La tête haute est un film français signé Emmanuelle Bercot qui a été présenté en ouverture du Festival de Cannes en 2015 et qui sera en salles au Québec dès le 10 juin. L’histoire se déroule à Dunkerque et met en scène la famille Ferrandot, dysfonctionnelle au possible. L’irresponsable mère Séverine (Sara Forestier) peine à s’occuper de ses deux fils en bas âge dont Malony (Rod Paradot), l’aîné qui à l’aube de l’adolescence accumule les démêlés avec les autorités. En visite presque quotidienne chez Florence Blaque (Catherine Deneuve), la juge des enfants, on tente par tous les moyens de le ramener dans le droit chemin, malgré lui s’il le faut. Abouti à plusieurs égards, la vraie force de La Tête Haute est la réflexion qu’il suscite en nous, notamment sur le système juridique français (transposable en grande partie à tous les pays développés comme le Canada); ses failles, mais aussi ses qualités qui après tout, vise la réinsertion sociale.
Prévention ou punition?
Séverine est pour ainsi dire une abonnée au palais de justice de Dunkerque. Instable, consommant quelquefois de la drogue, plus intéressée à ses (courtes) histoires de cœur qu’à éduquer ses propres enfants, on est peu surpris de constater qu’à l’adolescence, Malony n’obéisse à aucune discipline. Après avoir volé une voiture alors qu’il n’a même pas de permis de conduire, la juge Blanque lui désigne Yann (Benoît Magimel) comme nouveau tuteur et décide de l’envoyer dans un centre loin de toutes tentations en campagne afin qu’il continue ses études et fasse preuve s’assagissement. Les résultats sont maigres et pendant ce temps, il tombe amoureux de Tess (Diane Rouxel), la fille d’une éducatrice. Par contre, dès qu’il obtient son congé et se trouve un emploi dans un restaurant, il bousille ses chances et après s’être encore une fois mis à dos la police concernant son frère cadet qui lui aussi est placé dans une famille d’accueil, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et la juge n’a d’autre choix que de l’envoyer temporairement en prison. Reste à savoir si le jeune homme se comportera enfin en adulte en prenant conscience de ses actes ou si sa fureur de vivre l’emportera par-dessus tout.
Il est devenu presque trop courant, autant dans la réalité qu’à travers quelques métaphores dans les films de faire porter le blâme sur la société ou le gouvernement, spécialement en ces temps économiques éprouvants alors que le corpus politique dans plusieurs pays n’a que l’expression « coupures budgétaires » à la bouche. La Tête Haute ne s’aventure pas dans ces sentiers battus et transporte ainsi le débat ailleurs. Certes, on constate que les services sociaux ne roulent pas sur l’or et que le fonctionnement des institutions est ralenti par la bureaucratie, mais en fin de compte, on en vient à s’interroger sur la responsabilité personnelle des individus. En effet, on ne peut s’enlever de la tête la déclaration de Yann alors qu’il conduit pour la première fois Malory dans un centre : « Tu coûtes 230 euros à la société par jour ». D’un point de vue comptable, l’argument est de taille, d’autant plus que le principal intéressé n’en a rien à cirer. Il n’apprend rien de ses erreurs, en commet d’autres, ce qui a de quoi frustrer le téléspectateur lorsqu’il assiste à autant d’ingratitude. Pourtant, malgré tous ses défauts, Malory fait ressortir le meilleur en nous : l’espoir. Tout au long de ce film de près de 2 h, malgré ses frasques, on a nous aussi envie de lui donner plusieurs chances, d’une part parce qu’il est mineur, mais aussi parce qu’on doute fort que ce soit la prison qui vienne à bout de faire de lui un citoyen modèle.
Malory nous rappelle en plusieurs points Steve dans Mommy puisque l’on éprouve le même genre d’empathie à l’égard de ces âmes perdues. Au moins dans le film de Xavier Dolan, on pouvait (faussement) se consoler en se disant qu’avec un bon suivi médical, on pourrait en venir à bout de sa maladie mentale… Dans La Tête Haute, il n’en tient qu’au bon vouloir du protagoniste de nous prouver sa force de caractère. Reste que si ces deux garçons parviennent à nous émouvoir, c’est en grande partie pour le côté très réaliste, à la limite du documentaire, qu’on s’investit autant dans le film de Bercot. Parmi les nombreux exemples, notons toutes les scènes dans les centres de rééducation alors qu’on a l’impression qu’on a soufflé à l‘oreille des acolytes de Malory un thème peu de temps avant que la caméra ne se mette en marche et qu’ils devaient improviser : le résultat est épatant.
Masculin / féminin
L’autre façon de bien cerner le personnage de Malory est définitivement l’angle parental. On le sait, il n’a jamais connu son père et sa mère, bien que l’aimant d’un amour sincère l’a toujours laissé faire ce qu’il voulait. C’est d’abord la juge Blanque qui vient remplacer ce rôle maternel qui lui a fait défaut dans sa jeunesse, mais on constate que les avertissements et une certaine indulgence visant à lui redonner confiance ne sont pas suffisants. À cet amour vient s’ajouter une discipline et une fermeté que l’on attribue généralement au côté paternel, incarné ici par Yann. Ce dernier en vient même aux poings à un moment, mais on constate qu’il fallait en arriver là, tout comme le jugement qui l’enverra provisoirement en prison, ce à quoi le jeune homme, au bout du rouleau rétorque par un touchant et désespéré « merci ». L’aspect physique de sa petite amie Tess n’est pas non plus un hasard : autrefois délinquante, s’habillant en garçon, pratiquant la boxe et aux cheveux blonds très courts, elle ressemble comme deux gouttes d’eau à Malory. En elle, il rencontre son double féminin qu’il exècre au départ, mais qu’il finira par apprivoiser, voire aimer. À ce moment seulement il pourra devenir adulte.
Malgré des commentaires peu délicats de Catherine Deneuve à l’égard de la ville de Dunkerque dans un entretient pour le magazine Elle qui a failli détourner l’attention, La Tête Haute a tout de même bénéficié d’une excellente vitrine lors de sa présentation à Cannes; le film étant distribué partout en salles en France le même jour. Et c’est sans compter la salve de nomination pour tous les acteurs à la récente cérémonie des César qui a valu le prix du meilleur acteur dans un second rôle à Benoît Magimel et celui du meilleur espoir masculin à Rod Paradot. Quant à Emmanuelle Bercot, la toute jeune réalisatrice n’en a pas fini avec les laissés pour compte puisque son prochain film, La Fille de Brest, portera sur la pneumologue Irène Fanchon qui peu avant la récente décennie s’est opposée avec ferveur au benfluorex; un médicament à l’origine de plusieurs centaines de morts.