Propos recueillis par Julien Bisson, publié le 15/02/2016
A l'heure où les questions s'accumulent autour du clonage, du transhumanisme, mais aussi de l'origine de l'homme et de la nature des races, il était grand temps de consulter le paléontologue Yves Coppens et d'arpenter, à ses côtés, les pistes qui mènent aux derniers secrets de la préhistoire.
Volontiers iconoclaste, Yves Coppens reste un passeur impénitent, qui multiplie les conférences et les ouvrages de vulgarisation - trois en quelques mois, dont le recueil de chroniques radio Des pastilles de préhistoire, quatrième volet de sa série à succès Le Présent du passé.
"Un scientifique à qui vous dites qu'une expérience est possible, mais qu'elle peut être néfaste, ne reculera jamais" assure Yves Coppens.
REUTERS/Charles Platiau
On imagine que vous n'êtes pas un franc partisan de l'idée d'une "race blanche"... Ah non, c'est certain! Vous savez, nous venons tous d'une même espèce, née dans les forêts africaines tropicales. Pour amuser, je dis souvent qu'il n'existe pas de personnes blanches, seulement des décolorées! Ça en fait rire certains, pas d'autres... D'où viendront les découvertes de demain? Sans doute de la paléogénétique. De ce côté-là, la recherche a accompli des progrès considérables. Il n'y a pas si longtemps encore,le grand pape de la discipline, Svante Pääbo, me disait que, au-delà de 500000 ans, il avait de la peine à retrouver et à lire des brins d'ADN. Maintenant, il est passé au million d'années, donc c'est déjà mieux. Mais c'est une science encore balbutiante, qui donne parfois des grands coups de trompettes un peu trop rapides, avant de se rétracter. LIRE AUSSI >> Aux origines de l'homme, du nouveau On s'est aperçu par exemple que sur certains brins d'ADN, des virus prenaient la place des nucléotides, donnant des résultats falsifiés. Il n'empêche que les progrès de la paléogénétique vont nous aider pour établir les filiations entre les espèces humaines. Pas pour Lucy cela dit, dont on n'a retrouvé aucun brin d'ADN! Je pense aussi à la compréhension des migrations, depuis la première sortie d'Afrique jusqu'au peuplement de la planète entière. C'est une science en plein développement, qui nous rend même un peu jaloux: jusque-là, les paléontologues avaient l'hégémonie sur le temps, et nous voilà en compétition avec d'autres scientifiques en blouse blanche!
Les morceaux du squelette de Lucy conservés au Muséum national d'Ethiopie à Addis-Abeba.C. Commons
On parle même de cloner un mammouth dans les prochaines années. Finalement, la préhistoire, c'est l'avenir? La préhistoire peut renaître, oui. Avec le clonage, on peut imaginer la renaissance de bestioles ou de plantes qui ont disparu. J'ai une collègue russe qui a sorti des graines du permafrost, mises de côté par un écureuil il y a 30000 ans. Ce petit écureuil avait fait sa réserve, qu'elle a entièrement replantée et qui lui a permis de faire pousser cette plante préhistorique. Même si, en 30000 ans, sur le plan botanique, il n'y a pas de transformations radicales, c'est un début impressionnant. Il y a 30000 ans, l'homme de Neandertal parcourait encore la planète... Oui, et c'est bien cela qui m'intéresse! Je travaille actuellement en Sibérie, justement dans l'espoir de trouver un cadavre humain aussi vieux que cela - un Homo sapiens mort il y a 20000 ans, ou, avec un peu de chance, un Neandertal mort il y a 50000 ans. Il y a des mammouths aussi anciens que ça. On a un jour découvert un bébé mammouth qu'on a appelé Khroma, qu'on a disséqué et autopsié dans une des salles de l'hôpital du Puy-en-Velay. Et nous avons trouvé le lait de sa mère dans son estomac. Donc on peut encore mettre la main sur des reliques du passé intéressantes. Cela suffirait pour cloner un mammouth? Un membre de l'équipe de Svante Pääbo a trouvé comment recoudre des nucléotides manquants. Alors évidemment, si on ajoute les brins les uns aux autres, ça ne fait pas un ADN complet, ce n'est pas aussi simple que ça. Cela étant dit, à partir du moment où on sait fabriquer les nucléotides manquants, la perspective du clonage ne paraît plus tout à fait éloignée... Demain, le mammouth. Après-demain, qui sait, l'homme de Neandertal... Est-ce que ça ne pose pas des problèmes éthiques? On ne connaît pas encore les limites de la génétique, ce qui effraie certaines personnes. Pour ma part, je ne comprends pas lorsqu'on me dit que cela peut poser des problèmes éthiques. Bien sûr, il est important d'avoir un oeil sur l'usage que l'humanité fait de ses progrès. On m'a dit qu'il fallait mettre en place un comité de scientifiques. Surtout pas! Un scientifique à qui vous dites qu'une expérience est possible, mais qu'elle peut être néfaste, ne reculera jamais. Moi-même, si j'en avais la possibilité, je serais tout à fait capable de me lancer dans le clonage d'un homme préhistorique.
Des pastilles de préhistoire: le Présent du passé IV par Yves Coppens, 192p., Odile Jacob, 22,90€Odile Jacob
Bio-bibliographie
Né à Vannes en 1934, Yves Coppens s'oriente très tôt vers la paléontologie. D'abord spécialiste des proboscidiens, il lance ses premières fouilles en Afrique au début des années 1960, qui l'orientent vers les hominidés. En 1974, il découvre, avec Donald Johanson et Maurice Taieb, le fossile d'une australopithèque amenée à devenir mondialement célèbre: Lucy. Directeur du Muséum national d'histoire naturelle et du musée de l'Homme, il multiplie les théories pour mieux comprendre les origines de l'homme, ainsi que de nombreux travaux de vulgarisation (dont les documentaires L'Odyssée de l'espèce, Homo sapiens et Le Sacre de l'homme). Il a longtemps animé la chaire de paléoanthropologie et de préhistoire au Collège de France.http://www.lexpress.fr/actualite/sciences/yves-coppens-il-n-existe-pas-de-personnes-blanches-seulement-des-decolorees_1757071.html