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Les drames des femmes de Mahomet

Publié le 22 mai 2016 par Les Lettres Françaises

drames femmes MahometIl y a de la tristesse, de la tendresse et de la colère dans le livre qu’Houria Abdelouahed consacre aux femmes de l’entourage de Mahomet, Les femmes du Prophète. Ces trois sentiments se succèdent ou se mêlent au fur et à mesure que l’auteure retrace la vie des épouses, des concubines et des filles du prophète de l’Islam, page après page, chapitre après chapitre. Car raconter les vies de Khadîdja, de Hafsa, d’Aïcha ou de Fatima, c’est trop souvent raconter une suite de vexations, d’humiliations et de rancœurs qui apparaissent ici au grand jour. Les anciens chroniqueurs de l’Islam n’ont pas cherché à dissimuler les faits mais, à leurs yeux, leur simple banalité ne méritait ni développements ni commentaires appuyés. En choisissant le point de vue, non de Mahomet lui-même et de ses proches compagnons, mais celui des femmes, Houria Abdelouahed choisit un décentrement du regard salutaire et nous fait tableau bien différent de celui de la Tradition musulmane.

Il est très significatif que la vie la moins sombre ici fût celle de Khadîdja, la première femme de Mahomet, plus riche et plus âgée que lui et qui choisit son mariage. Elle fut significativement son unique femme jusqu’à sa mort et eu un rôle décisif dans l’acceptation de sa vocation de « prophète » par son mari. Après la mort de Khadîdja, Mahomet non seulement se remaria mais devint polygame et la chronique de la vie de ses femmes et aussi celle de ce qu’est la polygamie pour la condition féminine. La polygamie est un moyen pour consolider des alliances et des fidélités lorsque Mahomet maria Hafsa et Aïcha, les filles des futurs califes Umar et et Abu Bark ; et qu’importe si Aïcha n’avait pas dix ans lorsqu’on lui donna un quinquagénaire comme époux ! La polygamie est aussi l’expression de la puissance du conquérant lorsque Safiya fut prise comme épouse après la destruction de sa tribu juive de Khaïbar. Dans un monde finalement assez procédurier ou l’adultère est condamné de mort, la polygamie est aussi une manière d’assouvir des désirs dont seuls les hommes conservent l’usage : ainsi du mariage de Mahomet avec la belle Zanaïb, qui divorça pour l’occasion de son mari Zaïd, le fils adoptif de ce dernier. Le point de vue des femmes est bien évidemment différent : l’auteure fait revivre avec force et empathie la douleur d’être mariée au bourreau des siens, le peur d’être répudiée dans la crainte du déshonneur qui retomberait sur toute la lignée ou la jalousie devant une nouvelle rivale qui ravirait l’attention de l’époux.

Car la polygamie assure la domination masculine de nombreuses manières, notamment en faisant de l’homme l’objet de toute l’attention des femmes rivalisant entre elles pour obtenir ou conserver le triste statut de « préférée ». Et cette rivalité fut d’autant plus accentuée ici qu’il s’agissait de s’assurer l’intérêt et les nuits du « Messager de Dieu ». Ainsi les femmes du prophète de l’Islam obtinrent le statut de « Mère des croyants », promesse de l’accès au paradis mais aussi titre de prestige auprès des croyants eux-mêmes. Il n’est pas fortuit que la femme préférée du Prophète, Aïcha, qui fut mariée nubile et fut à ses côtés jusqu’au dernier souffle, fut devenue la principale source de ses hadiths (propos) mais aussi une figure politique et d’autorité après sa mort, et ce jusqu’au champ de bataille.

C’est là que se redouble le drame selon Houria Abdelouahed : drame individuelle des humiliations et des tourments mais aussi drame historique plus global. Car les actes relevant généralement de motifs tribaux et archaïques ou des inclinaisons individuelles d’un homme prétendant « être vigoureux comme quarante autres », sont devenus des principes fondateurs d’une foi. Tout ce qui s’est passé durant cette courte fenêtre historique s’est nimbé de sacré. L’auteure raconte avec un mélange de tristesse et de férocité, l’avalanche de questions angoissées posées par les croyants à Aïcha pour, grâce à la vie sexuelle de Mahomet, découvrir ce qui est licite et ce qui ne l’est pas : que faire lors des règles d’une femme, quel contact est autorisé entre le sexe masculin et les lèvres féminines… ?

Plus généralement, pour beaucoup de croyants vivant dans une vision enchantée des premiers temps de l’Islam, la vie imposée aux femmes du Prophète constitue un idéal de rectitude morale et religieuse. Il y a là assurément une méprise à dissiper au plus vite que permet Les femmes du Prophète. Mais il ne s’agit pas que d’un livre d’histoire mais aussi un de ses livres qui, à la manière de ce faisait Michelet, nous rappelle des vies, voire « rappelle à la vie » des existences escamotées ou obscurcies par la mémoire humaine, trop souvent mémoire des riches, des puissants et des hommes.

Baptiste Eychart

Houria Abdelouahed, Les femmes du Prophète, Édition du Seuil, 283 pages, 19€.



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