Comment résister à ce curieux sentiment, cette intuition désagréable qu'ils nous ont préparé au pire ?
L'omerta
Denis Baupin, député écologiste, est accusé de harcèlement sexuel par 8 femmes, élues ou responsables de son propre parti EELV, après une enquête de France Inter et Mediapart. L'affaire soulève les cœurs, échauffe les esprits, et frappe la Hollandie sur son flanc écolo. Car la compagne de Baupin est l'ancienne patronne d'EELV devenue ministre du Logement à la faveur du débauchage gouvernemental de novembre dernier. Baupin démissionne de sa vice-présidence de l'Assemblée, se met en "retrait" du groupe écologiste à l'Assemblée, puis porte plainte pour diffamation.
Au PS ou au gouvernement, pas de réaction officielle. On se tait, on se terre, surtout si l'on est un homme. "Ça concerne les Verts" lâche Hollande. "C’est un autre parti qui est concerné" confirme Valls. A gauche comme à droite, les éluEs, souvent jeunes, protestent contre ces silences voire les ricanements de leurs confrères souvent âgés. A gauche comme à droite, elles enfoncent le clou. La frondeuse Delphine Batho réclame au ministre Sapin de s'expliquer sur les accusations dont il fait l'objet depuis quelques semaines, lequel ministre s'empresse de publier un communiqué d'excuse sur "l'affaire de la culotte". La jeune élue élue Les Républicains des Yvelines Aurore Bergé témoigne des obscénités qui lui furent adressées le soir même de l'affaire lors d'un conseil d'agglomération. Et une pétition du collectif "Levons l'omerta" est lancée.
Pourtant, ces premiers craquellements d'une omerta au long cours sont historiques. Des élues à visage découvert racontent ce qu'elles ont subies. Parole contre parole, la justice devra trancher. Ces comportements sont marginaux, mais ils restent odieux, coupables et punissables.
La censure
Mercredi, le gouvernement est convoqué pour un conseil des ministres exceptionnel. Manuel Valls en ressort l'air contrit ou carbonisé. Il s'excuse presque sur TF1:
Hollande décide l'utilisation de l'article 49-3 pour faire passer sans débat sa fichue loi de réforme du travail. Malgré 5000 amendements et plusieurs semaines de négociations avec quelques syndicats, Hollande choisit la censure."Ça me fait mal au cœur".
Au final, le fiasco apparaît total: la nouvelle version du texte mécontente tout le monde. Valls a cru bien faire en retirant toute surtaxation des CDD (pour le MEDEF), et ne pas changer le périmètre de définition du licenciement économique ou supprimer le plafonnement des indemnités prudhommales (pour les syndicats). Il a conservé le pire, la mesure la plus rétrograde, l'article 2 de sa loi qui annule l'acquis vieux d'un siècle, celui qui inverse la hiérarchie des normes dans les entreprises et rétablit le primat de l'accord d'entreprise, où les salariés sont plus fragiles et exposés, sur les accords de branches en matière d'organisation de conditions de travail et de rémunération.
Mais sur cette annonce de 49-3, il fracture encore davantage la gauche. Hollande censure le débat parlementaires, quelques parlementaires tentent, en vain, de censurer le gouvernement. Mercredi, 56 députés de gauche, dont 28 socialistes, signent une motion de censure contre le gouvernement. C'est insuffisant. Mais la sécession est quasi-définitive, l'implosion proche, l'ambiance "crépusculaire". A l'Assemblée, Valls éructe: "Je prends cette tentative pour ce qu'elle est. Elle est grave, même si elle a échoué. (...) Je ne laisserai pas détruire la gauche de gouvernement, la social-démocratie française." L'homme qui prononce ces phrases tentait encore il y a peu de convaincre la droite et l'extrême droite de voter l'extension constitutionnelle de la déchéance de nationalité. Manuel Valls a perdu tout sens de la mesure.
Vendredi, Martine Aubry s'en mêle et fustige le recours au 49-3: elle aurait pu demander à ses proches de signer la motion de censure de gauche, à laquelle il manquait 2 voix pour être recevable. Que les actes suivent les paroles, aussi dans l'opposition...
"Valls est à portée de main, la loi El Khomri à portée de poubelle!" s'exclame Jean-Luc Mélenchon. le texte El Khomri va revenir une seconde fois à l'Assemblée. Le temps de la vraie censure pourrait enfin arrivé. Il suffirait que tous les frondeurs, enfin, se décident tous à voter en fonction de leurs convictions frondeuses.
"La situation est surcritique en France quand à deux voix près le gouvernement peut tomber sous les coups de sa propre majorité". Jean-Luc Mélenchon.Dans les rues, les manifestations contre la loi s'essoufflent. L'appel du 12 mai rassemble peut. Cela suffit à quelques éditocrates pour nier la révolte, le grand incendie, l'éruption qui vient.
Le suppositoire libéral.
A droite, la surenchère libérale se poursuit.
C'est une "drôle d'escalade" titre Le Monde. Le scrutin des primaires de novembre prochain risque fort de désigner le vainqueur de l'élection présidentielle de 2017. Et cette perspective droitise à souhait tous les candidats. La comparaison des propositions des candidats déclarés (ou pas) à la primaire de droite laisse pantois.
On se croirait en 1979.
Cette semaine, Alain Juppé livre ses idées en matière économique et sociale. Un petit bouquin publié mercredi, un pamphlet ultra-libéral comme on n'avait pas lu depuis l'âge d'or des années Thatcher/Reagan.
