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La distance des années avait brouillé les perspectives (Patrick Modiano)

Par Obadia

« Cette nuit-là, j’avais rêvé que j’étais dans l’atelier de Jansen, assis sur le canapé, comme autrefois. Je regardais les photos du mur et brusquement j’étais frappé par la ressemblance de Colette Laurent et de mon amie de cette époque, avec qui j’avais rencontré Jansen et dont j’ignorais ce qu’elle était devenue, elle aussi. Je me persuadais que c’était la même personne que Colette Laurent. La distance des années avait brouillé les perspectives. Elles avaient l’une et l’autre des cheveux châtains et des yeux gris. Et le même prénom.

Je suis sorti de l’atelier. Il faisait déjà nuit et cela m’avait surpris. Je m’étais rappelé que nous étions en octobre ou en novembre. Je marchais vers Denfert-Rochereau. Je devais rejoindre Colette et quelques autres personnes dans une maison proche du parc Montsouris. Nous nous réunissions là-bas chaque dimanche soir. Et, dans mon rêve, j’étais certain de retrouver ce soir-là parmi les convives Jacques Besse, Eugène Deckers, le docteur de Meyendorff et sa femme.

La rue Froidevaux me semblait interminable, comme si les distances s’étiraient à l’infini. Je craignais d’arriver en retard. Est-ce qu’ils m’attendraient ? Le trottoir était tapissé de feuilles mortes et je longeais le mur et le talus de gazon du réservoir de Montsouris derrière lesquels j’imaginais l’eau dormante. Une pensée m’accompagnait, d’abord vague et de plus en plus précise : je m’appelais Francis Jansen. »

Chien de Printemps, Seuil éd, 1993, p. 90-92


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