12/05/2016
Observer les océans à travers les yeux des oiseaux marins pour mieux gérer et protéger ces écosystèmes à la fois menacés et méconnus: c'est cette approche novatrice, soutenue par la Fondation de France, que propose une équipe internationale composée d'un gestionnaire d'espace naturel et de scientifiques français et japonais dont des chercheurs du Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE - CNRS/Univ. de Montpellier/Univ. Paul-Valéry/EPHE) et de l'Observatoire PELAGIS (CNRS/Univ. de La Rochelle). Les scientifiques ont équipé les fous de Bassan nichant dans la Réserve Nationale Naturelle des Sept-Iles (Côtes d'Armor) de système de géolocalisation et de mini-caméras afin d'étudier leurs déplacements ainsi que leur comportement et leurs interactions avec les activités humaines en mer. Dans un article publié dans la revue Marine Policy, les auteurs présentent comment leurs méthodes pourraient être généralisées à l'ensemble des écosystèmes marins et contribuer à une meilleure efficacité des politiques de gestion et de conservation du milieu marin. Ces données, partagées avec l'ensemble des acteurs de la mer, devraient en effet favoriser le dialogue entre ces différents acteurs, aux intérêts en apparence antagonistes.
Les oiseaux de la seule colonie hexagonale de Fous de Bassan, située dans les Côtes d'Armor, pêchent en Manche ouest dans un rayon de 200 kilomètres © David Grémillet
28 % des espèces d'oiseaux marins sont menacées, contre 12 % de l'ensemble de l'avifaune. Ce n'est heureusement pas le cas du Fou de Bassan (Morus bassanus), qui demeure l'un des oiseaux marins les plus répandus dans l'Atlantique nord. Amélie Lescroël, coauteur de l'étude, détaille les critères qui ont conduit à le sélectionner pour le projet: "Il s'agit d'une espèce charismatique, dont nous effectuons le suivi depuis plusieurs années en partenariat avec la réserve des Sept-îles, où réside la seule colonie française. Ce sont des oiseaux au sommet de la chaîne alimentaire, qui parcourent de très longues distances, nichant en Manche et hivernant sur les rivages de l'Afrique de l'Ouest, où peu d'espaces protégés existent. De plus, ils interagissent avec les activités humaines: l'étude l'a très bien mis en évidence, notamment dans le domaine de la pêche car 43 % des Fous nichant aux Sept-îles se nourrissent derrière les chalutiers qui opèrent dans la Manche. Bref, ce sont des passeurs de frontières". Les oiseaux ont ainsi été équipés de GPS, géolocateurs et mini-caméras. Ces dispositifs sans incidence sur leur comportement ont permis d'identifier les zones utilisées durant la reproduction, la migration et l'hivernage. Suite à l'établissement de la cartographie des secteurs fréquentés, l'Agence des aires marines protégées (AAMP) adapte actuellement les contours de son projet de zone pour la conservation des oiseaux et mammifères marins dans La Manche. Les lacunes de protection de certains écosystèmes marins pourront donc être mieux appréhendées en utilisant les oiseaux marins comme des "sentinelles".
Autre objectif primordial, l'utilisation de ces données visuelles pour faciliter le dialogue entre les différents acteurs de la mer: pêcheurs, conchyliculteurs, extracteurs de granulats, gestionnaires d'espaces protégés, naturalistes, scientifiques, représentants de l'État... En 2014 et 2015, deux ateliers de travail ont ainsi été organisés par l'équipe à leur attention, cartes des trajets et vidéos du comportement en mer des oiseaux à l'appui. "Ils ont été très positifs. Une image vaut mieux qu'un long discours ! confirme Amélie Lescroël. Les pêcheurs ont été heureux de montrer que certaines de leurs activités pouvaient être positives pour les oiseaux marins, car ils sont souvent montrés du doigt, sans distinction entre pêche artisanale et industrielle. Eux qui ont parfois du mal à trouver la ressource, comme en 2014, ont constaté que les oiseaux rencontraient les mêmes difficultés, et ont même proposé d'installer des caméras sur leurs bateaux pour mieux étudier ces interactions. On a senti une communauté de destins..."Ces ateliers ont de plus permis d'aborder naturellement la plupart des problématiques marines: surpêche, dégradation etpollution des milieux, etc."Notre étiquette "CNRS", en dehors de toute logique décisionnelle, a favorisé un climat de confiance où chacun a pu partager son savoir et ses expériences, ce qui est loin d'être toujours le cas", conclut Amélie Lescroël.
Les auteurs souhaitent désormais que leurs méthodes soient généralisées à l'ensemble des écosystèmes marins, pour contribuer à une meilleure efficacité des politiques de gestion et de conservation du milieu marin.
http://www.techno-science.net/?onglet=news&news=15144
Source: CNRS-INEE