À trop vouloir écouler de marchandise, les plateformes d’achat de jeux en ligne sont-elles condamnées à long terme? Dans un marché de plus en plus saturé, les Steam, Origin, GOG et autres risquent effectivement de perdre des clients. Et ce, sans compter les dangers pour les studios de développement.
L’événement se produit immanquablement quatre fois par année : Steam tient l’une de ses grandes ventes saisonnières, et les joueurs se précipitent en sortant leur carte de crédit. Mais si la chose revêtait un grand intérêt au départ, il y a bientôt une dizaine d’années, il faut aujourd’hui constater que l’excitation a tout au plus fait place à une légère curiosité chez certains.
Car voilà, la concurrence est aujourd’hui féroce dans le marché des ventes de jeux PC en ligne. De deux, le nombre de ventes saisonnières est passé à quatre sur Steam. Mais la plateforme gérée par Valve affiche aussi des spéciaux chaque semaine, quand un weekend n’est pas consacré à un éditeur ou développeur, avec rabais à la clé.
Ça se bouscule au portillon
S’il est le joueur le plus important sur le marché, avec plus de 125 millions d’utilisateurs inscrits à son service, Steam n’est pas seul. Origin, GOG, DirectDrive, Green Man Gaming, IndieGala… tous multiplient les promotions dans le but d’attirer les consommateurs. Mais à quel prix?
Oui, les prix souvent réduits des jeux PC sont un avantage indéniable face aux joueurs sur consoles. Lorsqu’il est question de bâtir sa bibliothèque de titres, une vente sur n’importe quelle plateforme a d’ailleurs des allures de Noël. Voir tant de jeux aux prix cassés devient parfois ridicule. Lors de la plus récente vente Steam, qui s’est terminée lundi de la semaine dernière, plus de 13 000 jeux étaient soldés!
Mais cette année, comme depuis un certain temps, j’ai imité bien d’autres joueurs, et je n’ai rien acheté, ou presque. Un ou deux titres, sans plus, sur la base de recommandations de proches.
Et les autres jeux suggérés par Steam?
Ils sont encore vendus trop cher. Ou ils sont déjà dans ma bibliothèque.
Depuis la création de mon compte, j’ai dépensé la coquette somme de 1 416$ pour acheter 325 jeux. Un montant réduit par rapport à la valeur actuelle de 4 605$ de ces mêmes jeux, mais aussi quelque chose qui pourrait ressembler à du gaspillage : sur ces 325 jeux, 101 n’ont jamais été lancés ne serait-ce qu’une fois.
On ne compte pas, non plus, tous les autres jeux achetés sur divers services, par exemple Humble Bundle, qui s’ajoutent à ce dantesque catalogue. Après tout, il est si facile de mettre la main sur une dizaine de jeux pour moins de 20$, et ce au moins une fois par mois. Pourquoi se priver?
Pour les acheteurs compulsifs de livres, il existe un terme en japonais qui désigne l’accumulation de romans sur sa table de chevet, sans que l’on ait jamais le temps de les lire : tsundoku. C’est vers cette même gloutonnerie que nous poussent les plateformes de vente en ligne. Résultat? Des joueurs qui deviennent blasés, et qui consomment moins. Car trop de choix tue le choix, et si le marché continue effectivement de prendre de l’expansion avec l’arrivée de nouveaux joueurs, il est certain que le bassin existant n’a pas de ressources infinies. Bombardé par des rabais, des promotions, des ventes, des tirages, le joueur deviendra snob, tatillon, il ira fouiller sur des sites spécialisés, installera des extensions dans son navigateur pour comparer les prix en direct. Bref, il deviendra un consommateur de mieux en mieux informé, au grand dam des diverses plateformes qui se partagent le marché.
Ou, pire encore, il se dira qu’il a de toute façon déjà amplement de quoi s’occuper, et il cessera carrément de dépenser pour consacrer son argent à un autre genre de divertissement.
Publicité contre recettes
Overwatch, l’exception qui confirme la règle?
Les éditeurs et développeurs de jeux risquent de leur côté d’être entraînés dans une spirale infernale : afin de faire connaître leurs produits et en assurer la longévité, il faudra un jour réduire les prix. À moins de s’appeler Blizzard et de posséder le produit et la plateforme. Mais quiconque passe par un intermédiaire participera éventuellement à une vente. Ce faisant, y a-t-il un danger de manquer de revenus pour développer un prochain jeu? Devra-t-on couper sur la qualité pour parvenir à un équilibre précaire entre un jeu avoisinant la médiocrité et un prix dérisoire, ou tentera-t-on plutôt de faire le maximum d’argent dans les semaines suivant la sortie d’un jeu, sorte de «ça passe ou ça casse» numérique?
Peut-être qu’en réduisant le nombre de promotions, ou en ajoutant un élément de mystère, les joueurs seront davantage portés à tenter le coup.
À partir d’un certain moment, augmenter constamment l’offre n’entraîne plus automatiquement un relèvement de la demande, même en réduisant les prix. D’autant plus que les jeux vidéo ne sont normalement pas un bien périssable. La notion de vente perd de son lustre, et on en vient, paradoxalement, à vouloir justement attendre les rabais, plutôt que d’acheter un jeu au plein prix. Pourquoi se presser, de toute façon? Il y aura une vente plus tôt qu’on ne le pense…
Oui, il est trop tard pour revenir complètement en arrière et n’offrir des rabais qu’au compte-gouttes. Mais peut-être qu’en réduisant le nombre de promotions, ou en ajoutant un élément de mystère, comme le fait Humble Bundle avec ses diverses promotions, les joueurs seront davantage portés à tenter le coup. Car un consommateur lassé n’est plus un consommateur. Et c’est à ce moment que les marges bénéficiaires se mettent à fondre. Une diminution qui ne serait à l’avantage de personne dans l’industrie.