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Mois de juin : l'institution de la fête liturgique du Sacré-Coeur (3)

Publié le 16 juin 2008 par Hermas
Le culte au Sacré-Coeur pendant la période de l’Illuminisme   Un bon nombre de vérités de la Foi acquirent une clarté dogmatique après des périodes semi-obscures et épineuses. Saint Augustin se demandait pourquoi le plan divin permettait des déviations de la Foi. Il répondait que les doutes, les erreurs éloignant de la Foi, stimulaient la recherche de la vérité. Elle devient ainsi plus claire [ci-contre : première image du Sacré-Coeur].   Quelque chose de semblable s’est produit pour la théologie du Sacré-Coeur.   Quand Clément XIII, en 1765, accorda aux évêques polonais et à l’Archiconfrérie la permission de célébrer cette fête, dans les Royaumes catholiques européens l’horizon était obscurci par les jansénistes, par l’Aufklarung, c’est à dire par l’illuminisme au semblant catholique. A cette couche de nuages s’ajoutait une campagne virulente anti-jésuite.   C’étaient principalement les écrivains jésuites qui promurent le culte du Sacré-Coeur. Les idées réformistes du soi-disant “Illuminisme Catholique”, l’aversion des rigoristes, jansénistes ou non, à la dévotion au Sacré-coeur, et autres courants idéologiques de l’époque, constituèrent la pensée dominante d’un étudiant entreprenant, le futur évêque de Pistoie et de Prato : Scipion de Ricci (1741-1809).   Florentin de naissance, il cultiva dans sa jeunesse le projet d’entrer dans la Compagnie de Jésus. Pendant les années de ses études à Rome et également après avoir terminé ses études, il entretint des relations avec les membres du cercle “Archetto” qui se réunissaient dans la demeure de Mgr. Giovanni Bottari (1).   Les amis du Cercle - érudits en plusieurs sciences -, montraient au grand jour leurs orientations jansénistes et leur forte animosité contre les jésuites. Ils appelaient avec mépris “cordicoles” les personnes qui pratiquaient le culte du Sacré-coeur. Ricci devint aussi un lecteur assidu de la prestigieuse revue Florentine “Novelle Letterarie” dont il partageait les idées et qui était dirigée par Giovanni Lami (2).    Il défendait des réformes et des changements correspondant aux exigences de la pensée illuministe de l’époque. Il pensait que la dévotion au Sacré-Coeur était indigne et éloignait l’homme de la vraie piété, qu’elle était incompatible avec une “raison saine” et qu’elle débouchait dans la superstition.   A la moitié des années “70”, Ricci assura la fonction de Vicaire général de l’Archevêque de Florence, Francesco Gaetani Incontri. Ce dernier en 1762 publia le petit volume Spiegazione teologica liturgica e morale sopra la celebrazione delle feste, diretta a’ chierici della città e diocesi.   Dans son oeuvre, il se disait favorable à la fête du Sacré-Coeur. L’Archevêque avait apposé sa signature sur l’une des suppliques adressées à Clément XIII pour l’introduction de la fête solennelle. La manière avec laquelle le vicaire Ricci a su cacher ses convictions auprès de l’archevêque, semble invraisemblable. Au cours de ses fonctions ecclésiastiques, grâce à la faveur épiscopale, il observait comment la pratique de la dévotion au Sacré-Coeur se terminait par des expressions cultuelles superstitieuses et fanatiques.   Ces scénarios confirmèrent à Ricci son évaluation radicalement négative du culte du Sacré-Coeur. Sa pensée, sa future action réformatrice, résumera la pensée des “alliés” et leur approbation pour les réformes qu’il entreprendra. Elu Evêque des diocèses réunis de Pistoie et de Prato, Ricci prit ouvertement position en 1780 et ne cacha plus ses convictions. Ses amis réformistes exultaient et avec eux tous ceux qui jugeaient la dévotion des “cordicoles” opposée à la “critique saine” et à la “raison froide”.   La première action du nouvel Evêque fut de rendre visite au séminaire de Prato. Il ordonna d’enlever de la chapelle l’image du Sacré-Coeur. Il affirma qu’il envisageait de mieux éduquer le clergé et créa l”Académie Ecclésiastique”. Il agit toutefois avec prudence à l’égard de la population. Pour instruire les fidèles, il commença à diffuser des écrits pour les conduire graduellement à une piété “illuminée”. Il mit en circulation un opuscule de Marcello Delmare (3) : “Pregiudizi legittimi contro la nuova devozione al Cuor carneo di Gesù”.   Il entreprit aussi la publication du périodique “Annales Ecclésiastiques”. Une initiative géniale au service du bien et du moins bien. Le périodique avait été planifié pour soutenir et rendre acceptables les réformes imminentes. Déjà dans les premiers numéros, il donnait des jugements négatifs sur la dévotion au Sacré-Coeur.   La même année - 1791 - un épisode poussa le jeune Evêque à intervenir en personne. Il avait été invité à bénir une cloche qui portait l’inscription: “ In honorem SS.Cordis Jesu”. Il déclina l’invitation pour cette raison, pensant qu’il s’agissait d’une intrigue d’un ex-jésuite, le Père Salvatore Salvi. Dans les milieux jansénistes et alliés, l’approbation de la fête du Sacré-Coeur - donnée par Clément XIII en 1765 - était considérée comme une extorsion frauduleuse manoeuvrée les jésuites.   