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Affreux, sales et attachants

Publié le 16 juin 2016 par Les Lettres Françaises

Affreux, sales et attachants


Gabriel et Elias apprennent par l’intermédiaire d’un message vidéo post-mortem que le vieil homme qui vient de s’éteindre sur son lit d’hôpital n’est pas leur père biologique, mais que ce dernier est un scientifique presque centenaire qui vit retiré sur une île du sud du Danemark. Décidés à éclaircir le mystère de leur filiation, notamment en ce qui concerne leurs mères respectives, ils débarquent sur cette île en berne où le maire tente, vaille que vaille, de maintenir la population nécessaire à son statut de ville. Arrivés sur place, Gabriel et Elias se découvrent une fratrie encore plus large puisque trois autres demi-frères résident dans un vieux manoir auprès de leur père, ainsi que tout une basse-cour qui semble investir chaque recoin. Le premier contact est rugueux car Gregor, Franz et Josef semblent ne connaître que la violence comme mode de communication. Tous les frères assemblés vont cependant peu à peu s’apprivoiser et cela contribuera au dévoilement progressif du secret de leurs naissances.

Anders-Thomas Jensen s’est spécialisé dans la comédie noire aux parfums fantastiques. Ce dernier film ne déroge pas à la lignée qui comprend Les Bouchers verts et Adam’s Apples. De même, on y retrouve l’acteur Mads Mikkelsen, dans le rôle d’Elias, affublé d’un bec de lièvre, d’une perruque improbable et d’une compulsion masturbatoire. Chacun des personnages de la fratrie est d’ailleurs traité de même, avec handicap physique et comportement incongru, de sorte que leur réunion finit par donner l’impression d’une troupe de monstres grotesques. La violence qui peut surgir à tout moment, malgré les tentatives d’établir d’absurdes règles de cohabitation pacifiée, participe de cette impression de régression. Le manoir délabré lui-même donne dans ce registre, depuis l’étage supérieur où loge le père entouré de sa bibliothèque, jusqu’au sous-sols dédiés aux sombres expérimentations, en passant par le niveau consacré aux animaux divers et variés dans la promiscuité des hommes.

On l’aura compris, ce film est aussi une réflexion sur la nature humaine et ses frontières troubles à l’heure des expériences les plus folles dans le domaine du génie génétique. La réponse apportée présente cependant un décalage original. En effet, la condamnation des manipulations entreprises par un esprit ne sachant mettre de bornes à son désir de toute puissance est explicite, et nul ne peut y voir l’apologie des dérives délirantes d’une science sans conscience. Il est d’ailleurs rappeler tout aussi explicitement que ces délires sont l’apanage d’une certaine vision de la masculinité à laquelle tout doit se soumettre, à commencer par le corps des femmes, simple terrain à conquérir. Mais cet aspect est complété d’une ouverture donnée dans l’épilogue, et qui donne son sens à un prologue plutôt énigmatique. Car c’est aussi la nature de l’enfance qui est interrogée, ainsi que les affres auxquels tout parent se sent confronté lorsqu’il voit sous ses yeux se déployer ce qu’il a engendré. Et s’il n’y avait pas un peu du (petit) monstre dans ce qu’il n’a par ailleurs de cesse de chérir et d’accompagner vers l’autonomie ?

Eric Arrivé

Men and chicken, 

Comédie fantastique écrite et réalisée par Anders-Thomas Jensen 

2015, 104 min.


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