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Game of Thrones : Saison 6 – L’Hiver est enfin là

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Les cloches du Grand Septuaire de Baylor déchirent le mutisme de Port-Réal. Montage alterné entre Cersei Lannister, Tommen Baratheon, Margaery Tyrell, et le Grand Moineau. Jeux de regards fuyants, états d’esprits totalement différents. De ceux à venir, le procès de la Reine Mère ne sera sûrement pas le plus tragique des événements.

Le rythme se fait calme, étonnamment posé, après l’épisode neuf, sa « Bataille des Bâtards », sa fureur et ses horreurs.

À sa mise en scène d’une retenue que l’on ne lui connaissait plus, Game of Thrones y ajoute c(h)oeurs, piano, violons, orgues majestueux. Sentencieux ? « Light of the Seven » déploie sa superbe partition, ménageant brefs moments de silence, envolées chorales intenses : Ramin Djawadi de nouveau (très) inspiré, que l’on n’avait pas connu à pareil niveau depuis des années.

De ces tonalités savamment mélangées, showrunners et scénaristes font émerger une progressive montée en tension, nous plaçant insidieusement et sans mot dire sous pression.

La tragédie est ineluctable, sans que l’on sache pour autant quand celle-ci frappera précisément. Sans ou dans le sang. Seule certitude : dans le grégeois et la bonne humeur. Notre point de vue épouse alors celui des personnages, renforçant totalement l’immersion, exacerbant la peur.

Sans débordements gores, sans surenchère dans l’horreur graphique dont la série de HBO avait fini par faire sa marque de fabrique, le dernier épisode de la sixième saison de Game of Thrones prend le parti de renouer (enfin !) avec ce qui faisait le charme de ses débuts : la fusion de l’intimiste et du grandiloquent, une profusion de moyens utilisés à bon escient, des intrigues politiques mêlées et démêlées au gré d’affrontements âpres et violents, graines semées pour nous mener vers ceux que l’on fantasmait alors toujours plus grandioses et impressionnants.

Fantasmes finalement concrétisés avec la fameuse Bataille des Bâtards donc, épisode qui marquera à n’en pas douter les annales de la série télé, tant sa durée, son envergure, et sa démesure relève du jamais-vu sur petit écran.

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Sans pour autant tomber dans les excès lus ci et là, voulant que celle-ci serait des coudées au-dessus ce qui a pu être réalisé jusqu’alors tous médias confondus (Les Sept Samourais, Le Seigneur des Anneaux, Braveheart, et cætera les saluent bien bas), il n’en reste pas moins qu’après « Durlieu », épisode huit de la cinquième saison qui avait lui-même déjà impressionné, la Bataille des Bâtards élève le niveau encore de plusieurs crans, matérialisant cette fois-ci visuellement ce qu’affrontement à grands déploiements signifient réellement, reléguant aux oubliettes les ellipses imposées (souvent par manque de budget) que l’on subissait auparavant.

Un sommet qui ne sera probablement d’ailleurs qu’une mise en bouche, l’ultime plan de l’épisode dix, saturé des centaines de navires de Daenerys Targaryen voguant vers Westeros et Port-Réal, promettant une suite et une conclusion plus épiques que jamais.

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Néanmoins, le grand spectacle c’est certes très bien, mais ça n’a pas les épaules suffisamment larges pour tenir sur la durée. Un peu comme un sprinter qui chercherait à gagner un marathon. Ce serait fort, mais ce n’est pas prêt d’arriver. Simple question d’être entraîné.

Et si les deux derniers volets de cette saison six se montrent convaincants, ce n’est pas tant grâce à leur stature formelle, mais bien grâce à une efficacité narrative retrouvée, aux enjeux et montage épurés, délestée du superflu aidant grandement à son efficacité.

Une cohérence et une unité de ton que l’on désespérait de retrouver depuis sa fabuleuse première saison, celle de toutes les promesses, celle ayant (prématurément) fait entrer Game of Thrones au panthéon des séries majeures, dont elle n’a malheureusement jamais réussi depuis à se relever, qu’elle n’a jamais réussi à concrétiser.

Noyée sous un flot de personnages à l’intérêt variable à ne plus savoir qu’en faire, somme de sous-intrigues diluant la narration rendant le tout souvent indigent, assujettie à la dictature du rebondissement, du cliffhanger incessant, et ayant cédé aux sirènes de la violence gratuite sans réelle justification scénaristique (le viol de Cersei Lannister par son frère Jaime au pied de la dépouille de leur fils Joffrey, la tête d’Oberyn Martell écrasée à mains nues par La Montagne, le crâne de Trystane Martell transpercé par une lance), Game of Thrones a fini par perdre son lustre de « Rome au pays des dragons » pour in fine ne devenir rien de plus qu’une série événementielle davantage guidée par les réactions enflammées qu’elle pourra susciter, que par la cohérence et la mise en forme de l’histoire qu’elle a à raconter.

À sa décharge, mal aidée il est vrai par son créateur, George R. R. Martin, dont la lenteur de rédaction du sixième livre de la saga aura conduit à la situation ubuesque de voir la série télévisée dépasser son matériau de référence, laissant aux scénaristes le soin de clore ce récit-fleuve un peu comme ils le peuvent.

