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L’exposition « Barbie » au Musée des Arts Décoratifs décryptée par ses Curateurs

Publié le 04 mai 2016 par Darkplanneur @darkplanneur

C’est l’une des expos du moment, plébiscitées à la fois par les grands et les tout-petits. Barbie, icône parmi les icônes féminines se raconte au musée des Arts Décoratifs, dans un format XXL sur 2 étages, notre chroniqueuse ARASO, a pu interviewer une des assistantes curatrices: Magnéto!

Après une exposition au Mudec de Milan qui s’est terminée le 13 Mars dernier, Barbie fait actuellement l’objet d’une rétrospective au Musée des Arts Décoratifs de Paris. Née en 1959, la poupée Barbie âgée de 57 ans y est présentée comme un objet culturel et analysée dans le cadre d’un contexte sociétal qui ne cesse d’évoluer. Dans une scénographie ludique, l’exposition est un voyage au coeur d’un des plus beaux succès marketing du XXème siècle. Début 2016, Mattel sort un nouveau corpus de poupées avec des corps sensés représenter davantage de diversité. Interview débrief avec Aurore Bayle – Loudet, assistante à la commissaire de l’exposition Anne Monnier.

Araso : Aurore Bayle – Loudet , quel a été votre parcours avant Barbie?

Aurore Bayle – Loudet : J’ai un parcours d’historienne de l’art. J’ai fait l’école du Louvre pendant 5 ans et j’ai fait beaucoup d’histoire de la mode. Ce projet parle de jouets, parle de la société mais parle aussi beaucoup de mode puisque Barbie depuis sa création a un lien très étroit avec la mode. C’est ce biais-là qui m’a amenée à travailler sur Barbie.

A : Quel est le lien entre Barbie et la mode? Une histoire d’amour, d’inspiration mutuelle?

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ABL: Les deux. Barbie dès sa création est une poupée mannequin, elle est créée pour que les petites filles (les enfants, mais pendant longtemps ce sera beaucoup les petites filles) puissent jouer à habiller et déshabiller la poupée avec la garde-robe de Barbie. Dès le début c’est la grande innovation de cette poupée. La poupée de mode existait avant mais était un objet très luxueux, au XIXème siècle surtout. Il s’agit d’objets commerciaux envoyés en Europe pour vendre des produits. Pour ce qui est des jouets d’enfants, ils jouaient avec des poupées qui avaient des formes d’enfants, l’enfant imitait sa mère. Du côté des jouets de mode, il s’agissait de poupées en papier par lequel l’enfant, en superposant les couches de papier, habillait et déshabillait la poupée. Dans les années 1950 Ruth Handler se rend compte que les enfants se lassent de ces poupées de papier et qu’ils ont envie d’une poupée en trois dimensions. Dès les débuts, Barbie est créée avec cette idée sous-jacente d’avoir une garde robe très large avec toutes les occasions: un cocktail, un barbecue etc. Les équipes de Mattel sont très soucieuses de l’activité de la mode et de l’activité culturelle au sens large pour adapter les tenues de Barbie à son époque. Ensuite dès les années 80, des stylistes extérieurs et des designers vont collaborer avec Mattel pour créer des tenues spéciales et des éditions limitées pour Barbie.

A : Comment analysez-vous le fait que la pression du client final ait réussi à influencer les créateurs de Mattel pour que Barbie change de forme?

ABL : Il n’y pas seulement une question de pression. Dès le début, Mattel est très soucieux de matérialiser à travers Barbie une image de son époque ce qui passe par son maquillage, la forme de son corps et de son visage, la direction de son regard… Effectivement en 2016 Mattel choisit de répondre à une controverse qui leur pèse depuis longtemps. Je pense qu’il y a une confusion entre Barbie objet et Barbie modèle physique, ce qu’elle n’a jamais été en réalité. Elle l’est devenue parce que nous en tant qu’adulte on la rapproche des mannequins actuels de l’apologie de la maigreur et de tout ce qu’on peut voir dans les media mais il faut voir qu’a l’origine c’est un jouet pour enfants, manipulé par des enfants. Il y a donc une confusion qui a mis Barbie dans l’embarras. Mattel a aussi choisi de représenter une vraie diversité dans la beauté qui est représentée en même temps dans la mode, dans différentes campagnes de pub. Mattel choisit de répondre à son époque en créant ces nouveaux corps. Mais à l’origine il y a soucis de représenter la diversité à travers Barbie plutôt que de répondre à un reproche en amont.

A : Quel est le rôle tenu par Mattel dans l’exposition? Est-ce qu’ils financent? Sont – ils sponsors? Sont-ils co-directeurs artistiques?

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ABL: Ils sont partenaires et les mécènes de l’exposition. Ensuite ils sont prêteurs puisque la majorité des modèles viennent de chez eux. En revanche dans le contrat de base ils ne sont ni directeurs artistiques ni même co-directeurs. Le sujet de l’exposition est Barbie et la maîtrise du propos est entièrement dévolu au Musée des Arts Décoratifs donc à la commissaire de l’exposition Anne Monnier et à toutes les équipes scientifiques qui ont collaboré avec elle. Mattel n’a jamais eu son mot à dire sur une analyse ou une opinion. On demandait la mise à disposition d’un objet et eux nous répondaient sur la disponibilité. Mais à aucun moment ils nous ont interdit de dire quelque chose ou de le dire d’une façon ou d’une autre. Il a vraiment eu cette volonté du Musée des Arts Décoratifs d’appliquer un point de vue scientifique et une rigueur muséale.

