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Avril 1968, l'Amérique gagne le Têt et perd la guerre

Publié le 18 juin 2008 par Hoplite

 « Bien des erreurs furent commises et tout particulièrement l’expédition de Sicile. Pourtant s’il y eut faute dans cette affaire, ce fut moins parce qu’on avait sous-estimé l’adversaire auquel on s’attaquait, que parce que les hommes qui avaient fait partir cette expédition se rendaient mal compte des moyens qu’il fallait mettre à sa disposition. Tout occupés à s’entre déchirer dans la compétition engagée dans la direction du peuple, ils affaiblirent le corps expéditionnaire et provoquèrent dans la cité même les premiers troubles politiques. (…) Athènes ne succomba que lorsqu’elle se fut épuisée dans les discordes intérieures. »

Thucydide, La guerre du Péloponnèse. II, 65, 12-13.


 

L’offensive des communistes du Vietcong, puissamment armés et encadrés par les communistes Soviétiques et Chinois, durant les fêtes du Têt fin janvier 1968 sont un tournant de la guerre par procuration que se livrèrent Américains et communistes au Vietnam.

Dans la nuit du 30 au 31 janvier 68, des milliers de Vietcong vont envahir le sud Vietnam et attaquer les principaux centres civils militaires Américains et sud vietnamiens, en particulier, Saigon, Hué et Khesanh qui sont devenus des symboles de la contre offensive victorieuse que vont mener les troupes américaines.

En quelques semaines en effet, les troupes nord vietnamiennes, malgré une lutte à mort, maison par maison dans les ruines de Saigon ou Hué, vont être écrasées lors de la contre-attaque américaine qui obligea cette armée surpuissante, prototype de l’armée occidentale recherchant un affrontement direct, bref et meurtrier, à pratiquer la guérilla urbaine et à débusquer un par un des snipers Vietcong bien équipés et entraînés.

Alors que la télévision américaine multipliait les images d’atrocités et les interviews de marines écoeurés, le silence était presque total sur les innocents massacrés par les communistes Vietcong. Et il était encore moins question de souligner – ou dire simplement- l’ampleur de la victoire militaire de l’armée américaine. A Hué, ancienne cité impériale, au prix de pertes faibles (150 morts), les américains réussirent à chasser 10000 hommes d’un centre urbain fortifié, alors qu’ils avaient été surpris et qu’ils étaient inférieurs en nombre.

Le massacre de 6000 hommes et femmes (fonctionnaires, militaires, médecins, prêtres et enseignants) raflés et exécutés systématiquement (coup de pioche ou revolver) par les communistes dés leur entrée à Hué ne fit jamais les gros titres de la presse américaine.

Une décennie après la défaite des Etats-Unis, Keyes Beech, journaliste américain chevronné qui connaissait bien l’Asie, a mis en perspective la couverture médiatique de la guerre du Vietnam : « Les media ont contribué à perdre la guerre. Ils y ont contribué, non pas du fait de quelque conspiration massive mais à cause de leur façon de rendre compte du conflit. Ce que l’on semble souvent oublier, c’est que la guerre a été perdue aux Etats-Unis, non pas au Vietnam. Les troupes américaines n’ont jamais perdu une seule bataille ; mais elles n’ont jamais gagné la guerre. » (Cité par Victor Davis Hanson, Carnage et culture, p 505)

Jean Lacouture, « pointure » du journalisme de guerre à la française relate aussi son expérience au Vietnam : « Mon comportement a parfois été davantage celui d’un militant que d’un journaliste. J’ai dissimulé certains défauts du nord Vietnam en guerre contre les Américains parce que je pensais que la cause des nords vietnamiens était assez bonne (…) ; je jugeais inopportun de dénoncer la nature stalinienne du régime nord vietnamien au moment même ou Nixon bombardait Hanoi. » (op cité, p 505)

Dans les deux premières années qui suivirent la chute de Saigon (1975-1977), il y eut presque deux fois plus de victimes civiles en Asie du sud est qu’en dix ans d’engagement Américain (1965-1974) pour des causes diverses : basculement de la totalité du Vietnam, du Laos et du Cambodge dans l’orbite communiste donc exécutions sommaires, collectivisation de l’économie donc misère famine et conditions de vie effroyables, camps de concentrations, exode massif, bref l’ordinaire de tout régime communiste. « Si l’on ouvrait les portes, tout le monde partirait du jour au lendemain », avoue à cette époque et en privé l’attachée de presse communiste d’Ho Chi Minh ville…(S Karnow, Vietnam, p 32)

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PS: grâce à Rogémi, lecteur érudit de ce blog, voici un complément d'analyse trouvé sur le blog schizodoxe avec un court extrait [terrible] du livre de Jean-francois Deniau "Mémoires de sept vies".


