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Loi Travail, regardons les (vrais) détails …

Publié le 25 mai 2016 par Ps76
Loi-Travail-tribune-de-Guillaume-Bachelay

Tribune de Guillaume Bachelay, député de Seine-Maritime sur la loi travail

Le Premier ministre a engagé – conformément à la Constitution – la responsabilité du gouvernement sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs. L’Assemblée nationale a débattu de la motion de censure déposée par l’opposition et ne l’a pas adoptée. Je souhaite revenir précisément sur le texte, son contenu réel, ses objectifs et son évolution afin d’éclairer les citoyens par des faits et des arguments.

Nos économies et nos sociétés connaissent, dans un monde interdépendant, des bouleversements technologiques inédits.

L’économie de l’immatériel va transformer les modes de production, d’organisation, de déplacement, de consommation. Ce monde nouveau est celui de la révolution numérique. Potentiel de croissance et d’emplois, elle est aussi source d’« ubérisation » – l’actualité récente l’a montré. Le salariat, qui reste la forme essentielle du travail, est confronté à ces évolutions. Des formes nouvelles d’activité émergent, indépendants, auto-entrepreneurs, employés des plateformes numériques, etc. Les trajectoires professionnelles seront de plus en plus marquées par les changements de métiers, de lieux d’activité, par les périodes alternant temps de travail et de formation, par le télé-travail.

Nécessaire, l’action l’est aussi face au chômage de masse – 3,5 millions de demandeurs d’emploi dont beaucoup de longue durée et peu qualifiés, un jeune sur quatre sans emploi – et à la précarité – neuf embauches sur dix se font en CDD ou en mission d’intérim, cela n’existait pas il y a quinze ans, le CDI, c’est-à-dire la stabilité, est de plus en plus difficile, notamment pour les jeunes.

Face à cette réalité vécue, la responsabilité du politique et singulièrement la mission de la gauche est d’agir pour que les individus, les entreprises, les territoires puissent maîtriser ces mutations et non qu’ils les subissent. C’est une question décisive pour notre économie et notre modèle social, dans le présent et pour l’avenir. C’est un enjeu essentiel pour les générations qui viennent et qui veulent créer, innover, travailler, s’accomplir. Dans ce monde nouveau, le choix du progrès consiste à anticiper, à moderniser et à protéger.

Le projet de loi Travail s’inscrit dans cette perspective. Son élaboration a été un cheminement, un processus, avec le compromis pour principe et pour méthode.

Tout au long de l’année 2015, des travaux collectifs, conduits par des personnalités aux compétences reconnues, avaient précédé son élaboration : sur les principes de notre droit du travail (comité Badinter), la révolution numérique (rapport Mettling), la négociation collective (mission Combrexelle).

A la mi-février, la version du texte transmise au Conseil d’Etat a été rendue publique – il ne s’agissait pas du projet de loi examiné en Conseil des ministres ni a fortiori par le Parlement. Le Parti socialiste, par la voix du Premier secrétaire, a immédiatement jugé cet avant-texte déséquilibré et demandé qu’il soit largement réécrit en vue de parvenir au bon compromis entre la souplesse nécessaire pour les entreprises dans la compétition économique et la sécurité indispensable pour les salariés. Cette demande a été de nouveau formulée le 7 mars lors du Bureau national qui a reçu la ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social pour trois heures d’échange sur le fond du texte.

Cette semaine-là et la suivante, le gouvernement a engagé une phase de concertation avec les organisations syndicales, patronales et de jeunesse. Le 14 mars, le Premier ministre a restitué le résultat de ce dialogue avec les partenaires sociaux. Des évolutions essentielles ont été apportées, soit pour corriger des dispositions initiales (pas de barème prud’homale impératif, pas de forfait jour sans accord, des garanties sur le temps de travail des apprentis notamment), soit pour en améliorer d’autres (compte personnel d’activité renforcé – CPA, mandatement syndical pour négocier dans les entreprises où il n’y a pas de représentation syndicale, etc.). Dans le même temps, d’importantes mesures ont été décidées par le gouvernement pour lutter contre la précarité des jeunes avec, notamment, la généralisation de la Garantie jeunes.

Ce projet rééquilibré a reçu l’assentiment des syndicats réformistes suite à la prise en compte de leurs demandes sur ces enjeux décisifs et sur beaucoup d’autres. Le jour même, j’ai salué ces avancées pour un équilibre permettant de protéger les travailleurs et de conforter l’activité des entreprises tout en indiquant les précisions et améliorations restant à apporter. Le 24 mars, le projet de loi était présenté au Conseil des ministres. Le texte est alors entré dans sa phase parlementaire.