A: L’objectif était donc de traiter Barbie comme un objet culturel.

ABL : Oui, et de regarder comment elle évolue en fonction de son époque, comment différents personnages arrivent dans l’environnement de Barbie et racontent des choses de notre époque et comment Barbie, en parallèle, a su influencer des artistes ou des designers. Il s’agit de traiter comment se passent les interactions entre elle et le monde culturel au sens large.

A: En fait Barbie est à la fois symptôme de son époque et initiatrice de tendances. Elle pourrait être une blogger finalement?

ABL : Elle a d’ailleurs un compte instagram qui est très suivi et qui matérialise des tenues ou des tendances qu’on aime lire dans les magazines féminins et en même temps on pourrait l’imaginer comme une it-girl qu’on aimerait suivre et qu’on aime voir à Coachella aux Oscars. Il y a effectivement ces deux phénomènes: le fait que Mattel observe son époque et y répond par une poupée, un personnage, une tenue et en parallèle Barbie, sa vie et ce qu’elle peut avoir de symptomatique ou de caricatural.  La fascination que Barbie exerce sur nous raconte aussi beaucoup sur nous, sur la vision que l’on a de Barbie, de la société de consommation, des Etats-Unis, etc.

A : Pour faire un zoom sur le catalogue, qui détonne par rapport aux catalogues classiques de musée par son format et son contenu, comment a-t-il été pensé?

ABL : La ligne éditoriale est de penser un objet à la fois ludique et qui apporte un contenu sur Barbie. L’idée est d’avoir plusieurs approches sur Barbie. Michel Pastoureau est un médiéviste reconnu qui a travaillé sur la couleur qui écrit un essai sur le rôle. En parallèle il y a ce côté très décalé de l’interview de Frédéric Begbéder. A côté de ça, des interview très pragmatique du personnel de Mattel sur le thème comment on fait Barbie et des prises de parole d’Anne Monnier qui apporte un regard scientifique sur l’apparition de la poupée et sur la manière dont elle interréagit avec son époque.

A: Quel a été le plus gros challenge quand vous avez monté l’exposition?

ABL: Au niveau de la scénographie: Barbie est une poupée qui fait 29 centimètres et qui est là exposée sur 1500 mètres carrés, la difficulté était donc de ne pas donner l’impression aux gens d’être face à des objets miniatures dans des vitrines. Les scénographes sont parvenus à proposer une construction avec un dispositif ludique qui mette en scène Barbie de façon originale et qui permette aussi de troubler l’échelle de Barbie.

A: Il y a même une salle de jeux, pour ceux qui veulent régresser…

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ABL: Il y a effectivement une salle de jeux pour les parents qui régressent et plus simplement pour les enfants qui se retrouveraient très frustrés s’ils voyaient 700 poupées immobiles derrière des verres et qu’ils ne pouvaient pas en manipuler une seule! Il y a donc effectivement cet espace de jeu qui était très important pour l’équipe, pour les enfants qui se défoulent un peu et pour les parents qui se reposent un peu! Pour l’équipe, elle fait la jonction entre ces deux aspects de l’exposition. Le premier aspect, ludique, ou chacun s’arrête devant ces vitrines en se disant « ah oui, celle-ci je l’ai eue » « moi je ne l’ai pas eue » « je la voulais » etc. Et cet aspect scientifique qui apporte un contenu, une information que le public n’a pas car il ne s’est jamais vraiment posé la question. Cela permet de faire découvrir les coulisses de Mattel et d’apporter un contenu qui existe à la base, on ne l’a pas inventé il y a vraiment des choses à dire sur Barbie.

A: Qu’est-ce qui a contribué à faire, selon vous, le succès de Barbie? D’un point de vue culturel, s’entend.

ABL Je pense que c’est la capacité de Barbie à cristalliser une image de son époque. On peut être fasciné par les années 60 et adorer cette Barbie avec un corps de pinup ou au contraire aimer le côté contemporain de la Barbie d’aujourd’hui.

A: Comment voyez-vous Barbie évoluer?

ABL : Mattel a toujours été dans la recherche de la diversité donc je pense qu’ils vont continuer à faire évoluer Barbie dans ce sens. Ensuite, Mattel multiplie depuis un certain temps les lignes avec des lignes pour petites filles et des lignes de collectionneurs. A l’inverse de l’époque ou Barbie a été créée, lorsqu’on se rend dans un magasin aujourd’hui on retrouve toutes sortes de Barbie qui s’adressent à un public très différent. Je pense que Mattel va rester sur cette lignée en continuant à enrichir son image avec différentes poupées et différentes lignes. Les trois corps étaient un projet hyper secret: nous étions au courant pour préparer l’exposition. Pour la suite, je ne peux pas vous livrer de scoop car nous ne sommes pas au courant!


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