Publiéle 26/05/2016 par Philippe Baroux
Bruno Marchat (à gauche), le secrétaire général du groupe Picoty, et le directeur du dépôt de la Pallice, Olivier Bourdut, devant les quatre nouvelles cuves où les essences ont été transférées.
©XAVIER LEOTY
A la Pallice, le groupe Picoty est autorisé à exploiter pour trente ans. Quel est son projet pour le dépôt de carburant ? Explication de la direction.
Le 12 décembre 2008, le groupe Picoty obtenait le permis de construire quatre cuves de stockage de carburant d'une capacité de 40 000 mètres cubes, à la Pallice. Sept ans plus tard, le 12 juin 2015, le Grand Port maritime donnait à l'entreprise la capacité de poursuivre son activité sur le site pour une durée de trente ans, à travers le renouvellement de son autorisation d'occupation temporaire (AOT). Entre ces deux dates, et aujourd'hui encore, Picoty se heurte à des demandes fortes et maintes fois exprimées par des habitants du quartier, notamment relayées au travers de l'association Respire. Est réclamé le déplacement des sept cuves les plus proches des habitations.Jamais, durant cette période, les dirigeants de Picoty ne s'étaient exprimés dans les médias. Le secrétaire général du groupe, Bruno Marchat, brise aujourd'hui ce silence.
Pourquoi ce silence de l'entreprise Picoty face à vos opposants ?Bruno Marchat J'en suis un peu à l'origine. Je pense que, quoi que nous disions, tout est sujet à polémique. Nous ne pouvions pas nous placer dans une telle situation pour une affaire telle que le renouvellement de l'AOT. Cela aurait nui à l'entreprise. Durant cette période, nous avons pris des coups, or nous voulions avancer sereinement. Difficile d'être communiquant dans ces conditions. Après, soyons clairs, ça n'est pas une affaire de personnes. Nous avons obtenu une AOT de trente ans, et nous souhaiterions que cela se passe de la manière la plus intelligente possible.Pourquoi accepter un rendez-vous aujourd'hui avec un journaliste ?Cela ne veut pas dire que le climat est moins tendu. Mais nous étions inquiets pour l'AOT. Je ne voulais pas que l'on puisse dire, si nous avions pris la parole publiquement, que nous faisions du chantage à l'emploi. Si nous n'avions pas obtenu l'AOT, ou si nous avions obtenu une AOT réduite dans sa durée, ça aurait été un gros souci pour l'entreprise. Peut-être est-ce plus facile de parler aujourd'hui…Ce serait à refaire, vous resteriez silencieux ?Oui, complètement.Dans le cadre de cette AOT, quel est le projet de Picoty à la Pallice pour les trente prochaines années ?Lors d'une réunion convoquée en préfecture de région, avant la décision du conseil de surveillance du Grand Port, je m'étais livré à un exercice de prospective sur l'évolution de la distribution pétrolière dans les trente ans qui viennent. C'est important pour comprendre la situation à la Pallice. À retenir en préambule : nous sommes dépendants de l'évolution de la fiscalité sur les produits pétroliers. Le fuel, qui était l'un de nos cœurs de métier chez Picoty est en perte de vitesse. La mise en place du certificat d'économie d'énergie impose d'en vendre moins à périmètre constant, au risque d'être taxé.
« L'association Respire a été un poil à gratter. Les choses auraient-elles été différentes sans Respire… ? »
Il y a une volonté gouvernementale d'augmenter la fiscalité sur le fuel, pour favoriser le développement des véhicules à essence. Nous sommes partis de cette hypothèse. Difficile de mettre une échéance, mais cela va entraîner dans un premier temps l'augmentation de la vente d'essence. Avec nos quatre nouvelles cuves, où nous stockons l'essence depuis avril dernier (nous l'avons donc éloignée des habitations les plus proches), nous sommes dotés pour plusieurs années. Le plan de prévention des risques technologiques nous interdit de stocker l'essence dans les cuves les plus proches des habitations. Si dans l'avenir le marché demandait davantage d'essence, et si alors nous devions augmenter notre capacité de stockage, nous avons, de l'autre côté de la rue de Béthencourt, l'emprise foncière suffisante.Depuis avril, dites-vous, il n'y a plus d'essence dans les sept cuves proches des habitations, mais du gazole. Mais d'ici huit ans, vous n'aurez plus le droit d'y stocker aucune matière dangereuse. Que se passera-t-il alors ?Dans huit ans, nous aurons le choix de ne plus stocker là des produits dangereux ou de détruire ces bacs. Nous pourrons y stocker des huiles végétales, des esters méthyliques, tout ce qui est liquide. Il ne faut rien écarter, je ne sais pas ce qu'il adviendra dans trente ans des énergies liquides. Mais, huit ans, cela nous laisse du temps de réflexion.Respire demandait une AOT de cinq ans maximum, vous avez obtenu trente ans. Ce fut donc un grand soulagement ?Cinq ans, on nous tuait. Picoty est une entreprise indépendante. Cette indépendance vis-à-vis des raffineurs, nous l'avons gagnée notamment au travers du dépôt de La Rochelle. Il nous permet de faire nos importations comme nous le voulons. Une AOT de cinq ans, c'était changer la règle de concurrence et nous mettre dans une situation difficile. Nous sommes un groupe qui emploie un millier de personnes. Mais il n'y a pas que le carburant