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480ème semaine politique: pourquoi s'habituer aux attentats

Publié le 16 juillet 2016 par Juan
480ème semaine politique: pourquoi s'habituer aux attentats

Le visage sobre et désormais si familier du procureur François Molins est apparu sur nos écrans français vendredi 15 juillet après-midi. 

Nous l'attendions, tristement.  Dans le brouhaha des réactions de solidarité ou de haine, François Molins apparaît tel un triste point de repère, une vigie qui rappelle les faits.


Molins, le retour
L'homme est devenu un compagnon d'infortune. Le premier commentateur officiel et fiable que l'on écoute avec attention sur les récents massacres terroristes qui frappent le pays depuis 2012. Quand Molins apparaît, l'heure est grave, a été grave, et sera grave. C'est une parole fiable, posée, distancée, mais humaine.
"Ce bilan est bien sûr provisoire." 
François Molins évoque 84 morts, dont 10 enfants et adolescents.
Et près de 200 blessés.
Pour la première fois, des enfants ont été tués dans un attentat sur le sol français. Un soir de Fête nationale, à Nice, sur la Promenade des Anglais, un large camion blanc a fauché, tué et blessé près de trois cent personnes vers 23h le 14 juillet.
"J'ai vu des corps voler comme des quilles de bowling sur son passage. Entendu des bruits, des hurlements que je n'oublierai jamais." Un journaliste de Nice Matin.
Comme il y a 8 mois lors des massacres de Paris, le comptage macabre des victimes se poursuit toute la nuit au fil des tweets, des rumeurs et des déclarations officielles. Des images insoutenables sont odieusement filmées et postées sur YouTube ou Facebook qui ne filtrent rien ou si peu. Dans la nuit du drame, France 2 diffuse sans retenue quelques clichés de cadavres. LCI évoque une prise d'otages inexistante.
Vers 3h45, Hollande annonce sans surprise la prolongation de l'état d'urgence. Une fois encore, une fois de plus, une fois pour rien. "Le caractère terroriste ne peut être ignoré et l'acte est encore une fois d'une violence absolue" explique-t-il. François Molins, quelques heures plus tard, vise aussi Daech puisque le mode opératoire de l'attentat correspond "très exactement aux appels aux meurtres communiqués par ces organisations". Un journaliste de RFI, et contributeur au journal Les Jours, David Johnson, rappelle qu'un bourreau de l'Etat islamique préconisait en septembre 2014 d'envoyer des véhicules faucher des civils.
Pourtant Daech ne revendique rien.
L'horreur du drame déclenche des réactions de solidarité, de compassion, de sidération parfois. "Vivons profondément ce partage de la souffrance. Car avec lui nous vérifions que nous sommes restés humains dans ce monde qui l’est souvent si peu" résume Jean-Luc Melenchon; "la France doit, plus que jamais, se tenir debout et rassemblée" complètent les époux Chirac. 
Partager une souffrance pourtant évidente est un exercice difficile.
Car il y a aussi d'inévitables dérapages qui à leur tour heurtent et bousculent, des récupérations en tous genres, des interprétations prématurées. Henri Guaino est l'une des première victimes du ridicule post-traumatique. L'ancien conseiller politique de Nicolas Sarkozy sombre en expliquant, trop tôt, trop vite, dès le lendemain matin: "Il suffit de mettre à l'entrée de la promenade des Anglais un militaire avec un lance-roquette et puis il arrêtera le camion de 15 tonnes, voilà c'est tout !"
A l'autre extrême, Edwy Plenel de Mediapart préfère renvoyer, le lendemain de l'attentat, sur la menace terroriste... de l'ultra-droite. Laurent Bouvet lui réplique. La dispute est surréaliste.
A Nice, Sarkozy déboule dès vendredi avec Estrosi, l'ancien maire, pour saluer des micro-foules dans des rues étroites. Et Alain Juppé s'abime dans la récupération la plus vile et la plus inutile en déclarant: "si tous les moyens avaient été pris, le drame n'aurait pas eu lieu."
Assez.
Taisez-vous.
Le tueur, un Niçois franco-tunisien de 31 ans, a été abattu. L'homme fait rapidement l'objet de reportage, "mari violent et un voisin étrange et secret mais pas radicalisé" relate l'Obs. Un ancien délinquant sans passé islamiste, "père de trois enfants" mais condamné avec sursis pour violence en mars dernier. Dans son quartier, "on s'imagine mal un lien quelconque avec Daech".
Au matin du 15 juillet, la France est groggy.
Mais le massacre n'a pas été revendiqué. Cette absence de revendication est sans doute l'autre information la plus essentielle. Plus essentielle que les images de cadavres. Plus essentielle que les éructations islamophobes. Plus essentielle que les "yakafokon" comme ceux de Juppé, Ciotti et autres Wauquiez.
Deux jours après, le massacre n'a pas été revendiqué.
Les services d'information de Daech sont-ils en vacances ? Rares sont nos politiques qui hésitent à attribuer la paternité de l'attentat à l'EI. Hollande, Valls, Sarkozy, etc, tous plongent, nagent et régurgitent. Mais Daech évite de revendiquer, peut-être embarrassé par un massacre de trop. L'Etat Islamique terrorise jusqu'aux musulmans eux-mêmes. En France, Bernard Cazeneuve, le ministre de l'intérieur, reste prudent, plus prudent que son propre premier ministre.

