de Merguez et autres sandwiches. Tout autour de la place du lion de Belfort d’innombrables cars de police, des véhicules de transmission télé, des camions CGT. La boutique de fleurs à l’angle du boulevard Raspail est bien achalandée (et jusqu’aux trois-quarts du large trottoir), mais bien vide de clients. De la place à la rue du faubourg Saint- Jacques on compte un petit millier de manifestants, mais il est bien tôt. A partir de 14 heures 30 les foules affluent sans discontinuer. Maintenant le soleil se fraie franchement des passages importants à travers les choux-fleurs de nuages. Il fait bon. Les très nombreux cars de police sont en fait stationnés sur chacun des boulevards ou avenues donnant sur la place Denfert. Le Café Daguerre, le Café du rendez-vous, l’Indiana et le Mac Do font plein service. Une bourgeoise, la cinquantaine, – est-ce une rose socialo ? – passe au travers un groupe de manifestants et glousse à son compagnon « quelqu’un m’a poussée, j’ai mis mon sac par devant, je n’ai pas envie de m’énerver… » L’autre lui répond « c’est d’un fourre-tout, tous ces gens ! » et ils traversent rapidement l’avenue pour rejoindre le rue Daguerre. Des travailleurs ma bonne dame que ces gens, et pas que. Sur l’avenue de l’observatoire et jusqu’à la place Denfert les plaques de signalisation automobile ne servent à rien. Hormis quelques cyclistes les voies sont complètement désertes et les piétons heureux. A 15 heure 05, à l’angle de l’avenue des Gobelins ce sont des milliers de manifestants qui marchent et scandent, presque heureux d’être là, d’être ensemble. Il y eut tout à l’heure un incident vite étouffé entre un petit groupe de manifestants et un policier. Un petit rien. Un cordon d’une vingtaine de policiers, casqués et boucliers en avant encadre le groupe NPA. Deux minutes s’écoulent lorsqu’une autre brigade s’immobilise devant nous. Toujours à l’angle des Gobelins : au dos ont lit 1B, 3C, 4B, 2A… Ne s’agit-il pas plutôt de policiers de plusieurs brigades (A, B, C…) ? Les slogans sont continus, cette fois sur l’air d’un petit navire « Il était un petit GattaZe, qui n’avait ja-ja jamais travaillé, oyé… » Les groupes de policiers avancent (toujours discrètement) avec les manifestants. Au 43 du boulevard Saint-Marcel, nous voilà en tête du cortège. Sur le trottoir, un jeune vend des livres radicaux. Devant un cordon de policier, à l’angle de la rue des Fossés Saint-Marcel un vieux monsieur s’adresse aux plus proches des policiers « j’ai 72 ans, droit dans les yeux, la loi El-Khomri c’est une régression ! » Ce n’est pas la tête du cortège, mais la tête de la plus imposante partie du cortège. Nuance. 500 mètres an aval, à hauteur du métro aérien, un groupe marche, est-ce celui de la CGT ou de LO ? Ce sont bien les deux organisations (séparées par un espace aussi). Un autre groupe, celui du Front de gauche-PCF, est glissé entre la CGT et LO. Un drone sous les nuages semble filmer, sinon que fait-il au-dessus de nous. Le pont d’Austerlitz est lui aussi libéré de toute circulation automobile – hormis celle des cars de CRS et des motos AFP. Un gigantesque slogan écrit à la peinture sang et en lettres majuscules, haut de deux mètres et large de 40, clame sur la berge du fleuve : « LA NUIT DEBOUT PLUTOT QUE LE JOUR A GENOUX ». 