On pourrait ici se poser la question : y avait-il une preuve quelconque pour émettre un tel jugement ? Aucune ! La mentalité suspicieuse des “réformistes illuminés” constituait le critère décisif ! Ricci avait empêché la célébration de la liturgie du Sacré-Coeur dans un monastère féminin, privilège accordé par la Curie Romaine à sa Supérieure. Et maintenant voilà que le même P. Salvi, ne respectant pas la position hiérarchique supérieure de l’Evêque, obtenait un rescrit papal qui accordait une série d’indulgences pour les prières récitées devant l’image du Sacré-Coeur, exposée dans la collégiale des prisons de Prato [image ci-jointe : Scipion de' Ricci].   Salvi en était le prieur! Le prélat interpréta l’affaire de la cloche et les indulgences papales comme un atteinte à son autonomie d’Evêque. Tout ceci était contraire à sa propre vision ecclésiologique et lui était insupportable. Aussi réagit-il. Il obtint du Souverain Pierre Léopold l’expulsion de Salvi de son Diocèse et l’autorisation de publier une lettre pastorale instructive.   Le plan de Ricci prévoyait que la lettre devait être de lecture facile, claire, excluant toute possibilité d’incertitudes sur la pensée de l’évêque, garant de la Foi. Il demanda à son ami Pujati  (4) de rédiger la lettre.   Une parfaite union d’idées réformistes existait entre les deux hommes. En outre, Pujati possédait un grand mérite : son acharnement à s’opposer à la dévotion des “cordicoles”, c’est-à-dire au culte du Sacré-Coeur.   Il publia en 1791 une Lettre intitulée : "Instruction pastorale sur la nouvelle dévotion au Sacré-Cœur". Dans cette lettre, il attribuait très peu de valeur à l’approbation de la fête du Sacré-Coeur accordée par Clément XIII.   Les limites géographiques de l’indulgence – limitée aux évêques de Pologne et à une seule confraternité à Rome - étaient les raisons évidentes de la crainte ressentie. Le culte des “cordicoles” avait tendance à dégénérer en superstitions “fanatiques, ridicules, féminines”. Il pouvait le prouver (soutenait-il) par ce qu’il avait découvert dans certains monastères de soeurs qui pratiquaient la dévotion au Sacré-coeur : des doctrines et des pratiques s’éloignant de la vraie Foi. En outre l’approbation de Rome dictait des limites précises et rigoureuses de la fête. Ceci démontrait – d’après Ricci - que le culte des “cordicoles” n’était pas “utile pour toute l’église et encore moins nécessaire”.   En ce moment historico-culturel - affirmait-on dans la lettre - cette pratique offrait des raisons aux “incrédules philosophant” pour “ridiculiser les fidèles” et alimentait “de rapides progrès de la philosophie athée”. Mais à quoi servait donc cette dévotion ? A rien ! Dans la publication de l’évêque, il était clairement dit que “non seulement la dévotion charnelle et matérielle au Sacré-Coeur de Jésus ne servira à rien – qu’une piété solide et illuminée ne peut admettre ou accepter en aucun cas - même pas la spirituelle qui est permise uniquement par la Sacrée congrégation des Rites”.   Ces mots de Ricci - on doit le noter - était des jugements arbitraires et des interprétations du sens du texte du document de la Congrégation des Rites. Le culte du Sacré-Coeur était donc inutile, dangereux jusqu’à être “une gangrène qui infecte le corps mystique”. En contradiction directe avec les Evangiles : “une dévotion nouvelle et incroyable aux temps heureux de l’Eglise”. Elle était bénéfique seulement pour les encyclopédistes qui entendaient démanteler l’Eglise. Et alors, que faire ? Il fallait absolument éviter ce culte. Mieux : l’éliminer. Le premier acte public de l’évêque de Pistoie contre les “cordicoles” était fort, bien calculé. La pastorale de Ricci, au moins en partie, fut bien accueillie dans plusieurs diocèses et traduite également en plusieurs langues. Dans sa villa de Igno, l’auteur se réjouissait de son succès avec les “alliés réformistes”. Les représentations iconographiques de la villa - détruites avec le temps ; les dessins cependant ont été retrouvés - attestent les fortes convictions du réformiste. Parmi ces iconographies, on a trouvé la peinture d’une “ Dame” - la Foi - qui brûle l’image du Sacré-Coeur.   Les amis du culte du Sacré-Coeur ne restaient pas sans réagir. La dévotion, bien que ridiculisée par les érudits illuministes comme une “superstition cordicole” , continuait à se répandre de plus en plus. Ricci continua son offensive ; et même, il augmenta la violence de ses attaques. A la fin, cependant, son joyeux succès initial se transforma avec le temps en une défaite amère suivie de sa disparition de la scène. [fin de l'article]   P. Amadeo Paulino, s.j.  _______________ Notes 1. Giovanni Bottari (1689 -1775).- érudit, participa à la nouvelle édition du vocabulaire de la Crusca. Il devint célèbre à Rome en tant que chef du “jansénisme romain”. 2. Giovanni Lami (1697 -1770).- érudit, occupa la chaire d’histoire ecclésiastique à l’université de Florence. Théologien conseiller du Grand-Duc de Toscane. 3. Marcello Paolo Delmare, né à Gênes en 1734 dans une famille israélite, mort en 1824. Théologien. Il occupa (1783) la chaire de théologie à Sienne et, à partir de 1789 à Pise, celle de l’Ecriture Sainte. 4. Giuseppe Maria Pujati, né à Polcenigo en 1733, mort à Venise en 1824. Prêtre somasque, puis moine du Mont-Cassin. Il se transféra au monastère de Saint-Paul à Bergame, un des centres du jansénisme en Italie. Dans une lettre adressée en 1778 à A.Commendoni, Pujati énumère les motifs qui font “frémir le zèle des illuminés et des fils pieux de l’Eglise” contre la fameuse dévotion au Sacré-Coeur. Peu après, en 1780, il publia à Naples une oeuvre virulente contre cette dévotion : “Réflexions sur l’origine, la nature et la fin de la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus.”

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