Roots est une nouvelle minisérie de 4 épisodes diffusés en rafale à partir du 30 mai au 2 juin simultanément sur les ondes de History Channel, Lifetime, LMN et A&E aux États-Unis et sur cette dernière chaîne au Canada. L’action débute en 1750 dans le petit village de Juffure en Afrique alors qu’après une série d’événements, le jeune Kunta Kinte (Malachi Kirby) est amené de force dans un négrier en direction des colonies américaines. Arrivé en Virginie, il est vendu comme esclave et tout au long de la série, l’on suit son parcours ainsi que celui de ses descendants durant plus d’un siècle, soit, jusqu’à quelques années succédant à la Guerre de Sécession. Remake de la série éponyme de 1977 à l’époque diffusée sur ABC, elle-même adaptée d’un roman d’Alex Haley, Roots, à l’instar de ses protagonistes n’a pas pris une ride. La nouvelle mouture de cette « épopée de misère » ne laissera personne indifférent, notamment en raison de son intensité par moments insoutenable. Plus théâtrale qu’historique, la série perd quelques points, mais vaut malgré tout d’être vue dans son entièreté.
D’un océan à l’autre
Avant d’être enlevé par des chasseurs d’esclaves, Kunta a reçu une stricte éducation guerrière afin de passer comme il se doit à l’âge adulte, tout en cimentant son sentiment d’appartenance à la communauté, ses ancêtres, etc. Cette fierté de ses racines ne le quittera jamais, quitte à lui causer de sérieux problème outre-Atlantique. En effet, ses récentes insubordinations et ses tentatives de fuite lui vaudront plusieurs tortures, à la fois physiques et mentales, mais heureusement, sa rencontre avec Belle (Emayatzy Corinealdi) qu’il épousera par la suite l’assagira. Quelques années plus tard, leur fille unique Kizzy (Anika Noni Rose) arrivée à l’âge adulte est chassée de la propriété après qu’elle ait aidé (sans succès) un autre esclave à s’enfuir. Son nouveau maître, Tom Lea (Jonathan Rhys Meyers), la viole à répétition et de ces rapprochements naît « Chicken George » (René-Jean Page). Pris en affection par son père qui n’a pas d’héritier, ensemble ils courent les foires et font participer leurs coqs à des combats qui lui valent beaucoup d’argent. Cependant, pour Tom comme pour tous les autres propriétaires qui ont « employé » les descendants de Kunta, la gratitude des maîtres est à géométrie variable.
C’est peut-être en raison de l’aura quasiment mythique dont jouit la version de 1977, mais dès qu’on entame Roots, on a l’impression d’assister à un événement télévisuel; une épopée se déroulant sur plusieurs générations et dans plusieurs endroits, dont au moins trois continents. Jouissant d’un budget considérable, la recréation d’époque nous laisse sans mots, qu’il s’agisse d’un village en Afrique ou d’un négrier à donner des cauchemars et on prend rapidement la mesure de l’univers tout sauf égalitaire dans lequel évolueront les protagonistes.
Reste que le premier épisode qui met en vedette Kunta est à la fois le plus intense et le plus frustrant pour le téléspectateur. À l’image d’un cheval sauvage, il défie sans cesse l’autorité au point où il fait des victimes collatérales, qu’il s’agisse d’autres Noirs qui essaient de le défendre tout comme ceux qui sont accusés de laxisme pour ne pas l’avoir surveillé d’assez prêt. C’est un peu comme si un simple citoyen narguait ouvertement et constamment un régime dictatorial et penser s’en tirer sans conséquences… Au cours des épisodes suivants, on comprend bien entendu que c’est carrément dans l’ADN des Kinte de défier l’autorité, mais disons que d’autres le feront avec un peu plus de discernement…
Le point fort de la série est sans conteste le fait que chaque épisode s’intéresse à un protagoniste en particulier. En effet, des quatre générations, hommes ou femmes, peu importe l’endroit où ils se trouvent, leur travail ou leur lien avec leurs maîtres, les Kinte semblent condamnés à la misère. Châtiments corporels, du fouet à la mutilation, bouc-émissaires de tous les maux, séparation des couples ou des familles, interdiction de quitter la plantation du maître : en même temps, les tourments vécus par cette famille sont le reflet de tout ce qu’a subi une population noire dont le sort semble s’être figé dans le temps durant plus d’un siècle alors qu’à l’opposé, les États-Unis, d’abord colonie, puis pays ont connu une ascension culturelle, économique et politique fulgurante.
Tragédie vs histoire
C’est peut-être en raison de séries comme Books of Negroes (CBC) et plus récemment Underground (WGN America), mais Roots version 2016 nous arrive sur un sentier déjà battu. Ce qui la différencie des autres n’est pas son propos, mais bien son ton : les émotions sont vives et avec le narrateur qui en voix-off s’adresse à nous comme s’il lisait les pages d’un livre et des personnages avec leurs phrases plus prophétiques que réelles (la mère de Kunta : « Stop living your dreams » ou un contremaître sur une plantation :« You can’t buy a slave. You got to make a slave »), on a carrément l’impression d’assister à une tragédie cinématographique à la Ben hur ou Gone With the Wind.
Cela n’altère en rien la qualité de l’œuvre, bien au contraire, mais les férus d’histoire pourraient se sentir laissés pour compte. C’est qu’en examinant méticuleusement la vie personnelle des protagonistes, l’Histoire est carrément relayée à l’arrière-plan. Ainsi, c’est à peine si l’on évoque la Guerre d’Indépendance des États-Unis basée sur le concept bien subjectif de « liberté ». On se rattrape ensuite durant la Guerre de Sécession, mais là aussi on reste somme toute en surface. Vu sous cet angle, Book of Negroes tirait bien mieux son épingle du jeu en se penchant davantage sur l’histoire de l’esclavage à l’échelle mondiale que sur les tourments d’une famille brimée par le système.
En rassemblant les cotes d’écoute des quatre chaînes, la première de Roots a été vue en direct par 5,3 millions de téléspectateurs, dont 1,8 million chez les 18-49 ans, ce qui équivaut à un taux de 1,4. Il s’agit du meilleur lancement pour une série du câble depuis Bonnie & Clyde en 2013 qui avait attiré plus de 10 millions de curieux. Évidemment, l’audience a diminué par la suite, mais est demeurée stable pour les deux jours suivants, soit : un peu plus de 4 millions en auditoire (taux de 1,0) et 4,4 millions le lendemain (taux de 1,1). Quand on pense qu’à l’époque, chacun des huit épisodes rassemblait en moyenne plus de 80 millions de téléspectateurs, s’accaparant ainsi une part de marché dépassant les 60%… Des chiffres qu’on ne reverra pas de sitôt avec la fragmentation de l’auditoire et l’explosion des écrans.