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La liberté de presse n’a pas de prix, sauf que…

Publié le 26 mai 2016 par _nicolas @BranchezVous
La liberté de presse n’a pas de prix, sauf que… Exclusif

Voici une drôle d’histoire dans laquelle un milliardaire libertarien de la Silicon Valley tente de détruire un semi-géant des médias en ligne par personne interposée. Oh, et la personne interposée, c’est Hulk Hogan. Ouais.

S’il y a un prince charmant dans le lot, ou même un seul individu moins louche qu’un roublard chaotique-neutre dans une partie de Donjons et Dragons, on ne l’a pas encore trouvé.

Si vous aimez les beaux contes de fées dans lesquels les gentils triomphent à la fin, ce billet risque de vous décevoir amèrement. 

D’abord, parce que le conte n’est pas encore fini et qu’on ne sait donc pas qui va gagner. Mais surtout, parce que pas mal tous les personnages qu’on y retrouve sont des méchants, ou du moins des pas-propres-propres. S’il y a un prince charmant dans le lot, ou même un seul individu moins louche qu’un roublard chaotique-neutre dans une partie de Donjons et Dragons, on ne l’a pas encore trouvé. 

Ce qui n’empêche pas l’histoire d’être savoureuse et d’une importance peut-être capitale pour la liberté de presse.

Il était une fois un blond-chauve à la musculature rutilante…

L’histoire commence en 2012 lorsqu’une vidéo porno amateure (un sex tape, pour être plus précis) se retrouve sur l’un des serveurs de Gawker Media, la compagnie qui publie les respectés sites techno Gizmodo, Kotaku et Lifehacker, mais qui a aussi détenu dans sa besace corporative une série de blogues à potins plus ou moins fréquentables et plus ou moins éphémères, dont Gawker lui-même est sans doute le mieux connu.

La vidéo en question met en vedette le lutteur professionnel et acteur Terry Gene Bollea, mieux connu sous le nom de Hulk Hogan, et l’ex-femme de l’animateur de radio Bubba the Love Sponge (il a légalement changé son nom en 1999), un ami de longue date du multiple champion de la WWE.

Horrifié de voir cette production privée devenir soudainement publique, Hogan poursuit Gawker pour 100 millions de dollars et, en mars dernier, un jury de Floride lui accorde une indemnité encore supérieure à ce qu’il demandait. Gawker annonce immédiatement que la cause sera portée en appel, mais la compagnie doit tout de même remettre 50 millions au tribunal en garantie – une somme assez rondelette pour n’importe qui, particulièrement pour un réseau de blogues.

L’éminence grise derrière le trône

Comme si cette histoire n’était pas déjà assez sulfureuse, voilà que le magazine d’affaires Forbes affirme cette semaine que la poursuite de Hogan contre Gawker est financée en sous-main par Peter Thiel, un milliardaire de Silicon Valley qui souhaite en découdre avec la compagnie. 

Thiel, qui a fait fortune avec PayPal et Facebook, est un personnage controversé qui finance un programme de bourses pour entrepreneurs à condition que ceux-ci renoncent à aller à l’Université et qui voudrait instaurer un paradis libertarien dans l’espace ou au milieu des océans pour échapper à la tyrannie des États et des taxes. Non-riches s’abstenir, genre.

Ce que Thiel cherche à gagner dans cette affaire n’est pas entièrement clair, mais on sait que Gawker a déjà tenté de le sortir du placard de force, quelques années avant qu’il ne décide de le faire de son plein gré. Forbes affirme aussi que l’avocat qui représente Hogan est impliqué dans une série d’autres poursuites pharaoniques contre Gawker mais ne peut ni confirmer, ni infirmer que Thiel les finance elles aussi.

La liberté d’expression pour quoi, au juste?

Difficile d’avoir de la sympathie pour qui que ce soit dans cette histoire. 

Un résumé de la couverture médiatique offerte par Valleywag selon le New York Times.

Un résumé de la couverture médiatique offerte par Gawker et Valleywag selon le New York Times.

D’un côté, vous avez une compagnie qui patauge dans la bouette en publiant le sex tape privé d’un bonhomme dans la soixantaine sans son consentement – on ne sait pas exactement ce qu’il en est de sa partenaire et de l’ex-mari de celle-ci; leur rôle dans la fuite est plutôt nébuleux – et qui cherche maintenant à se protéger contre les conséquences de son geste en invoquant la liberté de la presse.

De l’autre, un richissime homme d’affaires qui a longtemps financé un organisme voué à la défense des journalistes (!) et qui semble maintenant profiter de sa richesse pour tenter de mettre un média en faillite et ainsi se venger, par la bande, d’un sale coup qui date d’une dizaine d’années. Quitte à expédier pas mal d’innocents au chômage par la même occasion.

Bref, c’est un combat entre deux formes de liberté pas plus louables l’une que l’autre.

Et entre les deux, un type qu’on aurait envie de prendre en pitié si un autre enregistrement ébruité dans le cadre du procès n’avait pas révélé ses penchants racistes

Bref, c’est un combat entre deux formes de liberté pas plus louables l’une que l’autre : la liberté de faire du web-poubelle sur le dos d’une semi-célébrité, et celle d’utiliser son argent pour déterminer qui a le droit de participer au débat sur la place publique.

Peu importe qui finira par gagner, il serait bien étonnant que l’Humanité sorte de cette affaire grandie.


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