Prédominance de l'anglais, chansons formatées pour gagner, moyens techniques vus et revus, les participants répondent à certains standards pour convaincre jurys et téléspectateurs. A tel point qu'il est légitime de se poser cette question: L'Eurovision manque-t-il d'originalité? Notre correspondant Eurovision, Didier Mathieu-Dabois, fait le point sur cette édition 2016.
En plus de 60 ans d'existence, le concours a connu de nombreuses évolutions. Du Grand Prix de la chanson européenne en 1956 à l'Eurovision Song Contest de 2016, on pourrait même parler de révolution. A vrai dire, l'émission suit les modes et tendances des décennies qu'elle traverse. Il est loin le temps où les artistes se succédaient, immobiles, pour interpréter leur chanson. S'agit-il encore d'un concours de chansons ou de performance? Sans doute un peu des deux. L'un est devenu indissociable de l'autre et les participants l'ont bien compris. Pour gagner, il faut marquer les esprits, titiller la curiosité et le show télévisé prend parfois le dessus sur la mélodie ou l'interprétation. Au point même que certaines recettes à tubes semblent être reproduites chaque année.
De là à créer une trop grande homogénéité? Heureusement, non! Prenons l'exemple de cette édition. Parmi les 26 chansons présentes en finale, il y en avait vraiment pour tous les goûts. Du funk, avec notre pétillante représentante belge, un peu de pop country avec le séduisant hollandais, du rock psychédélique avec le groupe géorgien, de l'electro avec le jeune letton, de la ballade aux sonorités celtiques pour la Croatie, de la chanson légère et guillerette avec la jolie autrichienne, etc. Cette succession de styles différents est même accentuée depuis que l'ordre de passage des participants n'est plus établi par tirage au sort mais par le producteur de l'émission, qui s'attèle à mélanger les mélodies plus calmes aux rythmes endiablés. Cette année l'a encore prouvé, l'Eurovision n'est pas réservé à la musique pop formatée.
Record de chansons en anglaisDu coup, d'où peut donc bien venir un sentiment fort présent que toutes les chansons du concours se ressemblent? Peut-être l'omniprésence de l'anglais est une des raisons. On a même atteint un record en 2016 puisque seules 3 chansons ne comportaient pas de paroles en anglais (2 d'entre elles ont été éliminées en demi-finale). 5 pays avaient fait le choix d'un mélange entre langues de Shakespeare et nationale. Même la France a cédé aux sirènes anglophones, pour faciliter la compréhension des téléspectateurs européens. Cependant, l'Autriche, avec une prestation 100% en français, a obtenu un meilleur résultat au télévote qu'Amir, le candidat de l'Hexagone... Mis à part ces 8 pays, les 34 autres ont opté pour des versions anglaises, même l'Espagne a complètement abandonné la langue de Cervantes, pour la première fois depuis qu'elle participe.
Déjà dans les années 70, le choix de la langue avait été permis. En 1974, quand ABBA triomphe, " Waterloo " n'est d'ailleurs pas interprété en suédois. De même, en 1975, les Pays-Bas l'emportent avec " Ding-a-Dong ". Là encore, pas la moindre trace de la langue de Vondel. Les années 80 marqueront le retour de l'obligation de chanter dans une des langues nationales, jusqu'en 1999 où la liberté de choix a été réinstallée. Depuis, seule une chanson en langue nationale a décroché le trophée, en 2007 (pour la Serbie, avec sa chanson " Molitva "). Et cette année, Jamala, la candidate ukrainienne, nous a prouvé qu'on pouvait gagner malgré un refrain en tatar de Crimée! Espérons que cela montre la voie vers une plus grande variété d'idiomes pour les prochaines éditions.
Quand le show prend le dessus sur la chansonUne autre tendance se dégage ces dernières années. Tambours et trompettes, écrans numériques, hologrammes, pyrotechnie, des débauches de moyens techniques sont désormais dégagées pour attirer l'attention des votants. Au point même que certains effets prennent le dessus sur la chanson elle-même. En 2015, la victoire de Mans Zelmerlow, avec son écran de fond diffusant des animations, semble avoir donné des idées à de nombreux candidats. Au point d'en faire de trop? Force est de constater que la répétition d'effets techniques semblables aura été préjudiciable à certains pays. L'Islande aura souffert de la concurrence de la Russie, la Biélorussie de celle de l'Australie. Et pourtant, il n'y a pas de secret. Pour finir à une bonne place à l'Eurovision au 21e siècle, il faut proposer un all-package: un bon interprète, une chanson puissante, une danse ou un élément visuel attirant, un show complet. Mais ici encore, la victoire ukrainienne pourrait être l'exception qui confirme la règle. Jamala l'emporte sans artifice. Nous pouvons donc espérer un peu plus de sobriété ou d'originalité dans les propositions artistiques des participants de 2017.
Quoique... Que serait le concours sans paillettes, sans feux d'artifice, sans ventilateurs, sans ses tenues improbables et le soupçon de kitsch qui le rend si unique... Le show fait partie intégrante de l'Eurovision et c'est pour ça qu'on l'aime aussi. L'important est de garder le recul suffisant pour savoir en rire et développer l'auto-critique. Comme l'ont d'ailleurs fait brillamment les deux présentateurs de la soirée dans un show d'entracte hilarant (à voir ci-dessous).
Si on peut dégager un style Eurovision, chaque édition nous offre ses chansons à contre-courant. Pour tirer son épingle du jeu, certains pays miseront sur des artistes confirmés, d'autres sur de parfaits inconnus. La plupart ne perceront pas sur la scène européenne. Mais leur voix aura retenti (parfois très fort, pour les plus criards d'entre eux), le temps d'un samedi soir, dans l'Europe entière... et au delà! Car malgré la mondialisation de l'industrie musicale, l'Eurovision reste le plus ancien et le plus regardé des concours de chansons.