Grâce au travail réalisé par l’Assemblée nationale, d’autres avancées ont eu lieu.

Du 30 mars au 7 avril, les commissions des Affaires sociales et des Affaires économiques ont auditionné les partenaires sociaux et amendé le texte. Des progrès supplémentaires et substantiels ont été apportés au projet de loi, à l’initiative du rapporteur Christophe Sirugue et du groupe SRC, avec l’objectif constant de bâtir un compromis permettant un large rassemblement. Ils ont porté sur les nouveaux droits pour les salariés, les mesures en faveur des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME), les conditions de la négociation collective. Lors du travail en commission, l’opposition a multiplié les amendements d’inspiration libérale (retour aux 39 heures payées 35, assouplissement de la rupture du contrat de travail, suppression des CHSCT, limitation des responsabilités des instances représentatives du personnel, reconnaissance des candidatures sans affiliation syndicale aux élections professionnelles, suppression du compte pénibilité, apprentissage à 14 ans). La majorité a repoussé ces amendements de la droite qui en disent long sur sa vision du monde du travail et son projet pour le pays. Le 3 mai, l’examen du projet de loi a commencé dans l’hémicycle.

Je remercie mon collègue Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire, pour son travail.

Il l’a conduit avec le souci permanent de parvenir à un compromis. Je regrette que ce compromis, proposé par notre rapporteur, accepté par le gouvernement et approuvé par l’immense majorité du groupe socialiste réuni mardi 10 mai, n’ait pas permis de garantir un vote unanime de la majorité dans l’hémicycle. C’est dans ce contexte, alors même que les évolutions demandées avaient été prises en compte, que le gouvernement a dû engager sa responsabilité.

Dans le débat public, il faut respecter les opinions mais il faut tout autant respecter les faits : ce projet de loi a fait l’objet d’une large réécriture pour aboutir à l’équilibre dont son contenu témoigne.

La version du texte d’aujourd’hui intègre le travail parlementaire accompli pour améliorer le texte en commission (soit 330 amendements adoptés) et dans le cadre de l’examen en séance (468 amendements retenus). Y figurent en particulier deux points clés portés par le rapporteur : le périmètre mondial pour évaluer les difficultés d’un groupe et le renforcement de l’articulation entre branches professionnelles et négociation d’entreprise.

Pour les salariés, des droits nouveaux et des protections renforcées sont prévus.

Le compte personnel d’activité (CPA) qui permet à tous les actifs de capitaliser des droits tout au long de leur parcours professionnel est créé. Voilà vingt ans qu’à gauche, nous nous battons pour la sécurisation des parcours professionnels : le CPA en est le socle et la première étape. Les droits qu’il contient seront attachés aux individus, non au statut ; ils pourront les utiliser aux moments nécessaires, par exemple pour acquérir de nouvelles compétences.

Sont également prévus : un capital formation pour les jeunes décrocheurs et les demandeurs d’emploi peu qualifiés ; la majoration des droits à la formation pour tous les actifs peu qualifiés – ils passeront de 24 heures à 40 heures, chaque année, dans la limite d’un plafond de 400 heures ; la généralisation en 2017 de la Garantie jeunes qui octroie une formation et une allocation de 500 euros à tous les jeunes de 16 à 25 ans sans qualification et sans emploi ; la reconnaissance de l’engagement citoyen avec la prise en compte du bénévolat et le service civique dans le CPA ; le renforcement des congés payés dont le calcul commencera dès l’embauche et non plus au bout d’un an et en cas de licenciement pour faute lourde, les congés payés acquis ne seront pas perdus – concernant le congé maternité, la période de protection contre le licenciement est portée de quatre à dix semaines ; le droit à la déconnexion pour protéger les temps de repos des salariés, leur vie familiale et personnelle contre les sollicitations de l’entreprise à domicile ; la lutte contre le dumping social avec le durcissement des sanctions contre le détachement illégal de travailleurs via, par exemple, la suspension du chantier quand il n’y a pas de déclaration de détachement ou encore la lutte contre les fraudes dans l’intérim (ce qui complète l’arsenal français et en fait le plus exigeant d’Europe en la matière) ; un plancher de 6 mois de salaire pour l’indemnisation des licenciements discriminatoires liés notamment au sexe, à la grossesse, à la situation familiale ou à toute forme de harcèlement. D’autres évolutions positives concernent la situation des travailleurs saisonniers, les personnes en situation de handicap, les salariés outre-mer.

De nombreuses mesures bénéficieront également aux petites et moyennes entreprises.

