Paru dans les CAHIERS DE L'AIU (Numéro 1 Nouvelle série) de Décembre 1991.
L'ÉCOLE NORMALE HÉBRAÏQUE Sous cette rubrique, nous vous présenterons régulièrement une école du réseau de l'Alliance israélite universelle, son histoire, ses caractéristiques, son évolution, son fonctionnement actuel. Pour inaugurer cette série, il nous a paru judicieux de vous faire découvrir l'Ecole normale hébraïque de Casablanca, qui a joué et continue de jouer un rôle tout à fait particulier dans l'œuvre scolaire de l'AIU. Nul n'était plus qualifié pour la présenter que M. Emile Sebban, qui en a suivi le développement depuis la création jusqu'à ce jour.Née au lendemain de la guerre, l'Ecole normale hébraïque a été l'une des réponses à la barbarie nazie : l'œuvre de vie de l'éducation opposée à l'œuvre de destruction et de mort. Pépinière de la double culture, elle a vu grandir et s'épanouir plus de trois cents normaliens hébraïsants diplômés, aujourd'hui porteurs et témoins à travers le monde d'un judaïsme heureux et rayonnant. Depuis les années 80, sa mission a été réadaptée à la réalité marocaine, dont la population juive a considérablement diminué. Devenue lycée juif de haut niveau, elle garde cependant de ses fondateurs l'esprit et la flamme qui avaient fait sa spécificité et sa vocation.
La genèseTrois facteurs semblent être à l'origine de sa création :
- Le monde de l'après-guerre : il sortait d'un cataclysme sans précédent, et le judaïsme mondial amputé découvrait le judaïsme nord-africain, miraculeusement épargné, et notamment la communauté marocaine, héritière d'une, longue tradition juive et riche d'un potentiel humain de 300 000 âmes.
- La vocation de l'AIU et la mission du grand rabbin Lieber : en extension constante, le réseau scolaire de l'AIU comptait plus de 5 000 élèves avant le protectorat de 1912 ; il en comptera trois fois plus en 1939. Il atteindra les 32 000 élèves pour quatre-vingt-six établissements de villes et de bleds, à la veille de l'indépendance du Maroc en 1955. En 1938, à la demande du comité central de l'Alliance, le grand rabbin Lieber effectue une enquête dans les écoles. Il constate la dégradation de l'enseignement hébraïque et religieux, d'autant plus affligeante que les niveaux en français sont satisfaisants. Il conclut à la nécessité pour l'Alliance de prendre désormais la responsabilité de l'éducation juive et de former elle-même les maîtres qui en seront chargés. Le projet est adopté, mais il est reporté en raison de la guerre. Il sera repris en 1945 dans le sillage de la fameuse déclaration de l'AIU qui proclame solennellement sa volonté "... de ressusciter et prolonger chez nos jeunes - à la gloire des six millions de martyrs que nous pleurons - l'âme d'Israël".
- Le facteur humain et la naissance de la section normale hébraïque : Le vice-président Jules Braunschvig, revenu d'Allemagne, marqué dans son être juif par sa longue captivité, est enchanté de découvrir l'équipe des jeunes Oranais enthousiastes : Isaac Amsellem, Albert Hazan, