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Caryl Férey, la face sombre du Chili

Publié le 15 juin 2016 par Anthony Quindroit @chilietcarnets
Caryl Férey revient avec un polar bien noir dont l'intrigue se déroule au Chili. Un régal (photo Anthony Quindroit)

Caryl Férey revient avec un polar bien noir dont l’intrigue se déroule au Chili. Un régal (photo Anthony Quindroit)

Auteur de Mapuche mais aussi de Haka ou encore de Zulu (adapté au cinéma avec l’excellent Forest Whitaker dans le rôle principal), Caryl Férey est de retour avec un nouveau polar bien noir comme on les aime : Condor. Après l’Argentine dans son précédent récit sorti il y a déjà quatre ans, Caryl Férey franchit la Cordillère des Andes et arrive au Chili.
Là, dans le quartier pauvre de la Victoria,en périphérie de Santiago, des gamins meurent, fauchés par une drogue particulièrement pure et chère sans que la police ne bouge le petit doigt. Une jeune cinéaste en devenir décide d’essayer de faire bouger les choses : elle contacte un avocat atypique, spécialiste des causes perdues, pour activer l’enquête. Mais les relents de la dictature de Pinochet et de l’opération Condor rendent un peu plus nauséabondes cette histoire où se croisent gueules cassées, névrosés, Victor Jara, prêtre empathique et tueurs sadiques, trip halluciné et – ouf !  – un peu d’amour…
Si l’auteur a détaillé son parcours dans le quotidien Paris-Normandie, il est également revenu, pour Chili et carnets, sur son expérience au Chili. Mais pas seulement.

Comment as-tu découvert le Chili ?
Caryl Férey : « Quand je travaillais sur Mapuche, j’ai réalisé un deuxième grand voyage en Argentine et à cette occasion nous sommes allé au Chili, où vivent également des Mapuches. Mais leurs conditions de vie ne sont pas les mêmes qu’en Argentine. En Argentine, ils ne sont pas considérés comme terroristes, ils n’ont pas les mêmes problèmes de terre. C’est pour cela que j’ai séparé le livre en deux. J’avais plein d’informations que je gardais Condor. En écrivant Mapuche, j’avais déjà les bases. Mais les machis, tout cet univers, j’avais déjà la matière. »
Et comment as-tu travaillé sur le pays ?
« Je suis allé deux fois au Chili. La première fois trois semaines, la deuxième fois deux mois. Je fais d’abord un voyage de repérage, j’écris pendant un ou deux et je reviens quand le bouquin a bien avancé. Et, pour le deuxième voyage, j’ai déjà des contacts sur place. Il y a un gros travail de documentation. Quand je fais la promo du précédent, c’est ce que je fais car tu es toujours interrompu et c’est plus compliqué pour écrire. »
Justement, comment écris-tu ?
« Moi j’écris tout le temps, sept jours sur sept, je suis hyper-lent. Je cherche toujours à ne pas me répéter. Les personnages, ça prend du temps avant qu’ils deviennent un peu vivants. Je fais en sorte que mes personnages représentent tous une catégorie socio-professionnelle du pays. Qu’il n’y en ait pas deux qui se ressemblent. Dans Condor, je voulais que le lecteur découvre un panel de la société chilienne. Et que ces personnages soient justes. Mon année de promotion sert donc à me documenter. Donc, quand je fais le premier voyage, je connais déjà bien l’histoire du pays, sa sociologie. Mais ça ne remplace pas le terrain. Et c’est ce que j’aime. Rencontrer les gens. C’est ce qui fait que ta scène va être surprenante. On peut se documenter, un bar comme La Piojera, ça ne s’invente pas ! »

Derrière un style très noir se cache un auteur souriant et passionné (photo Anthony Quindroit)

Derrière un style très noir se cache un auteur souriant et passionné (photo Anthony Quindroit)

Comment passe-t-on de l’Argentine au Chili ?
« Au départ, c’est dur. On rentrait d’Argentine, on avait passé un mois extraordinaire à faire la fête, à profiter de la vie culturelle. Au Chili, on a pris un vieux coup de barre. C’est une société hyper-néo libérale. Prenez Los Andes, une grosse ville de  100 000 habitants [au nord de Santiago, NDLR] : il n’y a pas une librairie ! Et à Santiago, tu les vois les cinémas, les théâtres ? Les gens ne veulent plus entendre parler d’Allende… Tout le monde a les yeux rivés sur la télé… En Argentine, tu rentres dans un bar, les gens t’appellent, viennent te voir. Au Chili, il y a des gens sympas, évidemment, mais il y a un contraste avec l’Argentine. Et les histoires de fric aussi… »
À quoi est-ce dû ? À l’histoire ?
« C’est sans doute dû à l’histoire récente. C’est sûr. En Argentine, ils ont poursuivi et condamné leurs bourreaux. Donc il y a une justice. Au Chili, 0. 59 mecs on terminé en prison pour dix-sept ans de dictature, Pinochet a eu des obsèques quasiment nationales. Dans les cours, rien. On parle des « événements». Et comme le néo-libéralisme s’est installé là-dedans. Ce qui compte c’est de faire du business. Ça plombe. Comme si dans notre pays, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, on avait dit « bon, c’est pas grave, on repart avec les mêmes… ». C’est un cancer qui se développe. » Là-bas, j’en parle dans le livre, j’ai rencontré un rasta pro-pinochet ! Ça ne s’invente pas ! Dans une boîte de nuit à ciel ouvert, un peu hype ! Et le gars te dis : « Au moins avec le vieux y’avait pas tous ces branleurs dans la rue ! » Quand t’entends des trucs comme ça, t’as des chocs… Je ne me parle pas de Mein Kampf en vente… A Valparaíso, le monument aux morts qui dénonce « Les assassins d’enfants qui ont avorté »… Je savais que le bouquin allait être plombant car le pays est plombant. C’est pour ça que j’ai essayé de prendre des personnages positifs et que le bouquin est moins violent que les autres. Le seul espoir de ce pays, c’est la jeunesse. »
Tu dédies ce livre à Camilla Vallejo. Il nous manque une Camilla en France ?
« Je ne connais personne qui lui ressemble. Je ne l’ai pas rencontrée. Mais j’ai vu plein de documents sur les manifestations. Je l’ai vue tenir tête au ministre. elle n’en a rien à faire de sa plastique. Mais, par contre, son discours est très structuré, carré. Et, forcément, c’est romanesque. Et j’ai vu plein de choses sur la façon qu’à la jeunesse de contester. Ils sont inventifs. Après deux générations complètement plombées, il y a un espoir dans la jeunesse. Cette société ne pourra bouger que s’il y a une possibilité d’ascenseur sociale, de faire des études. Sinon, il y a sept familles qui se partagent le gâteau et c’est tout. On a besoin de symbole. Camilla symbolise la jeunesse, la beauté, Allende, le fait de mettre un coup de pied dans la fourmilière d’un pays complètement sclérosé. Moi, je suis écrivain, ce que je peux faire à mon petit niveau, c’est dire « Voilà, le modèle néo-libéral, je vous raconte ce qui s’est passé en 1973, comment ce système se fout de la démocratie. Et ça donne quoi ? Une société sclérosée ; donc si c’est ce que vous voulez ça, continuez »! »
À quel moment as-tu trouvé le fil rouge, cette histoire autour de la dictature ? Qui a inspiré les personnages ?
« À travers l’histoire et ce que j’ai pu en lire. Et la moitié des personnages, je les ai rencontrés. Les deux sœurs, le curé de la Victoria… Ces deux sœurs m’ont introduit dans le quartier, ça donne de la matière. Et il y a un livre que j’avais lu, sur une ancienne du MIR qui a parlé sous la torture et qui a même collaboré. Je m’en suis servi pour le personnage de Manuela. Et j’ai rencontré pas mal de réfugiés vivant en France, des anciens du MIR. J’ai une copine, une des premières personnes rencontrées en France lors de la préparation du livre : son père a disparu dans le cadre du plan Condor, sa mère enceinte a été emprisonnée au Stade National et elle a échappé au viol collectif car les geôliers avaient tué une prisonnière avant. Les bouchers ! Ça file la nausée. Elle aréussi à être libérée dans les mois qui ont suivi.  Et elle a accouché en France. Mon amie a finalement pu déposer une plainte pour torture in utero au Chili. Et, dernièrement, sa plainte a été reçue et on reconnait la mort de son père dans le cadre de Condor. Après des années de lutte, au moins, elle est écouté. On reçoit ta plainte, enfin ! »
Et quels sont tes projets ?
« Je prépare un album pour EZ3kiel, un groupe d’electro rock, une pièce de théâtre sur le 7 janvier, une BD sur l’argentine. Un récit de voyage avec mes aventures rocambolesques, un récit picaresque qui sortira l’année prochaine. Je vais aussi retrouver mon personnage de Mc Cash, un flic borgne qui revient tous les sept, huit ans ans, avec une enquête autour des migrants en mer au large de la Grèce, mâtinée de néo-libéralisme à l’extrême parce que, là-bas, c’est une zone de non-droit. Et je me documente pour mon prochain polar qui devrait se passer en Colombie. »

couv CONDOR

« Condor », de Caryl Férey, aux éditions Gallimard (collection « Série noire »), 19,50 €.
Également, la tournée Condor live, un spectacle durant lequel le chanteur Bertrand Cantat interprète un long extrait du livre, le « roman dans le roman ».


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