L'homme n'a rien à perdre. Vu son âge, il ne sera le président que d'un seul mandat. Face à un Hollande qui truste le social-libéralisme si habituel à droite, Juppé se décale encore. Sa potion est amère. Juppé propose 100 milliards d'euros d'économies budgétaires (110 pour Fillon; 35 pour Mariton, etc), la suppression de la rémunération des heures supp entre 35 et 39 heures hebdo; le report à 65 ans de l'âge minimal de la retraite; la suppression de l'ISF; et la réduction de 250.000 emplois publics. On attend de connaître certains détails: Juppé envisage-t-il de réduire les effectifs de sécurité - dont on peine à payer les heures supp tant la charge est hors normes -, des infirmier(e)s des hopitaux publics surchargés ou des professeurs à classes de 40 élèves ?
Juppé endosse aussi les pires des idées rétrogrades sur la protection des salariés. En visite dans une entreprise du XVIIIème arrondissement de Paris, le candidat promis à toutes les victoires explique qu'il veut "que les représentants du personnel ne fassent pas plus de deux mandats et que 50% de leur temps soit consacré à leur travail pour l'entreprise". Autrement dit, les maintenir sous la pression de l'employeur.
Le suppositoire libéral qu'il promet aux Français est assez lunatique. Nulle part en Europe il n'a servi à autre chose qu'à réduire le chômage statistique au profit de la précarité réelle. "Mon ennemi, c'est le chômage" clame-t-il sur RTL. Et d'ajouter: "les prévisions de la Commission européenne disent que l'on va passer de 10,2 à 10,1% et ça permet à monsieur Hollande de dire que ça va mieux."
Les esprits sont préparés à pareille bêtise. Les sondages ne démentent pas Juppé. Un quinquennat ou presque qu'Hollande, Valls, Mosco puis Macron expliquent combien la politique de l'offre est nécessaire; combien le licenciement doit être facilité pour augmenter les embauches; combien la lutte des classes a été remplacée par des relations bisounours entre employeurs 2.0 et "contractants" ubérisés et ravis.
La confusion
Pour Juppé, Fillon et autres Sarkozy, il n'y a plus de rupture à clamer. Juste à convaincre l'électeur qu'Hollande n'était qu'un amateur, un faible ou un incompétent en matière libérale. Tout n'est plus qu'une question de curseur. L'abstention fera le reste.
Même en matière sociétale, le bilan sera mince. Cette semaine, le Défenseur des droits Jacques Toubon, que l'on ne soupçonnera pas de faire campagne pour Jean-Luc Mélenchon ou Edwy Plenel, s'émeut dans son rapport "Les droits fondamentaux des étrangers en France". "Au cœur de la pensée d’extrême droite, la préférence nationale s’est doucement instillée au pays des Lumières" résume le Monde, autre journal que les Hollandolâtres qualifieront de gauchiste. Insidieusement, à coups de mesures discrètes et de saloperies réelles, notre droit national discrimine les étrangers. Marine l'a rêvé, la République l'a fait. Refus de prestations sociales à certaines nationalités, pouvoir discrétionnaire en matière de visas dans certaines préfectures, précarisation des conditions de séjour, refus de scolarisation, réduction des accueils au guichet, etc. La description, sur 305 pages, fait froid dans le dos. Elle nous rappelle cette France pré-pétainisme si docile et déjà prête aux heures les plus honteuses de notre Histoire.
"Aucune période de l’histoire de l’immigration, aussi intense soit-elle, n’a modifié le socle des valeurs républicaines communes." le Défenseur des Droits.A l'Elysée, on fait des "calculs". On se réjouit d'une biographie semi-autorisée de Julie Gayet, la compagne du Président. On espère toujours que Nicolas Sarkozy l'emportera lors de ces primaires. L'ancien monarque est le meilleur rival, celui qui susciterait encore plus de détestation que Hollande lui-même. Hollande a besoin d'une caricature clivante en face de lui pour espérer l'emporter. Nicolas Sarkozy est pourtant bien mal en point. L'incarnation de la droite furibarde se ridiculise quasiment à chacune de ses interventions. La semaine dernière, sa "table ronde" sur l'environnement a fait les choux gras des gazettes: l'ancien monarque expliquait que le réchauffement climatique n'était pas si grave. Jeudi près de Lyon, il a été surpris en s'interrogeant publiquement :"C'est quoi, Le Bon Coin ?". Le patron du site de petites annonces (26 millions chaque mois !) a simplement commenté : "le fait que Nicolas Sarkozy ne sait pas ce qu'est Le Bon Coin montre qu'il y a une déconnexion des élites."
Pourtant, d'autres laissent planer de moins en moins de doute sur leurs envies présidentielles. Le ras-le-bol est tel que quiconque a désormais sa chance. Arnaud Montebourg profite de son traditionnel discours au mont Beauvray le lundi de Pentecôte pour clarifier ses intentions. Emmanuel Macron est de moins en moins discret. Après sa parade en l'honneur de Jeanne d'Arc à Orléans qui fit jaser davantage que le dernier défilé traditionnel du chef de l'Etat sur les Champs Elysées pour l'anniversaire de la fin de la IIème guerre mondiale, Macron a taclé la "caste politique" cumularde qui lui reproche son engagement militant. Sur les bancs de l'Assemblée le lendemain, les caméras surprennent Valls rouge de colère en train de tancer son jeune ministre.
Manuel Valls: "C’est inacceptable. Pourquoi tu dis ça?" Emmanuel Macron: "Je suis d’accord avec toi, c’est Juppé que je visais." Manuel Valls: "Mais alors dis-le! Dis-le!"En début de semaine, Yann Barthès quitte le Petit Journal, l'animateur-vedette des moins de 25 ans annonce son départ lundi pour TMC et TF1 dès la rentrée prochaine.
(source)
Cela promet une belle saison présidentielle.
Triste période.