L’esprit s’amuse (Blithe spirit)

Par Kinopitheque12

David Lean, 1945 (Royaume-Uni)

ESPRIT ES-TU LÀ ? MA FEMME, MON EX et MOI !

Il serait tiré par le chignon de voir une quelconque analogie avec un autre fantôme de blonde nimbée de vert mais c'est à croire que les réalisateurs britanniques de l'époque visualisent de la sorte l'essence même de la femme fatale. Peut-être faut-il chercher l'origine de cette image fantasmagorique dans les anciennes légendes anglo-saxonnes de la Dame Verte. Jolie, jeune, élancée, blonde habillée d'une longue robe émeraude, le fantôme de la Dame Verte se montre parfois bienveillant, souvent amusant et toujours malicieux. Voilà une inspiration qui, appuyée par une ouverture à la manière d'un livre de contes de fées, nous donne le ton de Blithe spirit. Et le ton est léger, plaisant, charmant et piquant. Un humour " so british " s'il en est.

Comédie fantastique et fantaisiste de 1945, Blithe spiriest adapté d'une pièce de théâtre à grand succès de Noël Coward. Troisième film de David Lean, il reste certainement l'œuvre la moins connue du réalisateur et semble pourtant déjà contenir des éléments que l'on retrouvera plus tard dans Lawrence d'Arabie (1962) et La route des Indes (1984).

C'est donc lors d'une soirée spirite organisée par Charles Condomine, écrivain en mal d'inspiration pour son roman sur la magie, que la fantasque Madame Arcati, médium de son état, va invoquer par inadvertance un esprit joueur : la délicieuse et pétillante première épouse de Charles, Elvira. Charles est le seul à entendre et voir Elvira lorsqu'elle fait une entrée phosphorescente soulignée par des effets spéciaux remarquables. Les dialogues affûtés vont donner lieu à un amusant quiproquo avec la seconde épouse un brin jalouse, Ruth. Un plan nous dévoile la jeune rousse de dos et le fantôme de la blonde vêtue de vert se tenant derrière elle en une quasi-superposition de silhouettes identiques jusque dans leurs coiffures. On l'aura deviné, l'ancienne et la nouvelle semblent être deux facettes d'une même personne ; le dédoublement d'un seul et même type de femme fatale que Charles affectionne particulièrement et dont il sera bien incapable de se débarrasser dans cette vie et celle d'après !

La présence du fantôme d'Elvira est révélée à Ruth lors de l'exact milieu du film et cela s'avère un catalyseur de choix quant à l'ambiance dans le couple. Couple qui, dans un piquant manège de sous-entendus sexuels va tomber dans les éternels reproches sur les amours passées. Elvira s'en amuse et tente alors de séparer par tous les moyens les tourtereaux échaudés. La tension monte, l'hystérie devient collective. Charles essaie d'oublier ses deux harpies encombrantes mais finit tout de même par avouer l'œil pétillant que cette situation unique et intéressante l'amuse, vive le ménage à trois ! Charles s'amuse, Elvira s'amuse et l'on s'amuse avec eux. Seule Ruth rumine dans son coin cette insupportable situation de cohabitation avec une encombrante trépassée : " maintenant, c'est un duel à mort entre Elvira et moi. " Sitôt dit, sitôt fait, par un (mal)heureux malentendu Ruth embarque à bord de la voiture sabotée par Elvira à l'intention de Charles et passe à son tour de vie à trépas.

Ruth est alors métamorphosée en évanescente blonde auréolée de vert. Charles se trouve ainsi affublé de deux fantômes chéris mais ne supporte plus aucune de ses deux femmes. Le médium Madame Arcati aura toutes les peines du monde à débarrasser Charles des revenantes mais dans un éclair de génie, le souvenir d'une ancienne affaire offre une solution provisoire car l'on compren que même invisibles, ses amours fantômes hantent toujours Charles, le poussant littéralement hors de sa demeure pour partir en voyage. La porte s'ouvre alors dans un courant d'air, une voiture sans chauffeur attend devant le perron et l'on devine déjà la dématérialisation prochaine du pauvre Charles victime de ses femmes. L'esprit s'amuse ouvre la voie à d'autres comédies du même genre et l'on ne peut s'empêcher de penser aux mésaventures du mari dans Ma sorcière bien-aimée (1964) ou un peu plus tôt à celles de James Stewart face à Kim Novak dans L'adorable voisine (R. Quine, 1958).