Moins populaire que Desproges ou Coluche, Jean Yanne fut pourtant l’un des plus importants penseurs humoristes (avec Pierre Dac) de son époque. Le regard toujours acéré, celui qui refusa toutes les distinctions (dont un prix d’interprétation à Cannes pour le génial Nous ne vieillirons pas ensemble de Pialat en 72) pensait que la bêtise était la chose la mieux répartie dans le monde, distribuée également entre les riches et les pauvres. Pas de lutte des classes dans la connerie humaine ! Il n’aura donc de cesse de s’en prendre aux institutions, aux puissants et aux gros beaufs de la même manière. Incisif, mais toujours lucide, jamais vulgaire ou blessant. La société telle qu’il la décrivait il y a 40 ou 50 ans n’a malheureusement guère évolué, mais peu de gens ont pris le relais avec une telle acuité et un tel talent. Le monde des média était déjà passablement pourri dans les années 60, la censure bien présente, même si l’on s’aperçoit, amers, que la situation était plus favorable à l’époque. C’est dire à quel point l’on a régressé…Ce nouveau livre nous permet de renouer le contact avec cet esprit vif, dont les aphorismes et les pensées fulgurantes sont un juste remède à la morosité ambiante. Et l’extrait qui suit terriblement visionnaire…C’était il y a plus de 50 ans…
» Que souhaite le gouvernement ? Diriger un peuple d’êtres avachis à l’oeil terne, à la langue pendante, au regard tiède et au vote orienté. Un peuple d’individus fabuleusement bêtes à qui l’on pourra prendre ses sous, que l’on pourra faire travailler pour un salaire médiocre, que l’on pourra « télévision-gouverner » à loisir, que l’on pourra nourrir de slogans et de poulets français ! Un peuple d’andouilles à qui l’on pourra faire prendre des vessies pour des avantages sociaux ! Alors, messieurs du gouvernement ! Avez-vous vu le public de Johnny ? N’a t-il pas toutes les caractéristiques de cet ensemble que vous souhaitez mener à la baguette ? »
In L’Os à Moelle, 23 juillet 1964.
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