«Les jeunes d'Afrique veulent changer positivement leur société»

Lundi, 16 Juin 2008 12:59
Hauwa Ibrahim, Prix Sakharov 2005, dit les espérances de la jeunesse africaines : "L'Europe est un modèle"
Avocate nigérianne, Hauwa Ibrahim défend les femmes menacés de lapidation à mort pour adultère. Opposée à l'application de la Charia (loi islamique) dans son pays, elle a attiré l'attention mondiale sur le sort d'Amina Lawal, qui a été sauvée de la peine capitale. Hauwa Ibrahim enseigne et poursuit son combat contre l'intégrisme religieux, mais aussi la pauvreté et l'analphabétisme.Cette  fervente défenseuse des droits de l'homme, Hauwa Ibrahim a reçu le Prix Sakharov du Parlement européen en 2005. Elle  est revenue au PE, à Bruxelless,  à l'occasion de la Journée Internationale pour la Jeunesse Africaine Le service de presse du PE l'a  interrogée sur les aspirations de la jeunesse africaine, sur son parcours depuis son Prix et sur les relations entre les deux continents, africain et européen.
Quels sont les espoirs et aspirations des jeunes d'Afrique ?
 
« Ils veulent contribuer à la paix, à la liberté et à la dignité humaine. Utiliser leurs têtes de manière créative. Ne pas devoir penser à ce qu'ils vont manger demain, et se libérer de ce qui les ralentit -comme la pauvreté. Ils veulent avoir l'opportunité de changer positivement leur société, pour leur pays et pour le monde. »
 
L'Union Européenne et le Parlement peuvent-ils les aider ?
 
« C'est déjà un grand honneur que le Parlement européen organise une Journée Internationale pour la Jeunesse Africaine ! Mais l'Union Européenne et le Parlement ne doivent pas considérer l'Afrique comme une entité unique, mais comme un immense continent. Il faut prendre l'entité Afrique pièce par pièce et résoudre les problèmes les uns après les autres.
 
Dans mon pays, le Nigéria, les politiques gouvernementales n'ont pas été cohérentes : dans ce sens, les institutions européennes peuvent aider. L'UE doit prendre le temps de visiter le continent africain pour en percevoir la réalité. Nos infrastructures sont totalement inadaptées. Une école construite pour accueillir 500 élèves en a 1000, moins de dix ans après son ouverture ! Et cela, sans qu'elle ne soit adaptée à cette extension. Cela affecte beaucoup le moral des enseignants et des élèves.
 
Un autre problème concerne la formation des enseignants, qui doivent être davantage motivés. L'UE pourrait les inviter à visiter des écoles européennes, à voir leurs livres, leurs classes et leurs laboratoires, afin qu'ils utilisent ce dont nous disposons déjà pour améliorer les choses sur place. L'Europe pourrait aussi les former sur différents sujets (sciences, mathématiques etc.). L'UE pourrait être comme la lumière d'une torche qui nous montre comment avancer ! »
 
Comment l'Europe peut-elle donner espoir à la jeunesse africaine ?
 
« L'Europe est un modèle car elle a su surmonter ses problèmes : ce qu'elle a traversé et la manière dont elle prépare l'avenir aujourd'hui sont des leçons dont nous pourrions beaucoup apprendre. Ce superbe Parlement européen est fascinant ! Nous n'y arriverons peut-être pas, mais la prochaine génération en Afrique le pourrait. »

Vous avez gagné le Prix Sakharov : qu'est-ce que cela a changé pour vous ?
 
« Cela a fait une énorme différence : cela m'a donné plus de poids, de crédibilité et une reconnaissance sur la scène mondiale. Ma passion, c'est l'éducation : avec l'argent du Prix, j'ai donc créé une « Fondation pour l'Alphabétisation ». D'autres gens se sont décidés à y mettre des fonds et ils se sont multipliés ! Avec les intérêts bancaires de ce que nous avons placé en banque (5%), nous avons envoyé 32 enfants à l'école, de l'élémentaire à l'université. Car certaines familles n'ont pas d'argent pour envoyer leur enfant à l'école.
 
J'ai été enseignante à l'Université d'Abuja : pour 3000 étudiants, seuls 200 livres de droit étaient disponibles ! Le gouvernement voulait nous retirer notre accréditation parce que nous n'atteignions pas les standards minimum. C'est alors que j'ai reçu le Prix Sakharov : invitée dans le Minnesota, j'ai évoqué dans mon discours notre manque de livres. Ils ont décidé de nous en offrir...8000 ! Une partie de l'argent du Prix a servi à payer le transport de ces 8000 ouvrages des Etats-Unis vers le Nigéria. Donc je peux dire que le Parlement européen a sauvé l'accréditation de l'université d'Abuja. »
 
Que penser des importations européennes de ressources naturelles d'Afrique, de la pratique de la surpêche sur ses côtes et du flux d'immigrés illégaux traversant l'Afrique pour rejoindre l'Europe ?
 
« Certaines questions sont politiques, d'autres économiques. Les droits de l'homme sont entre les deux. Si vous prélevez une ressource sur une terre vierge d'un pays africain, par exemple son poisson, qu'offrez-vous en échange ? Votre but est-il de pêcher tout le poisson et de laisser le pays sans rien ? Il faut inclure de l'humanité dans l'économie.
 
La mondialisation doit elle aussi être imprégnée de plus de dignité. Nous voulons un monde sans terreur, un monde sûr. Nous ne voulons pas favoriser l'inverse par nos politiques."
(Sélection Relatio-Europe sur le site du PE) Commentaires (0)
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