Elles sont plus de trois millions en France et emploient un salarié sur deux. Elles pourront davantage anticiper les évolutions : dans les territoires, nous savons que des règles plus prévisibles et plus stables sont attendues par les PME et les TPE. Elles pourront provisionner le risque de contentieux constituant ainsi une réserve de précaution. Sont également prévues la création d’un service public d’accès au droit en direction des PME pour leur apporter le conseil juridique qui trop souvent leur manque, la possibilité pour l’employeur de se prévaloir des avis rendus par l’administration, la possibilité de financer en franchise de cotisations sociales des activités sociales et culturelles pour les salariés.

La négociation collective est renforcée pour que les salariés aient plus de pouvoir afin d’agir sur leur réalité grâce au dialogue social de proximité.

De cette façon, les syndicats et les représentants des salariés pourront proposer, évaluer, peser davantage dans la vie et les choix de l’entreprise. Croire ou faire croire que l’accord d’entreprise est toujours privilégié pour contourner la branche est inexact, sinon pourquoi près de 40 000 accords sont-ils signés chaque année dans leur écrasante majorité par les organisations syndicales dans leur diversité ? Le pouvoir de négociation accordé aux partenaires sociaux dans l’entreprise sur l’aménagement du temps de travail est renforcé sans remise en cause des droits fondamentaux des salariés : la durée légale du travail, le salaire minimum et le contrat de travail restent fixés par la loi. La légitimité des accords d’entreprise est consolidée avec la nécessité d’obtenir l’accord des organisations syndicales qui représentent au moins 50 % des salariés (au lieu de 30 % aujourd’hui). En cas de blocage, les syndicats représentant au moins 30 % du personnel pourront organiser une consultation des salariés. A défaut d’accord, c’est la loi qui continue de déterminer les règles supplétives qui s’appliquent. S’y ajoute une garantie de plus, évoquée plus haut, relative aux branches professionnelles.

Autre évolution : ce projet de loi donne une place à la représentation syndicale là où il n’y en avait pas grâce au mandatement dans les PME et les TPE.

La formation et les moyens des syndicats sont améliorés via, par exemple, une hausse de 20 % des heures de délégation des délégués syndicaux et la protection des bourses de travail. Quant au nombre de branches professionnelles, il sera réduit à 200 pour rendre les conventions collectives plus efficaces. Une entreprise, ce sont les salariés et pas seulement l’employeur ; c’est aussi une collectivité dont les acteurs doivent, sans nier les intérêts distincts ni les enjeux communs, pouvoir négocier pour avancer.

Telle est la réalité du texte et du contexte.

Que le débat sur ce projet de loi, au début de l’année, ait été lesté d’erreurs et de malentendus, c’est une évidence, un constat partagé, le gouvernement en a lui-même convenu. Avec la même rigueur, il faut admettre que depuis trois mois – trois mois d’écoute, de dialogue, de travail sur le fond du texte – des corrections ont apportées aux éléments de déséquilibre, les avancées initiales ont été préservées et très souvent bonifiées, des progrès supplémentaires ont été ajoutés. Je note d’ailleurs que le Medef ne se retrouve pas dans la version adoptée ce jour.

Etre socialiste aux responsabilités du pays, c’est bâtir des solutions pour répondre aux problèmes vécus par les Français, avec nos valeurs et en regardant la réalité telle qu’elle est.

La réalité, c’est que beaucoup de nos concitoyens vivent la précarité, enchaînent les contrats à durée déterminée, les missions d’intérim, les périodes de chômage.

Sur les 90 % de CDD que représentent les recrutements qui se font aujourd’hui, la moitié le sont pour une durée inférieure à une semaine. Parmi eux, il y a des femmes, des jeunes, des seniors, qui ont besoin de protections mais aussi d’accompagnement et de qualification. Voilà pourquoi depuis 2012, nous avons créé les droits rechargeables pour l’assurance-chômage, le droit individuel à la formation, plus récemment la prime d’activité, auquel s’ajoutera prochainement le compte personnel d’activité. Voilà pourquoi, à la demande du Chef de l’Etat, un plan de 500 000 formations est déployé par l’Etat avec la quasi-totalité des Régions, par-delà les clivages. Voilà pourquoi les dispositions de la politique de l’emploi depuis quatre ans, dont les emplois d’avenir pour les jeunes, ont été complétées au début de l’année par la mesure d’« Embauche PME » : 270 000 entreprises l’ont déjà sollicitée.

La réalité, c’est que ce sont les entreprises, et d’abord nos PME, qui créent les emplois.

