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Les carnets de voyage de l’Aica Caraïbe du Sud n°2

Publié le 17 juillet 2016 par Aicasc @aica_sc

Les cahiers de voyages d’AICA Caraïbe du Sud- Paris. Musée d’Orsay. Le douanier Rousseau.

Rien de tel qu’une gare pour partir en voyage.  Pour ma deuxième journée  à Paris,  j’allais donc au Musée d’Orsay. Un voyage déjà dans le temps, puisqu’on se plonge forcément dans le XIX siècle. Et que ce soit sans jamais quitter Paris,  comme le Douanier Rousseau, voyageur imaginaire, ou en ayant parcouru dangereusement le monde, comme Charles Gleyre, romantique repenti, ou en se promenant entre campagne et mer, comme la plupart des impressionnistes, ou navigant au grand cours comme Gauguin, ou encore cheminant à ses risques et périls dans les régions les plus sombres de l’être comme Van Gogh, tous et chacun nous amènent loin de cette après-midi parisienne, des bords de la Seine aux bords de quelque chose qu’on peut appeler âme.

Le douanier Rousseau, innocence archaïque

Le rêve, 1910, huile sur toile, 204,5 X 298,5 cm

Le rêve, 1910, huile sur toile, 204,5 X 298,5 cm

Henri Julien Félix Rousseau, dit le douanier Rousseau (1844-1910) aurait produit 250 peintures, dont une bonne centaine a disparu, sûrement car Rousseau, plutôt pauvre, avait la fâcheuse habitude de payer sa blanchisseuse et autres créanciers avec des toiles.  Au Musée d’Orsay, sur 78 tableaux présentés,  45 étaient du Douanier, les autres d’artistes qui auraient pu l’influencer ou être influencés par lui ou dont la contemplation permet de mieux cerner les qualités profondes de son œuvre. D’où ce joli mot d’archaïsme. C’est donc à la lumière critique de la notion d’archaïsme que ses œuvres étaient montrées au Musée d’Orsay,  environnées par Seurat, Delaunay, Kandinsky , Gauguin, Diego Rivera, Ernst, Picasso, mais aussi d’autres moins connus, afin de relever les liens qui ont fait de son œuvre une voie originale  et profondément moderne.

Vue du Pont de Sèvres, 1908, huile sur toile, 80 x 102 cm

Vue du Pont de Sèvres, 1908, huile sur toile, 80 x 102 cm

En son temps, on a jugé sa peinture enfantine, on l’a dit naïf, avec ce que cela pouvait contenir de négatif. A cela les commissaires de l’exposition opposent la notion d’Innocence archaïque. Peut être innocent comme on peut dire de l’art brut ou parce qu’autodidacte. Même si de la culture artistique le douanier devait bien en avoir, puisque après avoir obtenu l’autorisation de faire des copies au Louvre, il le fréquentait assidument. Innocent et archaïque en ce qu’il se soucie peu ou pas du tout des notions de perspective, qu’il a pu tout aussi bien n’avoir jamais réussi à apprendre, comme ignorer, car cela ne servait pas la voie qu’il s’était choisie. Ignorant en cela les leçons aussi bien des académiques que des impressionnistes.  Innocent car utilisant la perspective signifiante  médiévale, apparemment en toute ignorance de causes ? Cela est  possible : dans la peinture religieuse, préclassique,  la « grandeur » des sujets sur la toile se réfère non pas à leur position dans l’espace ou à leur taille, mais à leur importance pour le peintre, tout comme sur les toiles du douanier. On pense ici à La muse inspirant le poète, où une Marie Laurencin très arrondie,  écrase un Apollinaire plutôt fluet.

 la Muse inspirant le poète, 1909, huile sur toile, 146 X 97 cm

la Muse inspirant le poète, 1909, huile sur toile, 146 X 97 cm

Innocent et archaïque car inventeur d’un monde tout à fait original.  Le peintre qui se disait réaliste n’a jamais peint que d’après son imagination. Archaïque dans la rigidité et position frontale des personnages, qu’on peut rapprocher aux ex-voto et autres manifestations de la peinture populaire. Riche dans la fulgurance des couleurs, dans la profusion de tonalités de verts, dans la délicatesse de la composition de ses paysages industriels si modernes. Singulier dans les détails incongrus comme dans Les joyeux farceurs où des singes pas si gais partagent le premier plan avec des accessoires pour le moins étonnants : une bouteille de lait, un gratte-dos, une sorte de canne ou long bâton…. Singulier dans l’invention revendiquée du portrait-paysage, qu’on verra partagé avec d’autres peintres. Touchant en tout cas dans les détails comme les noms de ses épouses, sur sa palette de peintre dans son fameux auto-portrait-paysage (avec ce détail dans le détail, le nom de la seconde épouse apparait clairement retouché).

Moi-même, portrait-paysage, 1890, huile sur toile 143 X 110 cm

Moi-même, portrait-paysage, 1890, huile sur toile 143 X 110 cm

Archaïque dans sa position tout à fait moderne qui rejette l’art officiel du moment, qui refuse le classicisme en posant ses racines plus loin, lui qui se voyait  académique. Le peintre de paysages exotiques qui n’a jamais quitté Paris, peignait d’après livres, cartes postales et visites au Jardin des plantes, mais surtout d’après ses rêves.  Il n’était pas à un paradoxe près. Honnête homme, le peintre a commis des larcins qui lui ont valu par deux fois des déboires avec la justice. Marié deux fois, et deux fois veuf, il a eu 9 enfants dont 8 ont péri. Pas trop porté sur les études, et de famille modeste, il a eu la chance de se trouver employé à l’octroi, ce qui lui vaudra le sobriquet de douanier. Mais aussi l’audace de quitter son travail pour se dédier à  une peinture qui à l’époque faisait plutôt sourire. Participant annuellement ou presque au Salon des Indépendants, il fut moqué et traité avec sarcasme par la plupart des critiques. Mais était aimé de grands artistes, comme Picasso,  qui ont vu en lui un maître. Et disparaissait alors que les commandes finalement commençaient à affluer. Mort dans la pauvreté, il a été enterré en fosse commune. Mais en 1947 ses restes seront finalement ensevelis à Laval avec une épitaphe d’Apollinaire, et un médaillon sculpté par Brancusi.

 Joyeux farceurs, 1906, huile sur toile146 X 113,6 cm

Joyeux farceurs, 1906, huile sur toile146 X 113,6 cm

Matilde dos Santos


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