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Imma simha

Publié le 10 mai 2016 par Feujmaroc
IMMA SIMHA

Imma Simha (z"l)

Si j'avais les talents artistiques des dessinateurs doués, j'aurais peint ma grand-mère pour la restituer comme je la voyais, toujours en pleurs, de joie dès qu'elle nous apercevait et de peine lorsque l'on partait.
Le créateur avait utilisé de nombreuses couleurs pour la dessiner, elle avait la peau blanche et nacrée dont ma mère a hérité, des yeux verts, brillants et lumineux qui gardèrent tout l'éclat de leur jeunesse même quand celle-ci s'en est allée. En réalité, sa jeunesse s'était réfugiée dans ses yeux.

Avec sa carnation très claire, ses joues rosissaient à la moindre émotion. Pour tous ses petits-enfants, elle était une grand-mère en couleurs ! le rose et le vert dominaient, mais par-dessus tout, ce qui la caractérisait c'était son immense capacité d'aimer et au-delà, son humour et sa joie de vivre.
Pourtant, avec elle le malheur ne s'était pas reposé, pendant longtemps il était resté en activité.
Pour la décrire, les mots du malheur côtoient ceux du bonheur, cependant, le sourire qui nous vient aux lèvres lorsque nous l'évoquons reste le plus bel hommage que nous lui rendons. Quel pied de nez à la disparition et à l'absence !

Pour qui n'a pas entendu grand-mère nous chanter "sabez bou plonter li choux, et allonzenfants dè la patriiiiiie you !, n'a jamais rien entendu d'aussi comique !
Allez, Imma chante encore ce que t'ont appris les Français la supplions-nous, quand nous voulions rire. Franchement avec son accent et l'application qu'elle mettait à restituer ce qu'elle entendait, nous étions pliés de rire à chaque fois qu'elle entonnait de sa voix tremblotante ce qu'elle prenait pour du français.
Son amabilité la portait naturellement vers toutes les personnes, même les objets, elle leur portait de l'amour, car après les avoirs égarés, lorsqu'elle les retrouvait, pour manifester sa joie, elle les embrassait. Tout chez elle prenait de grandes proportions que ce soit dans la douleur mais également dans la félicité.
Elle nous disait souvent " mes enfants, mon cœur est en papier, il menace d'éclater s'il est malmené" cette expression est depuis restée dans la famille !

Fille de Samuël Benaroch, notable de Meknès, elle passa son enfance au mellah qui fut le quartier exclusivement juif de la ville. Les mariages, les décès, et les fêtes religieuses rythmaient alors la vie. Tous ces événements se passaient dans l'enceinte du mellah aux ruelles étroites et ombragées.
Les constructions s'imbriquaient les unes aux autres pour empêcher le soleil de pénétrer, c'était un système astucieux qui permettait de lutter contre les canicules qui sévissaient au Maroc. Elles débutaient juste après Pessah et commençaient à décliner pendant les fêtes de Tichré (nouvel an hébraïque).
Toutes les maisons possédaient des cours intérieures, les plus prestigieuses appartenant aux familles aisées étaient agrémentées d'une fontaine de zelliges multicolores, au centre de laquelle l'eau fraîche jaillissait.
Des orangers, des grenadiers, abritaient de leurs ombres les jardinières de menthe, de thin et de romarin qui embaumaient toute la cour et la rafraîchissaient.
Pierre Loti au cours des récits qu'il fit de ses voyages en Afrique du Nord a décrit le mellah de Meknès et son étonnement face aux enfants juifs au teint très pâle. Ces derniers fréquentant très tôt la yéchiva, ils restaient enfermés à étudier les textes sacrés. Les chauds rayons du soleil d'Afrique du nord ne pouvaient pas dorer leur teint laiteux.

Ma grand-mère admirait la beauté sous toutes ses formes, elle se réjouissait de voir une belle femme passer, et elle n'était pas en reste pour remarquer les hommes aux traits réguliers et à l'allure distinguée.
Elle nous racontait sans oublier les détails, sa première déception amoureuse et le début de l'emballement de son cœur en papier. Nous apercevions alors, bien qu'ayant dépassée l'âge des amourettes, des étoiles dans ses yeux.
Elle fut promise alors qu'elle n'avait que 12 ans, à son cousin. Il était fort beau et elle en était éperdument amoureuse. Lui, il la regardait à peine, elle ne l'intéressait pas du tout, habitué sûrement aux silhouettes engageantes de certaines maisons où il se rendait pour gratter de la mandoline. Il était le fils unique de sa tante et outrageusement gâté par toute la famille, il faut dire qu'avoir un seul enfant dans ce temps-là et dans ce milieu, était considéré comme un malheur, face aux familles dont les plus modestes en comptaient 10. Tout le système social reposait sur les descendants qui pérennisent à la fois le nom, les affaires quand il y en avait, assurant au passage les vieux jours des parents, mais le plus important, reste la récitation du Kaddish au décès de ces derniers. Cette récitation incombe aux garçons. Les filles faisant partie de leur famille d'adoption par le biais du mariage.

