par Pierre Rimbert juin2016Quand la qualité de l’information ne justifie plus le prix d’un abonnement, les journaux recourent à une technique éprouvée. Le 25 novembre dernier, Challenges promettait aux souscripteurs d’une offre spéciale l’expédition, en plus du magazine, d’un « smartphone 4,5 pouces » et d’une « tablette PC 7 pouces ». En cadeau, ajoutait le courrier, « vous recevrez également un ensemble de bagages (sac de voyage, sac à dos et trousse de toilette) et une parure de stylos (bille-roller-mine) si vous répondez sous dix jours ».Le taux d’équipement des ménages en quincaillerie et petit électroménager frôlant la saturation, d’autres publications ont exploré la piste « gourmet ». Le Point fut servi avec un coffret contenant tire-bouchon et bec verseur en inox, tandis que « tous les mois, la rédaction de Libération sélectionne un vin et cinq produits d’une région française à partir de 29,90 euros par mois. Se faire plaisir ou offrir la LibéBox, c’est l’assurance de découvrir le meilleur de nos régions (1) ! ».
Las, l’érosion continue de la diffusion a conduit le directeur deL’Express à concéder l’échec de cette stratégie. « Le lecteur doit s’abonner car il aime le magazine, a expliqué Christophe Barbier (Le Figaro, 9 mars 2016), pas pour recevoir une cafetière. » Ou, dans le cas de L’Expansion, un nécessaire à chaussures avec cirage, chiffon humide et — ô l’inconscient des services marketing ! — brosse à reluire.« Drahi considère l’information comme un gadget, comme un cadeau Bonux pour les possesseurs de forfait mobile »
Depuis le rachat de Libération et de L’Express-L’Expansion par M. Patrick Drahi en 2014 et 2015, puis l’intégration de ces titres en avril dernier au sein de l’opérateur SFR, également propriété de M. Drahi, le commerce de l’information connaît une inflexion notable. Désormais, l’opérateur offre les journaux eux-mêmes comme comme cadeau de bienvenue aux abonnés des forfaits SFR. Lesquels accèdent gratuitement via une application à Libération, L’Express et à quinze autres titres rachetés par M. Drahi, tous ravalés au rang de « contenus » destinés à remplir les tuyaux électroniques du milliardaire. « Drahi considère l’information comme un gadget, comme un cadeau Bonux pour les possesseurs de forfait mobile », a résumé un journaliste de L’Express (cité parMarianne, 29 avril 2016).
L’opération permet non seulement au groupe de télécoms d’augmenter ses tarifs, mais aussi de contourner le fisc. Les bénéfices imposables de l’activité téléphonie seront minorés par les déficits de la branche information. En outre, SFR pourra appliquer aux forfaits comportant l’option presse un taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 2,1 %, au lieu de 20 %, conformément à la législation votée par le Parlement en 2014. « Avec dix-huit millions de clients annoncés, l’économie vis-à-vis du fisc pourrait là aussi se révéler colossale », relève la lettre spécialisée PresseNews(3 mai 2016).
En attendant, la convergence éditoriale prend forme. Le 22 mai dernier, M. Manuel Valls, en visite en Israël, était reçu par M. Drahi. Invité d’une « émission spéciale diffusée en direct sur i24news et BFMTV en partenariat avec Libération et L’Express » — quatre médias détenus ou contrôlés par l’oligarque —, le premier ministre français se voyait encouragé à durcir sa position pro-israélienne par les questions du meneur de jeu, Paul Amar. Apolline de Malherbe (BFMTV) et Christophe Barbier (L’Express)incitaient pour leur part M. Valls à renforcer sa politique répressive, tandis que Laurent Joffrin (Libération) paraissait très fatigué. Un entretien Bonux ?
Pierre Rimberthttp://www.monde-diplomatique.fr/2016/06/RIMBERT/55726