Biblio-gisement
J’entre dans la pièce qu’on appelle « la cantina » mais qui n’en est plus une à la recherche des Mythologies de Roland Barthes. Mon projet me semble aussitôt dépourvu de bon sens : les livres sont, depuis quelques jours, empilés de façon arbitraire sur le lit et non-pas rangés sur des étagères. Le bureau de mon professeur me revient immédiatement en mémoire et le titre d’un article de presse qui y était affiché : quelque chose comme « Un homme meurt enseveli sous ses livres » …
Peut-être aurais-je de la chance et Mythologies sera-t-il visible sur le haut d’une des piles ? Je constate alors que les livres qui occupent ces positions superficielles donnent de nombreux indices sur l’ensemble. On dirait même qu’ils sont remontés, qu’ils affleurent. Je décide de photographier la position exacte de cet échantillon.
Montaillou, Claraboya, Les mots sans les choses, Le Canarien, La Métamorphose, Pars vite et reviens tard, Les mots, la mort, les sorts, et enfin Dónde comer bien en las Islas Canarias. Un livre d’histoire sur un village occitan, un Saramago dont je n’ai aucun souvenir, un Chauvier comme un fragment tellement fin qu’il aurait pu glisser entre les piles, un texte du XVème siècle sur des mondes engloutis par leur conquête, Kafka souvenir d’adolescence, un polar de Fred Vargas parmi tant d’autres et juste à côté, un autre récit à suspens, celui de l’enquête de Jeanne Favret-Saada sur la sorcellerie dans le bocage. Et un guide de resto déjà daté, et rarement consulté.
Ces livres ont été charriés sur le haut de la pile par les remous d’un grand ménage. Au premier coup d’œil, ce biblio-gisement semble « représenter » ma bibliothèque. Mais ce n’est qu’une fausse impression qui ne permet en aucun cas de savoir ce qu’il y a dans les piles, en-dessous. On pourrait se pencher et lire alors quelques tranches, aborder la stratigraphie. On découvrirait alors un ouvrage sur l´élaboration du pain. Sans doute un Sartre : encore un titre avec le mot mots. Peut-être un Foucault dont il serait amusant que le titre comprenne le mot archéologie.
Je pense au mythe de la représentativité. Je pense à mon amie L. qui voulait faire une thèse sur la lecture et qui lisait beaucoup Barthes, justement. Je quitte la pièce étourdie et sans Mythologies.
Julie Campagne