The Kettering Incident est une nouvelle série de 8 épisodes diffusée depuis le début juillet sur les ondes de Showcase en Australie. Le titre fait référence à un drame qui s’est déroulé il y a déjà une dizaine d’années alors que les adolescentes Anna Macy (Elizabeth Debicki) et sa meilleure amie Gillian Baxter (Miranda Bennett) se promenaient seules dans une de ces forêts isolées de Tasmanie jusqu’à ce que cette dernière soit aveuglée par une forte lumière venant du ciel et perde connaissance. À son réveil huit heures plus tard, elle est couverte de sang et Gillian a disparu. Puis, le temps a fait son oeuvre sans que l’on sache ce qui s’est réellement passé et Anna a depuis refait sa vie à Londres. Mais par un étrange concours de circonstances, elle est de retour dans cette ville qu’elle a voulu fuir, face à un nouveau drame. Honorée du Prix spécial du Jury en avril au Festival Séries Mania de Paris, The Kettering Incident a pour elle les mystères, des protagonistes intrigants et des paysages autant bucoliques que macabres. Mais malgré toutes ses qualités, il est difficile de se laisser transporter dans cet univers où les problèmes concrets croisent le surnaturel et par conséquent, de s’investir dans l’aventure.
Grève et papillons
Anna a beau avoir « fui » son pays natal depuis plusieurs années, reste que son corps, lui, n’a rien oublié puisque depuis l’incident, elle est régulièrement prise d’étourdissements, se met à saigner du nez et pire encore, elle a des trous de mémoire qui en plus s’accentuent avec le temps. C’est d’ailleurs la raison de son retour à Kettering : elle ne se rappelle plus comment elle est retournée chez elle ni pourquoi. Si les souvenirs douloureux refont surface, elle se rend compte que la ville non plus n’a pas la mémoire courte puisqu’une bonne partie de sa population la regarde encore avec suspicion, convaincue qu’elle a joué un rôle dans la disparition de Gillian. En attendant, elle tente de renouer avec son père (Anthony Phelan), mais celui-ci se montre froid et distant. Sinon, l’une des seules à lui adresser la parole est Chloe Holloway (Sianoa Smit-McPhee), une amie d’enfance, mais voilà que le premier soir qu’elles se rencontrent, cette dernière disparaît alors qu’Anna perd de nouveau la mémoire. Ce n’est qu’à l’épisode 3 que l’on retrouve son corps sans vie ainsi qu’un enregistrement de son agonie dans son téléphone portable.
The Kettering Incident retient tout d’abord notre attention pour sa magnifique mise en scène qui ne fait qu’un avec l’histoire principale. Petite île de moins de 100 km² et une population d’un peu plus de 500 000 habitants, elle est de facto isolée du continent plus « civilisé » et il s’en dégage un certain mal-être de la part de la population qui ne fait pas vraiment preuve d’ouverture d’esprit, mais voilà que ce désir d’y échapper semble empreint d’une certaine fatalité puisque Chloe aussi cherchait à fuir l’île dans quelques jours. Pour Anna, c’est bien pire. Non seulement la disparition de son amie n’a toujours pas été élucidée, mais en plus, c’est contre son gré qu’elle est de retour à Kettering puisque malgré ses trous de mémoire, s’il y a bien une chose qu’elle désirait, c’était de ne jamais remettre les pieds dans cet endroit. Dès lors, toutes les hypothèses sont sur la table, mais reste que c’est la nature qui semble d’une manière ou d’une autre être la grande responsable de tous ces troubles. La végétation et les forêts sont omniprésentes dans les prises de vue et ce n’est pas un hasard qu’au centre des intrigues se trouve un conflit majeur entre des environnementalistes et une compagnie forestière qui entend raser une portion du paysage. Qui plus est, depuis quelque temps, des phénomènes surnaturels étranges se produisent comme la mort de plusieurs oiseaux migrateurs et la prolifération d’énormes papillons de nuit. Ces mystères naturels ajoutés aux deux disparitions (et mort dans le deuxième cas) ajoutent des interrogations qui dans un premier temps fascinent le téléspectateur.
Une « expérience » plus qu’une fiction classique
Pourtant, malgré toutes ses qualités, on doute que The Kettering Incident devienne un réel succès populaire. Showcase en Australie, c’est un peu le HBO des États-Unis et avec des programmes présentés sans pauses publicitaires, les créateurs ont les coudées franches pour aller au bout de leurs inspirations, quitte à limiter son auditoire. C’est qu’au cours des trois premiers épisodes, le rythme est très lent et on apprend en fin de compte pas grand-chose sur l’enquête en cours, ni sur le passé impliquant Anna. Et ceux qui s’attendent à une enquête émotionnellement intense qui comme Broadchurch nous tirerait les larmes des yeux, il vaut mieux passer son tour. Le ton est établi et il y a peu de place pour l’émotion, à l’image du personnage principal envers lequel on ressent peu d’empathie. En fait, la série est davantage contemplative et vogue délibérément sur les incertitudes, ayant un pied dans le réel et l’autre… ailleurs. C’est que dans des vieilles découpures de journaux relatant la disparition de Gillian, certains journalistes évoquent l’enlèvement possible par un OVNI alors qu’on apprend plus tard que la mère d’Anna était perçue comme étant une sorcière…
Difficile d’y trouver une quelconque logique, à l’image de séries comme Jordskott de SVT, The Leftovers d’HBO et même Les Revenants de Canal+. Celles-ci carburent aux mystères, mais à trop étirer l’élastique et refuser de donner assez d’indices ou de réponses sur le long terme peut s’avérer catastrophique. Dans le cas de la série d’HBO, celle-ci a perdu 56 % de son auditoire entre la première et la seconde saison. Dans le cas du premier véritable succès français à l’étranger, il est vrai que l’interminable temps d’attente entre les deux opus lui a fait très mal, mais c’est aussi l’absence d’explications, même élémentaires du créateur Fabrice Gobert qui ont résulté à une baisse de 63 % de l’audience.
Pour l’heure, The Kettering Incident s’en tire très bien puisque ses deux premiers épisodes présentés le même soir ont été vus par 115 000 téléspectateurs; un record pour une série télévisée selon les critères de Showtime. Considérant qu’elle a battu 80 de ce qu’il y a de meilleur en ce moment en fiction au festival Séries Mania en France, gageons que la série a un bel avenir devant elle à l’étranger, mais gageons aussi que son auditoire demeurera marginal, à l’image de la production.