"C'est un terroriste, sans doute lié à l'islam radical" Manuel Valls, 15 juillet.


Ce massacre clôt une semaine politiquement ridicule.
Dimanche, la France perd face au Portugal en finale de l'Euro 2016. Qui pouvait échapper à l'évènement au sein de l'Hexagone ? Le show sportif s'achève enfin. La presse se fascine ensuite sur un autre spectacle: mardi 12 juillet, Emmanuel Macron tient  son premier grand meeting public à Paris, dans un lieu symbolique, la Mutualité. Le jeune clone de Sarkozy, dix ans après son mentor inavoué, nous refait le coup de la rupture dans la continuité. Macron est d'ailleurs comme Jésus, il marche sur l'eau, il guérit les aveugles, il soigne les malades: dans une salle de 1 800 places aux rangs parsemés, il rassemble 3 000 personnes. Chez Macron, on ne fait pas grève, on "like" des pages Facebook. On ne brandit pas des affiches dans les rues de nos villes, on poste des clichés du genre "l'Europe ne pourra avancer que si nous la pensons dans le monde" et autres "la-guerre-c'est-mal".
Notre actualité dramatique efface ce jeune Macron aussi sûrement qu'un coup de gomme. La comète Macron fatigue autant qu'elle exaspère.
L'attentat a également effacé d'un trait l'allocution annuelle si traditionnelle du 14 juillet par François Hollande. Ce exercice est devenu politiquement insignifiant pour le plus grand nombre,
Hollande est attaqué sur le front des affaires. Et quelles affaires ! On découvre qu'il a le cheveu sensible. Le "président normal" a un coiffeur rémunéré 9 895 euros de salaire brut mensuel, d'après Le Canard enchaîné du mercredi 13 juillet. C'est une affaire symbolique, cocasse et sans commune mesure avec les déboires financiers de Nicolas Sarkozy, à l'image du quinquennat: une gaffe futile de plus, raillée par un troupeau d'amnésiques. Hollande est attaqué sur une dépense personnelle et protocolaire, alors qu'il a réduit sans commune mesure les dépenses de l'Elysée par rapport aux délires bling-bling de son prédécesseur.
Lors de son intervention du 14 juillet, quelques heures avant le drame de Nice, Hollande a ce ton
solennel, forcément durci année après année, par cette multiplication d'attentats meurtriers et d'état d'exception.

"5 ans c’est très court. Être Président c’est être confronté à la mort, à la tragédie." Non Monsieur Hollande, la question n'est là, elle n'est pas sur vous, sur votre personne ni celle de votre successeur. La question de l'efficacité démocratique se porte sur le régime tout en entier: l'irresponsabilité et l'inefficacité politique du commandant suprême n'ont d'égales que l'ultra-personnalisation du système. La Vème République, agitée par une médiatisation continue, se meurt devant nous. Elle nous empêche de communier simplement, de partager la souffrance sans être interrompue par le concours des egos.
La France est encore frappée par un attentat. On attend que la démocratie soit davantage encore célébrée, qu'elle soit brandie comme une riposte évidente contre cette barbarie absurde. Il n'en sera sans doute rien. Malgré l'inefficacité, depuis 8 mois déjà, de cet état d'exception, des élus de gauche comme de droite, effrayés, réclame l'état d'urgence permanent.
Les réactions dignes, depuis quelques heures, ont été rares.


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