Le gouvernement camerounais a réagi de deux façons au vent des révolutions populaires qui souffle sur le continent africain depuis le déclenchement du printemps arabe en décembre 2010. Au début, il a voulu manipuler les jeunes en improvisant, durant l’exercice budgétaire de 2011, le recrutement spécial de 25 000 jeunes dans la fonction publique en décalage avec la loi des finances 2011 et les prévisions budgétaires du pays. Ce recrutement a accentué l’injustice dans la mesure où les jeunes recrutés comme « agent de l’Etat » étaient sous-traités par rapport à leurs collègues fonctionnaires à compétences égales.
Suite à l’inefficacité de cette mesure populiste et à l’accélération de l’actualité de l’alternance démocratique en Afrique, le régime de Yaoundé a finalement opté pour le musèlement des adversaires politiques et la fermeture de la sphère publique via la constitution progressive d’un arsenal juridique néfaste à l’expression démocratique. Quelles sont ces dispositions juridiques et que faut-il en dire ?
On observe d’abord que le régime camerounais a tiré négativement les leçons du contentieux électoral en Côte d’Ivoire en décembre 2010. Après le rejet de la décision du Conseil constitutionnel n°CI-2010-EP-34/03-12/CC/SG du 3 décembre 2010 portant les résultats définitifs en faveur de la décision provisoire de la Commission électorale (CEI), le régime camerounais avait modifié le 6 avril 2011 la loi électorale pour retirer à sa Commission électorale (Elecam) la possibilité de publier les résultats provisoires. Ainsi donc, c’est la Cour constitutionnelle nommée par le régime sortant qui proclame toute seule les résultats (définitifs) au grand dam des adversaires politiques qui réclament la neutralité et l’indépendance.
La deuxième inquiétude provient de la loi n°2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme. Ce texte punit au chapitre 2 article 2 d’une peine de mort l’intention «de (a) contraindre le gouvernement (…) à accomplir un acte quelconque ou à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains principes, (b) perturber le fonctionnement normal des services publics, (…) ou de créer une situation de crise au sein des populations, (c) organiser une insurrection générale ». Depuis lors, les adversaires politiques sont régulièrement interrogés sur le caractère terroriste de leurs activités ou sur leur intention à organiser une insurrection populaire à travers leurs appels à mobilisation. Par exemple, suite à une tournée de l’opposant Christopher Fomunyoh dans l’Extrême-Nord du 28 février au 07 mars 2015, l’activiste Gérard Kuissu qui l’accompagnait avait été arrêté arbitrairement le 14 mars 2015. Il devait prouver l’innocence de leurs relations avec Amnesty International et les populations vulnérables du septentrion. D’ailleurs, suite à la publication le 14 juillet 2016 du rapport accablant d’Amnesty International (qui est dans son rôle) sur le non-respect des droits humains dans la lutte contre Boko Haram, le gouvernement camerounais a crié le 20 juillet 2016 à la «méprise» et au complot contre l’Etat («agenda occulte (…) des sirènes de la déstabilisation et de la démobilisation») et a rappelé l’existence de la loi anti-terroriste. Cette loi est une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de tout adversaire politique qui mobilise légitimement contre les exactions du pouvoir.
La troisième inquiétude est issue de la loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code pénal. Les articles 231 et 232 pénalisent les atteintes à la paix publique qui intègrent entre autres les réunions, manifestations publiques et attroupements de plus de 5 personnes. On apprend qu’est frappé d’une peine d’emprisonnement et d’une amende celui qui organise, participe, convoque une réunion/manifestation non-autorisée. Si seulement on savait le nombre de réunions (non-autorisées) qui se tiennent dans les villes et villages du Cameroun par jour ! Tout Camerounais est désormais potentiel prisonnier ! Et pour les manifestations publiques, comment fait-on pour savoir si l’autorisation sera refusée ? En réalité, cela ouvre la voie à l’arbitraire et à la discrimination. Par exemple, pendant que le parti au pouvoir fait des réunions, manifestations publiques et attroupements non-autorisés pour signer les motions de soutien et de déférence à leur président national (Paul Biya), l’opposition et la société civile se voient systématiquement refuser à Yaoundé les autorisations même pour les conférences de presse et dédicaces de livre. Par exemple, un opposant et acteur majeur de la société civile comme Bernard Njonga a été inculpé le 4 juillet 2016 pour manifestation illégale alors qu’il accompagnait les aviculteurs qui cherchaient à rencontrer le Premier ministre. Pis, l’article 231 introduit la notion de « déclaration incomplète ou inexacte » de manifestation qui est floue et susceptible de conduire aux abus administratifs. L’article 232 va jusqu’à doubler la peine de celui qui ne se retire pas d’un attroupement après sommation des autorités, ce qui rend désormais impossible la résistance pacifique au Cameroun.
Et pour ne pas avoir à rendre compte, le régime camerounais s’emploie à asphyxier financièrement la Chambre des Comptes. En effet, de 2010 à 2014, son budget a été réduit de moitié (d’un milliard à 500 millions environ), ce qui rend impossible les descentes sur le terrain pour les investigations. Pis, la publication des rapports de comptes reste bloquée souvent pendant plus d’une année. Par exemple, ce n’est que ce 18 juillet 2016 à Yaoundé qu’elle a pu publier son rapport 2014 alors que certains des acteurs n’étaient plus en place. Pis, ce rapport reste sans effet malgré son caractère accablant : «le compte général de l’État de l’exercice 2013 tel que produit ne prête pas à la certification». Un tel fonctionnement sans reddition des comptes est un système ouvert à l’impunité.
En conclusion, il devient de plus en plus difficile d’occuper l’espace public au Cameroun sans être dans la logique de déférence au régime en place. Il est à regretter que le régime camerounais se referme au moment où il fallait inscrire le droit de manifester dans la Constitution à l’image de ce qui se fait dans d’autres pays africains comme la Guinée-Conakry. Une telle fermeture ajoutée à l’absence de la reddition des comptes est un danger pour la démocratie camerounaise.
Par Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA, le 29 juillet 2016.