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Max | Rouge et Blanc

Publié le 30 mai 2016 par Aragon

repesp.jpgCe matin obsèques à Amou du père de mon ami d'enfance et de toujours Jean-Charles. Après la cérémonie, selon l'habitude, la coutume, on se retrouve en la maison du défunt pour partager un temps de paroles, d'échange libatoire & dinatoire. La vie est ainsi, elle est la vie, elle régente heureusement tout, le quotidien joyeux ou non, quand c'est un "non" funèbre elle prend en charge le protocole des funérailles, celui de "l'après" qui est échange donc, relation, retrouvailles, avant de replonger chacun de son côté, dans sa propre vie.

Honneur ayant été rendu au mort. Honneur, mémoire, souvenir. Je n'aime pas trop à présent l'exercice passéiste. La vie est là, l'avenir est aujourd'hui, dans l'heure qui suit, demain bien sûr. La vie n'est jamais avant. Il m'a fallu du temps pour comprendre ça.

Je rencontre à cette occasion Gérard, ami de Jean-Charles, que je ne connaissais pas. Même âge que moi. Il habite Toulouse. Curieusement, à distance, nous avons eu la même petite enfance. Nos mères étaient "épicières", elles vendaient des épices bien sûr, pas mal d'autres choses aussi dans leurs petites boutiques. Nous avons, Gérard et moi, portés sur nos dos de jeunes ados les mêmes bouteilles de gaz en livraison, avons eu les mêmes émois en débarquant chez la même "dame" qui nous accueillait en nuisette sexy, s'amusait à voir rougir de mal aise nos quatorze ans boutonneux et nous gratifiait à l'issue de la mise en place de la bouteille d'un pourboire sympa en nous remerciant aussi, parfois, sur le pas de la porte d'un bisou parfois bien appuyé. Livraison faite à l'insu de nos pères qui d'ordinaire privilégiaient sans rechigner ce type de livraison de gaz butane.

Gérard c'était à Toulouse, dans le quartier de la Côte Pavée si moi c'était à Amou. Même épicerie de proximité dans ce temps des trente glorieuses, ce temps béni d'ante grandes surfaces pour les petits épiciers qui n'existent plus de nos jours.

Si moi, en famille, j'ai résidé plus de vingt ans dans le petit village de Sainte-Marie dans la Barrousse commingeoise, lui, avait aussi une maison familiale à Cierp, à une portée de flèche. Rapprochement coïncidant, amusant, encore.

Mais Gérard et c'est pourquoi je rédige ce papier, m'a fait part dans nos quelques brefs instants de discussion qui se sont passés comme si on se connaissaient depuis toujours, d'une anecdote perso qu'il n'avait jamais raconté qu'à deux trois autres personnes. Son père, officier de l'armée de la jeune République espagnole, réfugié dans le Comminges à l'issue de la guerre civile, après être passé comme des dizaines de milliers de réfugiés de "la retirada" fuyant le facho-nazi-franquisme par les camps d'internement français de la honte des Pyrénées-Orientales ou Atlantiques où des milliers et des milliers d'entre eux laissèrent leurs vies en raison des conditions cauchemardesques d'enfermement, son père rencontra sa mère et la vie commença, les blessures du corps et de l'âme cicatrisèrent.

La mémoire restant, inscrite à jamais dans le coeur de cet homme qui avait voulu croire en un idéal de justice, un monde démocratique, une Espagne libre et républicaine, un pays en paix avec une vraie et belle histoire à écrire. Hélas, Franco passa par là et appuya de toutes ses forces néfastes, pendant près de quarante ans, ses bottes de caudillo sur la gorge du peuple d'Espagne.

Gérard m'a raconté qu'à une époque où les parents achetaient (en ville) du steak de cheval à leurs loupiots pour lutter soi-disant contre le rachitisme et les rendre "forts", son père n'avait jamais voulu le faire, expliquant à sa famille qu'il avait eu la vie sauve grâce à un cheval pur-sang arabe, qu'il avait enfourché avec la fougue et la dextérité d'un Comanche, le jour ou tombant dans une embuscade dans un étroit défilé montagneux, il avait entendu dire - faut croire qu'il était près de l'ennemi ! - "Tirez... tirez.... fuego... fuego... mata lo... abattez l'officier à la casquette...", une adresse qui lui était personnelle car il était capitaine et portait une casquette. En quelques bonds prodigieux le brave et extraordinaire animal, l'emportait déjà au loin, à l'abri de ces tirs assassins qui lui "trouèrent, pantalon, chemise, slip et marcel" (sic) mais le laissèrent, ainsi que sa monture, sans aucune blessure sinon quelques écorchures portées par le souffle de la mitraille qui les avaient pris comme essaim de guêpes en furie. Respect total pour les chevaux et pour la vie avait donc dit le miraculé cavalier chanceux.

J'ai trouvé extraordinaire l'histoire de cet homme, le papa de Gérard, ce héros presque hugolien au sourire si doux, cet homme de haute valeur humaine qui s'appelait Luis Garcia y Coto, qui était né au bord du rio Nalon à Sama de Langreo (Asturies). Gérard m'a laissé vers 15h tout à l'heure, il rentrait à Toulouse. J'ai gardé l'histoire de son héros de père chevauchant un cheval digne de la lignée des mythiques Bucéphale ou Tornado qui le sauvait par sa fougue et sa vélocité des balles ennemies. Quel beau et précieux cadeau !

Je pense à Albeniz et son "Asturias" que j'offre en dédicace à son père.

Je pense à "Maria" de Ferrat que je t'offre et te dédicace Gérard, toi qui me parlais de cette chanson en clôturant tes mots et en me disant que les guerres sont pires que tout et la pire des pires étant la guerre civile. Celle dans laquelle deux frères se tuent. Pour rien. Toujours pour rien. On meurt toujours pour rien dans une guerre.

Je pense à la "Cancion de jinete" de Lorca que je t'offre prestigieux coursier invincible, invulnérable, dont je ne connais pas le nom, pur-sang arabe zaïn qui sauva la vie de ton père Gérard.

Et je te dis salut Gérard, au plaisir de nous revoir !


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