Un peu plus d’une semaine après le Brexit, le bilan est déjà particulièrement croquignolet. Des deux côtés de la Manche, les politiciens nagent dans la consternation et leurs déclarations s’empilent mollement les unes sur les autres, montrant qu’ils n’ont absolument rien compris des raisons qui expliquent ce qui vient de se passer. C’est tellement vrai que, pendant ce temps, la grosse machine bruxelloise continue son emballement.
Et c’est un peu abasourdi qu’on observe donc l’inébranlable avancée des institutions européennes sur les chemins depuis longtemps balisés, parfaitement imperméable aux changements du reste du monde. Et parfois, le cadencement de leurs opérations laisse quelque peu dubitatif.
Prenez, par exemple, l’actuel tour de négociations ouvert il y a quelques jours avec la Turquie, qui concerne les questions budgétaires et répond au pacte signé en mars entre les deux entités pour tenter d’endiguer la crise migratoire qui secoue le continent.
Certes, ces négociations et ces traités proviennent d’un processus fort long, aux dates souvent arrêtées des mois à l’avance. Certes, des questions prégnantes, à commencer par l’épineuse crise des vagues migratoires actuelles justement en provenance de Turquie nécessitent la mise en place d’un dialogue entre l’Union d’un côté et la Turquie de l’autre. Certes.
Mais l’actualité politique imposerait sans l’ombre d’un doute une prise de recul, ne serait-ce que pour trouver le moment le plus adéquat pour engager ces pourparlers particulièrement épineux.
Or, il n’en est rien ou à peu près. Les dirigeants européens, Merkel en tête, ont beau jeu ensuite de prétendre que ces négociations ne sont ouvertes que sur des aspects économiques et seulement dans le cadre des accords signés en mars dernier concernant la crise migratoire, mais force est de constater que cette information, alors que l’Union est en proie à ce qui ressemble bien à sa plus grave crise en 50 ans, arrive comme un cheveu sur la soupe.
Ce problème n’est ni nouveau, ni unique.
Rien que dans les dernières semaines, on peut noter de nombreuses occurrences de ce genre de voltige politique douteuse.
À titre anecdotique (mais parfaitement illustratif), on pourrait prendre un récent document de travail produit par la Commission des affaires juridiques du Parlement européen, et qui entend proposer un cadre pour définir un statut légal régissant les robots. Frétillant d’aise, les parlementaires concernés sont heureux de présenter à la presse cette première tentative mondiale de définir ce qu’est un robot intelligent et quels seront ses droits et ses devoirs.C’est assez grotesque dans l’esprit puisqu’il s’agit avant tout de répondre (par la loi, la règlementation et de lourdes directives) à un problème, celui du statut juridique des robots, qui ne se pose que dans la tête de ces gens-là. En outre, en créant ce statut bien avant toute nécessité et en faisant fi de l’intelligence ou de la souplesse d’adaptation des institutions juridiques humaines actuelles, l’institution entend donc définir les cadres juridiques à la place de ceux qui seront concernés, et avant qu’ils le soient.
En réalité, lorsqu’on gratte la surface de cette initiative, on se rend compte que la démarche n’est pas ubuesque mais motivée par des raisons bien plus idéologiques qu’autre chose : puisqu’une responsabilité juridique de ces « robots intelligents » risque bien de poser quelques soucis, les parlementaires européens ont imaginé mettre en place un fonds alimenté par des taxes prélevées auprès des constructeurs et des utilisateurs.
Je passe sur la taxe prélevée sur les constructeurs, cette dernière étant de toute façon reportée dans le prix et donc, in fine, au moins en partie payée par les acheteurs / consommateurs / utilisateurs, et je me contenterai donc de remarquer que la démarche revient en définitive à chercher une nouvelle assiette de taxation, en découvrant une bonne raison pour le faire quitte à créer un problème de toutes pièces.
Et pendant que quelques parlementaires européens entendent donner de nouveaux droits aux robots, d’autres se sont chargés d’en enlever aux humains pour faire bonne mesure.
Utilisant le prétexte des attaques terroristes de Paris en janvier puis novembre 2015 et urgeant les uns et les autres à agir à la suite de celles survenues à Bruxelles en mars, le Conseil européen a officiellement supporté l’idée d’étendre l’interdiction de possession des armes à feu comme le proposait la Commission depuis le 18 novembre 2015.
Cependant, comme le font remarquer les pétitionnaires de Firearms-United, ces propositions sont établies sans étude d’impact, sans discernement et essentiellement sous le coup de l’émotion (pour la partie visible) et avec, toujours, ce fond idéologique qui consiste à prétendre trouver une solution au terrorisme en désarmant les tireurs enregistrés, citoyens obéissants par définition, et en ensevelissant ces derniers sous des lois que les criminels, méchants qu’ils sont, s’emploient pourtant à contourner systématiquement.
En somme, ou bien l’Union utilise les événements quotidiens pour pousser des lois et des directives de plus en plus contraignantes, ou bien elle fait semblant d’ignorer cette actualité pour continuer, obstinément, un chemin qu’elle s’est tracée toute seule, ou bien elle décide unilatéralement de l’existence d’un problème pour imaginer une taxe assise dessus…
Bref, on le comprend, le problème est que ces institutions multiplient les faux-pas ou les ingérences de plus en plus invraisemblables, et qu’elles le font avec un détachement croissant des peuples qu’elles sont censées représenter.
Ainsi, la question turque est un sujet particulièrement clivant dans toutes les sociétés européennes… Et leurs peuples n’ont pas du tout été interrogés sur la pertinence ou non de ces traités turco-européens. Ainsi, la création d’une nouvelle taxe ne semble guère émouvoir les parlementaires alors qu’il s’agit, encore une fois, d’une ponction décidée sans que le public n’ait même émis le moindre désir qu’une telle législation existe. Ainsi, les institutions ont décidé de désarmer les citoyens respectueux dont aucun n’est responsable du terrorisme qui a dernièrement secoué l’Europe, et ce, sans les consulter et avec un a priori idéologique aussi évident qu’illogique voire grotesque.
Mais voilà : au lieu d’un modeste gérant placide et bienveillant, l’Union est devenue un Golem incontrôlable. Malgré ces constats, multiples, de l’écart entre les institutions et les citoyens, malgré la surdité évidente dont ces institutions font preuve face aux réclamations maintenant de plus en plus vocales des peuples, malgré les rebuffades qu’elles subissent dans les urnes, que propose la fine équipe de politiciens actuellement en place ? Mais davantage de cette Europe-là, pardi !
Forcément, ça va bien se terminer.