dans nos métiers. Nous nous sommes diversifiés. Par exemple, à Poitiers une de nos filiales vend du grillage, dans la Haute-Vienne, une autre vend du vin.Les énergies restent notre cœur de métier. Mais au sens large : nous sommes par exemple distributeurs de gaz en réseau depuis plus d'un an. Nous avons aussi un agrément pour distribuer du GNL (NDLR, gaz naturel liquéfié) qui peut intéresser les poids lourds, et les collectivités locales pour leurs réseaux de bus.Ce qui a cristallisé au départ les hostilités, c'est ce sentiment que le permis de construire les quatre nouvelles cuves a été instruit en catimini. Vos opposants évoquent des réunions d'information convoquées sur invitation.On parle beaucoup de Picoty. Mais il y a d'autres sites à risques à La Rochelle. Nous pensons que la construction de ces quatre bacs ne nous a pas aidés, alors qu'ils sont à double enveloppe et sécurisés. Catimini ? Peut-on parler de catimini ? La loi Bachelot a un gros avantage, elle crée les conditions du dialogue. D'abord avec les comités locaux d'information et de concertation remplacés par les comités de suivi de sites. On peut très bien dire que la parole est bridée. La réalité, c'est que chacun peut s'exprimer. Après, on peut estimer que la loi ne va pas assez loin. Nous avons toujours été dans le cadre de la loi.Pour autant, iriez-vous jusqu'à affirmer que si Respire n'avait pas manifesté vous auriez corrigé votre projet ?C'est difficile comme question. Rationnellement pour le dépôt, c'est la meilleure des solutions. Les bacs à double enveloppe, tels que ceux que nous avons installés, n'existent pas depuis des années. Nous essayons de suivre ce qui se fait de plus sécurisant. Respire a été un poil à gratter malgré tout. Est-ce que les choses auraient été différentes sans Respire… ? Pas sûr. Mais cela n'a pas été facile. Ce n'est pas facile le matin dans la presse, une fois, deux fois, trois fois, d'en prendre plein la figure.Vous parlez de Respire au passé ?Ils sont toujours là, et pas absents. Ils étaient présents le 20 mai dernier dans le cadre du comité de suivi de site. On tape toujours sur Picoty. Or, nous sommes une entreprise qui a conscience de sa responsabilité sociétale. Nous sommes présents parmi les partenaires du Stade Rochelais. A l'étranger, à Madagascar, l'une de nos filiales est intervenue dans les domaines de la santé, de l'éducatif, de la sécurité civile, or ça n'était pas du tout un prix à payer pour travailler sur notre projet de graine de jatropha (NDLR, dans le cadre d'un projet biocarburants). Nous l'avons fait parce que nous le voulions.Rôle des politiques« Nous ne sommes pas responsables de tout, exprime Bruno Marchat. Nous essayons d’exercer notre activité le plus honnêtement possible. La question du rôle des politiques reste une interrogation. C’est une question compliquée. Nous ne demandons pas qu’ils soient du côté de l’industriel ou du côté des riverains. Nous leur demandons d’essayer de fédérer les uns et les autres quand un problème survient.Le maire de La Rochelle a toujours été très clair avec nous. Maxime Bono a fait ce qu’il pouvait et lui, comme nous, n’avons vu venir l’impact que Respire allait avoir. Nous n’avions d’ailleurs aucune expérience de ce genre de situation.Jean-François Fountaine a fait pression pour savoir ce que serait l’évolution du dépôt dans les trente prochaines années. C’est vrai, cela nous a obligés à un exercice prospectif. Difficile, trente ans, c’est long. Je crois aussi qu’il a essayé de rapprocher les riverains et l’industriel. Compliqué, chacun campant sur ses positions. »Le lien de confiance est briséQUE DIT BRUNO MARCHAT DU LIEN DE CONFIANCE BRISÉ AVEC LE QUARTIER, ET NON RENOUÉ ?« Il faudra du temps. Ce lien, jamais nous n’avons souhaité qu’il soit défait. Nous avons reçu les associations de quartier, et Respire, un soir avec Michel Picoty, le président de notre directoire. Nous étions à l’écoute. Dans la discussion, ils n’ont pas nié que nous investissions pour la sécurité, mais je me souviens de ces paroles qui ont conduit à ce qui s’est passé après : ils ont dit “quand on ouvre nos fenêtres, on ne veut plus voir les cuves”. Là, ça a posé problème.La difficulté, c’est la cohabitation entre le monde industriel et les particuliers. On a l’impression que c’est l’entreprise contre les riverains. Mais nous avons tous été confrontés au même problème : des plans locaux d’urbanisme successifs qui ont laissé les habitations se construire au pied des cuves. Avec Respire, nous n’avons pas la même notion du temps. Nous savons qu’il y aura des évolutions dans ce dépôt, mais il nous faut le temps de les organiser. Ce n’est pas un hasard si notre demande portait sur une AOT de trente ans.Répondre à la demande de Respire de déplacer les cuves, c’était un investissement de 30 millions (NDLR, 27,3 millions selon le rapport de l’Institut national de l’environnement et des risques industriels). Un investissement au sens fiscal, pas productif de revenu, et supporté par l’entreprise. Nous n’avons pas les moyens d’un raffineur. Trente ans, c’est un million par an pour réfléchir à la réorganisation du dépôt. »http://www.sudouest.fr/2016/05/26/-2376396-4583.php