Des atermoiements narratifs dont ont fini par pâtir le rythme et le souffle de la série, perdue entre une volonté vouée à l’échec de temporiser autant que possible en attendant la sortie du volume tant désiré, et celle nécessaire d’avancer. Question d’audiences et de spectateurs à fédérer.

Si David Benioff, co-créateur de la série, a récemment déclaré, non sans une bonne dose de mauvaise foi, que Game of Thrones était planifiée depuis ses débuts pour durer soixante-douze heure environ avant de livrer sa conclusion, les saisons quatre et cinq restent le parfait contre-exemple de ce qu’il affirme, tant les arcs narratifs concernant Dorne, les luttes intestines à Châteaunoir, l’entraînement à rallonge d’aria au sein de l’ordre des Sans-Visage, les péripéties de Daenerys Targaryen aux mauvais relents de soap pas très intéressant, et ce sans compter les multiples personnages secondaires voire tertiaires surchargeant une formule déjà bien lestée, auront artificiellement allongé une trame générale qui ne demandait au contraire qu’à être savamment rythmée et qui aurait largement gagné à être épurée.

« C’est dans les livres ! » nous direz-vous. Et vous aurez sans aucun doute raison. Sauf que fidélité (à l’esprit à défaut d’avoir pu suivre la règle) n’est pas vérité. Et la passion ne fait pas l’adaptation.

Que les puristes de l’univers soient friands de détails, rien de plus compréhensible. Que ceux-ci en viennent à littéralement plomber la narration, rien de plus répréhensible.

Le diable est dans ses détails.

Ce que Peter Jackson, Fran Walsh et Philippa Boyens avaient miraculeusement réussi à accomplir sur Le Seigneur des Anneaux, David Benioff et D. B. Weiss l’ont, eux, en partie raté sur Game of Thrones, à ménager les fans puristes des livres d’une part, et HBO d’autre part, trop heureuse de pouvoir capitaliser sur un succès hors norme, et compenser par là-même une crise créative et financière difficile à résorber.

En partie seulement, car en dépit de ce creux qualitatif évidemment dommageable, cette sixième saison a finalement permis aux showrunners de changer leur fusil d’épaule, rectifier le tir, et réorienter le show vers l’essentiel, resserrant au passage l’attention sur une poignée de personnages réellement centraux.

Exit les Frey, Bolton, Baratheon, les fils de la Harpie, les esclavagistes de Meereen, leurs alliances, ruptures, coups fumeux, putschs.

En conclusion de cette sixième saison, retour à un Port-Réal aux mains des Lannister, Winterfell à nouveau dans le giron Stark. La Reine Dragon, à la puissance recouvrée, met le cap, elle, sur Westeros, nantie d’une gigantesque armée.

Retour vers le Futur. Plus exactement au terme de la saison trois, délestée de tous ces protagonistes et péripéties annexes devenus au fil du temps moins un avantage qu’un fardeau, sinon un poids.

Si l’on ne pourra s’empêcher de penser que ce temps perdu aurait pu être bien mieux utilisé, ayant torpillé au passage les aspirations de Game of Thrones à caresser l’excellence narrative et formelle d’un Breaking Bad, The Wire, ou d’un Battlestar Galactica – un deuil qu’il faudra tout de même digérer au vu de son potentiel -, ne boudons cependant pas notre plaisir face à ce qui restera sans nul doute deux belles réussites qui, on l’espère, présument in fine de la qualité de la fin de la série désormais datée.

Car avec les épisodes neuf et dix – « Battle of the Bastards » et « The Wind of Winter » -, Game of Thrones regagne ses galons de spectacle fascinant et enlevant, à l’efficacité retrouvée, que l’on se surprend à de nouveau savourer sans arrières-pensées.

Au contraire de la plupart de leurs prédécesseurs (notamment depuis la fin de la saison trois, une nouvelle fois…), « Battle of the Bastards » et « The Winds of Winter » renouent avec une esthétique raffinée, une photographie et une lumière davantage travaillées, ainsi qu’une qualité d’effets spéciaux enfin en phase avec les moyens colossaux alloués (cent millions de dollars pour cette seule saison, faut-il encore le rappeler). Game of Thrones se fait de nouveau plaisante à regarder, après ses errances de série B moche bien que friquée.

Et s’ils n’évitent pas eux-non plus les éternels vecteurs d’agacement de la série qui, il faut se faire à l’idée, ne seront désormais jamais gommés (Emilia Clarke et Sophie Turner toujours aussi mono-expressives, Jon Snow toujours aussi naïf et un rien falot, l’unité géographique de Westeros définitivement piétinée, …), ils ont néanmoins le mérite de ne pas s’éparpiller, de se montrer riches tout en restant d’une salutaire sobriété, prenant leur temps de s’attarder suffisamment pour se montrer satisfaisant sur leurs personnages : Game of Thrones peut à nouveau respirer.

Place désormais aux saisons sept et huit, saisons raccourcies de respectivement sept et six épisodes, avec, on l’espère, le même souci de simplicité et de clarté retrouvées. Stark contre Lannister. Lannister contre l’alliance Targaryen. Westeros contre les Marcheurs Blancs.

C’est tout ? C’est tout. Reste que ça fait un bien fou. À bien raconter, ça fait déjà beaucoup.

L’Hiver est enfin là. La fin est proche, et on n’attend plus que ça !

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