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Un produit calibré

Publié le 16 mai 2016 par Les Lettres Françaises

C’est une bien étrange compétition qui se joue sur nos grands écrans, puisqu’à quelques semaines d’écart on peut voir deux films inspirés par de grands inconnus – tout au moins du grand public – de l’industrie cinématographique hollywoodienne des années 1950. Après Eddie Mannix – que les frères Coen dépeignent, dans une comédie loufoque librement inspirée de sa vie, comme le gardien torturé de la bonne marche des studios fictifs Capitol Pictures – c’est Dalton Trumbo qui est rappelé à notre bon souvenir. Le réalisateur Jay Roach adopte cependant un registre tout à fait différent, où l’aspect documentaire côtoie le plaidoyer contre la folie d’État qui s’installa avec le début de la guerre froide.
Trumbo fut en effet un des scénaristes poursuivis par la vindicte de la commission sur les activités anti-américaines dès 1947, pour son appartenance au parti communiste. A l’issue d’une audition où dix de ses coreligionnaires furent convoqués, il dut subir une peine de prison pour outrage, mais surtout l’interdiction de fait d’exercer son métier pendant plus de dix ans. Il n’avait pourtant que fait appel à un principe figurant en tête de la constitution américaine : la liberté d’expression et de réunion.
Un produit calibréCette inscription sur la liste noire des personnes bannies de l’industrie cinématographique constitua le point de départ d’un jeu du chat et de la souris entre Trumbo et les franges les plus réactionnaires d’Hollywood. Trouvant des alliés discrets aussi bien parmi certaines grandes figures qu’auprès de personnages plus à la marge – comme les frères King qui dirigeaient leurs propres studios – Trumbo put continuer à vivre de son écriture, et permit à d’autres de faire de même. Sous divers pseudonymes ou par l’intermédiaire d’hommes de paille, il obtint même deux oscars durant cette période de clandestinité.
Hollywood a par ailleurs beaucoup à se faire pardonner, car si persiste une réputation trompeuse de progressisme dans ce milieu, c’est bien plutôt l’aspect économique, avec la perspective d’investissements fructueux pour ses commanditaires, qui sauva la mise de Trumbo. Sa capacité de travail phénoménale, une organisation réglée comme du papier à musique, une famille soudée autour de son activité obsessionnelle, voilà les facteurs qui lui ont permis de traverser les années noires et de prendre sa revanche à leur issue. Trumbo reste donc à ce titre le parfait héros positif à offrir en exemple pour édifier le public.
Alors qu’il s’agit d’un membre revendiqué du parti communiste, personnage assez rare pour une production hollywoodienne à visée hagiographique, le film ne s’étend pas trop cependant sur les ressorts de son engagement initial. Tout au plus, dans une scène un peu mièvre, Trumbo explique à sa jeune fille de six ans qu’il suffit de vouloir partager son goûter à la récréation pour être implicitement un bon communiste : le degré zéro de la réflexion politique, rabattue sur les bons sentiments. Si ce genre de discours peut être tenu ainsi à des enfants, s’en tenir à ce niveau c’est justement prendre les spectateurs pour de grands enfants…
Les comploteurs caricaturaux vus dans le film des frères Coen constitueraient presque finalement un point de départ plus explicite pour saisir les raisons de s’engager dans le parti communiste des États-Unis durant ces années de chasse aux sorcières.

Eric Arrivé

Dalton Trumbo, film biographique réalisé par Jay Roach, 2016, 124min



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