Jean-François Deniau évoquant ce souvenir de 1988 :
La vérité est que les Américains furent battus par les Américains, du jour où l’opinion aux Etats-Unis se retourna, notamment parce que la conscription ne touchait plus seulement les Noirs et les chômeurs mais les classes aisées, les étudiants des campus. Et ceux qui allaient à pied la nuit gagnèrent. Encore vingt ans plus tard, j’aurai l’occasion d’une nouvelle discussion avec un Américain sur l’Indochine. Henry Kissinger est venu à Paris pour le quinzième anniversaire des accords, invité à un colloque universitaire qui se tient aux lieux mêmes de la conférence USA-Viêt-nam, avenue Kléber. Nous déjeunons ensemble. Il y a du point de vue militaire et diplomatique quelque chose qui m’a toujours surpris: la façon dont les Américains vont lâcher le Sud-Viêt-nam. L’offensive du Viêt-minh (et cette fois pas en poussant des vélos à l’abri de la jungle comme à Diên Bien Phû) déferle par Ban Methuot. De véritables colonnes, blindés et camions, contournent par l’intérieur les positions de l’armée du Sud. (En débordant par la droite, en laissant l’ennemi sur sa gauche, aurait dit le colonel du secteur. Très facile de tirer…) Pourquoi l’Amérique n’a-t-elle pas bougé ?
Kissinger. - Parce que l’Amérique était engagée dans une négociation avec Hanoi pour l’éventuelle libération d’aviateurs capturés lors des bombardements sur le Nord. Nous n’étions même pas sûrs de leur nombre, la presse américaine ne s’intéressait qu’à ce sujet, très émotionnel. La télévision montrait les photos des disparus et de leurs familles sans nouvelles.
- Alors vous n’avez rien fait ?
- Alors nous n’avons rien fait. Il était très facile d’écraser avec l’aviation toutes les colonnes d’assaut du Viêt-minh. Je l’ai proposé au Président. Pour la première fois, la victoire décisive était à notre portée. Cela aurait pris moins de vingt-quatre heures. Et toute la situation basculait en faveur de nous et du Sud-Viêt-nam. Le risque était que Hanoi arrête les conversations sur les aviateurs américains prisonniers, risque que Ford ne voulait pas prendre. J’ai expliqué que le Viêt-minh serait bien obligé de les renouer après sa défaite, et dans des conditions bien meilleures pour nous… Le Président m’a dit avec un soupir :
« On voit bien, Henry, que vous n’êtes pas un élu. » Avant d’arriver avenue Kléber où je l’emmène-en voiture, Henry Kissinger me confie : « Cette conférence anniversaire m’ennuie énormément. Elle est publique, et la salle va être truffée de ces intellectuels de la gauche américaine, pacifistes et prosoviétiques, qui ont inventé l’expression “la sale guerre” et qui vont une fois de plus m’accuser d’être un nazi et un criminel. Ils me fatiguent. » Ce n’est pas ainsi que les choses vont se passer. A la tribune, un éminent représentant de la Sorbonne, historien. Je siège, invité d’honneur, à sa gauche. À sa droite des journalistes français très connus. La salle est bondée. Kissinger parle une petite demi-heure sur la conférence de l’avenue Kléber et son prix Nobel, sans rien apporter de nouveau. Le président de séance demande s’il y a des questions dans la salle. Alors se lève une Vietnamienne dont l’âge est difficile à dire, peut-être 45, 50 ans.
- Je m’appelle Thu-Lin. J’ai 23 ans. Mon père., officier dans l’armée du Sud-Viêt-nam, est mort de faim et de maladie dans un camp de rééducation à régime sévère. Ma mère et mon frère ont été égorgés devant moi et jetés à la mer quand nous avons fui, boat people. J’ai été violée onze fois, et vendue à un réseau de prostitution a Bangkok. Monsieur Kissinger, quand vous vous levez le matin, quand vous vous rasez, est-ce que vous pouvez vous regarder dans la glace? Silence de mort. Le président tousse et suggère :
- Nous allons regrouper les questions, pour permettre au professeur Kissinger clé mieux répondre. Hum, hum. Y a-t-il une autre question ? Alors un Vietnamien, sans âge, se lève.
-je m’appelle NguyenThan. J’ai 60 ans. J’ai été conseiller des troupes américaines. J’ai continué à me battre avec mon unité contre les communistes encore après la chute de Saigon. Pour l’honneur. Les communistes ont tué sur place la moitié d’entre nous. Les autres ont disparu. Parce que j’étais le chef, on ne m’a pas tué, on m’a mis dans une cage comme un animal, et on m’a promené de village en village avec un écriteau « traître au peuple, traître à la patrie ». Les enfants me jetaient de la boue et des excréments. Monsieur Kissinger, prix Nobel de la paix, comment faites-vous pour réussir à dormir.
Toute la salle est pleine de Vietnamiens qui se sont organisés et vont se lever tour à tour pour dénoncer les horreurs de la répression communiste et de la misère du peuple. Le président ne sait plus quoi dire. Face a ces revenants, Kissinger est pâle comme un revenant. C’est le porte-parole de cette gauche intellectuelle et pacifiste américaine, qu’il redoutait, qui va le sauver. Un Américain se lève et dit :
- Je suis le rédacteur en chef de Remparts, revue qui a joué un très grand rôle dans l’arrêt de la guerre du Viêt-nam en mobilisant l’opinion américaine contre elle. Ce n’est pas M. Kissinger qu’il faut attaquer sur les conséquences de la paix. Il n’a pas capitulé devant le Viêt-minh. Il a été battu par nous. La séance est suspendue.

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Cette image d’Eddie Adams a fait le tour de la planète et a indubitablement influé sur le cours de la guerre du Vietnam.
En 1969, le photographe a remporté le prix Pulitzer pour sa photo d'un Viêt-cong exécuté sommairement en pleine rue par un policier sud-vietnamien.
Adams a capté l'instant de cette mort, et l'image a fait le tour du monde.
Elle allait devenir un des symboles de la guerre du Vietnam, choquant l’opinion publique américaine. Elle a été utilisée par plusieurs opposants au conflit pour prouver que la guerre n'avait pas été gagnée.
Des années plus tard, M. Adams était encore hanté par cette photo, qu'il n'exposait pas dans son studio. Il considérait qu'elle ne rendait pas justice au policier sud-vietnamien, Nguyen Ngoc Loan. Selon le photographe, le policier était un héros.


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