Elles se battent chaque jour pour conquérir des parts de marché, rendre leur production innovante, performante, développer l’activité ; mais dans un monde ouvert et concurrentiel, elles ont besoin de capacités pour s’adapter face aux aléas de la conjoncture. C’est pourquoi depuis quatre ans, nous avons créé la BPI à destination des PME et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), élargi le crédit d’impôt recherche aux dépenses d’innovation des PME, soutenu les investissements d’avenir et conçu les plans de la Nouvelle France industrielle, engagé la transition écologique, énergétique, numérique (c’est la compétitivité « hors-coût » pour la montée en gamme) et agi, avec le CICE et le Pacte de responsabilité et de solidarité, pour redresser les marges des entreprises afin qu’elles puissent investir, exporter, embaucher (c’est la compétitivité « coûts » pour les capacités). Depuis 2012, l’appareil productif a été redressé, ce qui est indispensable à la lutte contre le chômage, au financement durable de notre protection sociale, à la souveraineté de la nation dans la mondialisation.

La réalité, ce sont aussi les mutations profondes qui se diffusent et qui s’accélèrent.

Regarder le monde en face, c’est en prendre la mesure. Le travail – qui ne le constate pas ? – devient plus fragmenté, collaboratif, diversifié et dispersé. 30 % des salariés travaillent en horaire décalé. Numérisation des tâches, risques d’ubérisation de secteurs d’activité, reconfiguration des métiers et des professions sous l’effet de ces mutations, développement de la multi-activité, mais aussi de l’individualisation à l’œuvre au sein de l’entreprise : chaque mois, en France, on compte 25 000 ruptures conventionnelles ! Une telle individualisation doit nous interpeller et susciter des réponses adaptées. Face à ces évolutions, à ce nouvel âge du travail, la responsabilité politique consiste à ne pas laisser les personnes et les entreprises y être confrontées seules, sans protections ou perspectives. La responsabilité politique, celle qui fait l’engagement socialiste et que commande l’intérêt général, consiste à construire des réponses face à ces bouleversements technologiques, économiques, sociaux, sociétaux, d’inventer des protections, des droits, des règles, des solutions. Avec un mot d’ordre : le compromis dynamique, juste, dans une société de partenaires et non d’adversaires.

Certains pensent, souvent sincèrement, que dans un monde qui bouge, il faudrait le statu quo : mais qui peut croire que les évolutions des technologies et de l’économie arrêteraient leur cours parce que nous l’aurions décrété et que les défis qui nous sont posés comme nation ne seraient plus, comme par magie, à l’ordre du jour ?

D’autres, les libéraux conservateurs, affirment que pour avancer dans la mondialisation, la France devrait se délester de son modèle social.

C’est ce que proposent les candidats à la primaire de la droite : suppression des 35 heures, précarisation du contrat de travail, report de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, plafonnement des minima sociaux, suppression du tiers payant généralisé et du compte pénibilité, réduction de services publics et suppression de centaines de milliers de postes dans la fonction publique (moins 300 000 fonctionnaires pour A. Juppé et N. Sarkozy, moins 600 000 pour F. Fillon sur cinq ans, moins un million pour B. Le Maire sur dix ans), remise en cause du dialogue social, des corps intermédiaires et du paritarisme, suppression de l’ISF, etc. Que personne ne s’y trompe : le programme de la droite, c’est la revanche libérale et le démantèlement du modèle social français.

Quant à l’extrême droite, elle voudrait une France repliée, à l’écart du monde, sortie de tout, de l’euro, de la PAC, de l’Europe, de la scène internationale : dans un monde interdépendant, cette impasse mènerait le pays à la ruine et le sortirait de l’Histoire.

Voilà pourquoi le chemin que nous proposons est crédible et juste, capable de conjuguer le développement économique et le progrès social, modernisations et protections, en préférant la pratique du compromis à la culture de la défiance. C’est notre cohérence d’action dans l’histoire et depuis quatre ans. C’est la conviction et l’action de la gauche qui fait le choix des responsabilités, qui se confronte à la réalité pour l’améliorer, aux difficultés pour les surmonter. A nous d’expliquer et d’argumenter dans le débat public et dans une époque où il y a tant de contre-vérités, de polémiques, d’invectives, de postures, de surenchères, de « buzz ».

Quand on songe aux mutations à l’œuvre dont certaines font déjà sentir leurs effets dans la vie quotidienne des travailleurs, et quand on regarde précisément, objectivement, le projet de loi Travail dans son contenu d’aujourd’hui, alors on peut mesurer qu’il contient des réponses concrètes et des droits nouveaux pour les salariés comme pour les entrepreneurs, à la hauteur des défis du monde du travail au 21ème siècle.


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