Son jeune époux passait son temps à jouer à la mandoline en forçant un peu sur la mahia. L'oie blanche qui lui était destinée ne lui convenait pas du tout. Imma Simha s'était mariée alors qu'elle n'était pas encore pubère, elle dormait dans les bras de sa belle-mère en attendant de se blottir contre ceux de son jeune mari qu'elle aimait par-dessus tout. Lui, ne l'entendait pas de la même oreille et attendait l'occasion de se débarrasser de la cousine qu'on lui avait imposée.

Imma Simha assuma seule les 3 enfants qui lui restaient. Mon oncle Samuel avait 18 ans, mon oncle Charles 15 ans, et ma mère une enfant d'à peine 2 ans.
Son aîné reprit les affaires de son père, il les fit fructifier et fut très vite rejoint par son frère : mon oncle Charles. Ils mirent en commun leur jeunesse et leur fougue pour développer et agrandir ce qui n'était au début qu'un simple commerce de thé et de sucre. Ils devinrent rapidement les fournisseurs de l'Armée Française installée au Maroc, qu'elle maintenait sous le joug du protectorat.
Mes deux oncles se marièrent très tôt et tout ce petit monde cohabitait dans la même maison sous la houlette de grand-mère qui régissait l'intendance et la bonne tenue des fêtes qui s'y donnaient. Quant à ma mère, elle grandissait sous la protection de ses frères mais surtout de l'oncle Samuel qu'elle considérait comme son père.

Ma grand-mère voyait arriver à la maison des couples aux bonnes manières, le mari tirait la chaise à son épouse avant de s'assoir, se précipitait pour lui allumer la cigarette qu'elle maintenait dans un long fume cigare. Tout cela lui semblait le comble du raffinement. Elle adorait la France et les Français, elle avait même inventé un proverbe qu'elle nous citait chaque fois : " celui qui n'a pas côtoyé les Français, sa vie était gâchée".
Cet amour qu'elle vouait à la France était dicté par la paix revenue au mellah au temps du protectorat, et surtout la fin de l'arbitraire et de l'injustice par la présence Française au Maghreb.
Auparavant, quiconque voulait se débarrasser de son créancier juif inventait une futilité ou l'accusait d'avoir outragé le Coran. Le malheureux incriminé s'il n'était pas lynché se retrouvait emprisonné arbitrairement pour longtemps !

Mes oncles voulaient bien recevoir leurs invités, pour cela ils achetaient les mets les plus raffinés auxquels grand-mère ne comprenait rien. Des langouses, les huitres et du caviar. Imma Simha devait préparer tous ces plats dont elle ignorait l'existence. Elle n'avait jamais vu de fruits de mer de sa vie. Les crustacés n'étant pas "cacher" ils étaient cuisinés dans une pièce à part avec des ustensiles qui ne servaient qu'à cet usage. Pour elle, les huîtres ressemblaient à des yeux, elle se lamentait se demandant comment pouvait-on servir à des invités aussi prestigieux des yeux dans leur jus ? Quant aux langoustes c'étaient des bêtes à cornes servies tel quel dans les assiettes !

Pauvre grand-mère, elle qui cuisinait comme personne les pigeons farcis et les légumes rôtis, ils étaient tellement beaux qu'ils semblaient vernis. Toutes ses variétés de gâteux aux amandes étaient parfumées à la fleur d'oranger et à la rose.

Si elle pouvait m'entendre, je lui dirais que ses invités se seraient plus régalés avec son agneau rôti qu'elle laissait mariner avec des herbes de sa spécialité, elle l'enfournait à feu vif pour lui donner une peau croustillante et réduisait l'intensité pour obtenir une chair fondante. Son méchoui qui croque et qui fond aurait donné des émotions plus que ses bêtes à cornes et ses yeux vitreux dans leur jus ! pff ! Quelle banalité lorsque l'on savait comme elle, mariner et mijoter tout ce qu'elle préparait.

Si elle pouvait m'entendre, je lui dirais que l'amour qu'elle vouait à tous les Européens ne valait pas celui que nous lui portions, les personnes âgées chez eux meurent de solitude dans leur maison. Elles meurent aussi de soif lorsqu'il fait chaud et que personne ne vient les visiter.
Nous, nous étions tous autour d'elle à la fin de sa vie. Le matin où elle est partie, je lui tendais un bol de lait chaud parfumé à la canelle, elle but à peine une gorgée et pencha sa tête de côté, c'était fini, elle nous avait laissé. C'était le jour du jeûne de la reine Esther, la veille de Pourim.
Depuis, à chaque jeûne d'Esther, nous sommes en pleine communion avec elle.


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