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D'ailleurs, les gens..., de Pauline Desnuelles

Publié le 20 juin 2016 par Francisrichard @francisrichard
D'ailleurs, les gens..., de Pauline Desnuelles

Pourquoi la chanson de Maxime Le Forestier, Né quelque part, trotte-t-elle dans l'oreille de celui qui lit Pauline Desnuelles? Parce que, dans son livre plein d'empathie, D'ailleurs, les gens..., les gens dont il s'agit sont nés quelque part, de par le vaste monde, sans être pour autant ces imbéciles heureux, dont se moque à juste titre Georges Brassens dans sa fameuse ballade.

Maxime Le Forestier chante la loterie qu'est la condition humaine:

On choisit pas ses parents,
On choisit pas sa famille,
On choisit pas non plus
Les trottoirs de Manille
De Paris ou d'Alger
Pour apprendre à marcher.
Être né quelque part
Être né quelque part
Pour celui qui est né
C'est toujours un hasard.

Les gens de Pauline Desnuelles sont ainsi dix-neuf nés quelque part, qui en Equateur, qui en Croatie, qui en Bosnie, qui au Pérou, qui aux îles Fidji, qui en Corée, qui au Sénégal, qui au Portugal, qui en Mongolie, qui au Cap-Vert, qui en France, qui en Suisse, qui en Espagne, qui en Allemagne, qui en Roumanie, qui en Côte d'Ivoire, qui en Erytrée...

Ce sont des femmes et des hommes, de tous horizons donc, de tous âges, de toutes conditions, qui sont partis d'ailleurs pour cet autre ailleurs qui se trouve ici, en Suisse, ou qui y sont revenus. Maxime Le Forestier chante là-encore ce va-et-vient universel de nombre de gens que favorise la plus ou moins récente (libre?) circulation des personnes sur la planète:

Être né quelque part
C'est partir quand on veut,
Revenir quand on part.

 

Mais tous les endroits ne se valent pas:

Est-ce que les gens naissent
Egaux en droits
A l'endroit
Où ils naissent?

Alors la Suisse? Toute imparfaite qu'elle soit, elle n'est pas la dernière à recevoir des exilés. Bien souvent on ne voit que ceux d'ici qui accueillent mal ceux de là-bas ou qui les maltraitent, on ne voit pas tous ceux qui leur viennent en aide. Et ce livre raconte les uns et les autres. Par bonheur, ici les solidarités naturelles n'ont pas toutes été évincées par la solidarité forcée...

Pauline Desnuelles, dans ces portraits, ne cède pas à la facilité. Elle aurait pu faire le récit de ces dix-neuf existences, la plupart précaires, sous forme d'entretiens ou, en prenant ses distances,  sous forme de narrations à la troisième personne. Elle a préféré se mettre réellement à leur place en les personnifiant à la première et en écoutant battre leurs coeurs sous sa plume.

Car Pauline Desnuelles aurait pu aussi bien adopter le langage parlé, plus ou moins bien parlé d'ailleurs, de ceux qui ne maîtrisent pas la langue d'ici, et en reproduire les accents, les imperfections. Elle a préféré leur donner généreusement sa parole, bien tournée, solide, harmonieuse, avec le souci toutefois de restituer la culture sur laquelle leurs personnalités se fondent. 

Dans sa préface Sylvain Thévoz est touché par le fait que les différences abyssales entre ces gens, dont le livre fait le récit individuel, ne l'empêchent pas d'atteindre à quelque chose de plus grand: Il accomplit ce geste qui comme le rappelle Gilles Deleuze, permet de passer d'une petite histoire personnelle à un récit universel. Mouvement que le philosophe nomme littérature.

Et c'est bien à la littérature qu'appartiennent ces histoires humaines. Seule la littérature permet cette métamorphose du particulier à l'universel. Mais c'est à la condition que ce particulier soit authentique, c'est-à-dire profondément humain. Dès lors le lecteur est à même de reconnaître ici ou là quelque chose ou quelque pensée qui lui ressemble. Sans quoi se laisserait-il toucher?

Francis Richard

D'ailleurs, les gens..., Pauline Desnuelles, 150 pages, Editions des Sables

Livre précédent :

Au-delà de 125 palmiers, 112 pages, Rémanence (2015)


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