16 heures 10. Dans le café de Lyon, à l’angle de la rue de Lyon et de Ledru Rollin, nous prenons des cafés légers « non je n’ai plus de déca » nous dit le barman. Deux policiers lui demandent « on peut utiliser vos toilettes ? » L’employé répond sans les regarder « c’est en bas ». Un groupe de policiers vient s’immobiliser juste devant la devanture du café-tabac. Le barman refuse les nouveaux clients « c’est fermé, c’est fermé ». Nous sortons. Un hélicoptère tournoie au-dessus des manifestants. Nous ne sommes plus loin de la Place de la Nation, entre deux à trois cents mètres, et toute cette dernière partie est encore quasiment vide de monde. Au cinéma MK2 Nation « Les Malheurs de Sophie », « Le Livre de la jungle », « Adopte un veuf » sont à l’affiche. L’hélico est plus bas et de plus en plus assourdissant. 17 heures 10, la place, côté sud, se remplit peu à peu de manifestants. Ce sont essentiellement des jeunes (200 environ), le visage camouflé. Des gaz lacrymogènes sont lancés non loin. Aussitôt nos yeux se mettent à picoter et les frotter ne sert à rien. Nous nous éloignons autant que faire se peut (nous sommes chassés par les gaz). Nous nous refugions de l’autre côté, sous un abribus de l’avenue du Trône. Et cet hélico à quelques mètres au-dessus de la République triomphante et son char aux lions. L’atmosphère monte en degrés. « Ca chauffe » dit quelqu’un, « des casseurs » dit un autre. A 18 heures la place et les alentours sont noirs de monde. Il n’y a plus de gaz, ni de bombes fumigènes. Le char « Solidarité sud santé arrive, suivi d’autres, du même syndicat. « Camarades ! nous étions soixante mille dans les rues de Paris cet après-midi ! » lance un cégétiste dans le mégaphone. Nous avons l’impression qu’il est loin du compte. Ne sommes-nous pas plus que cela, « ça fait quatre heures qu’on marche ! » Vers 18 heures 15, nous prenons le cortège à rebrousse-poil. Au bas de l’avenue Diderot une dizaine de véhicules de « Propreté de Paris » s’activent. Au 56 des hommes de « ADA location de voitures de tourisme » s’attellent à démonter l’imposant contreplaqué qu’ils avaient posé pour abriter des manifestants leur bien ou celui de leur patron. Nous prenons à droite l’avenue Daumesnil. Les conducteurs du bus 65 semblent en grève eux aussi. Il n’y a point de 65, mais des 91 et des 20 oui. Nous prenons le métro à Bastille et sur suggestion de l’un d’entre nous, empruntons la ligne 5 direction Bobigny, avec changement à Gare du Nord. Descendons à Barbès. L’idée n’est pas si mauvaise. Juste en face de la bouche de métro, à l’angle des boulevard Barbès et La Chapelle, nous pénétrons dans ce qui fut le temple de l’habillement et bien avant ce qui fut le célèbre bar « Le Rousseau ». C’est aujourd’hui un haut lieu Bo-bo « Le Café Barbès – bar, restaurant, dancing ». Cela nous change. Des manifs et des manifestations les habitués s’amusent. Ils trinquent en se peignant de la main ou en se tortillant comme il se doit avec larges sourires et tutti-quanti. Mais il nous faut reconnaître que c’est un endroit agréable. Un peu cher (évidemment), mais charmant. Nous sommes trois avec El-H et M. La brasserie est sens dessus-dessous. « C’est ainsi tous les soirs » me dit l’un des amis. Brouhaha… Un monde fou. Et la jeune et belle serveuse est très sympathique. Sympathique, mais débordée avec sourire toujours. Nous avons attendu 6 à 8 minutes. Sourires encore. « Ah ! » fait El-H lorsqu’elle s’occupe enfin de nous. « Un Bordeaux château Guillot ? » Oui, oui moi aussi, trois fois oui (5,50 € les 15 cl). A droite comme à gauche c’est flûte de champagne et seau de glaces. Nous relevons la présence d’une animatrice de télé (LCP), d’un baroudeur télé idem, et aussi de ce célèbre haut-couturier au maillot de corps marin qu’il porte devant les caméras. Pas aujourd’hui. Il est entouré de trois couples très classe (encore évidemment). Un verre, deux, puis métro dodo.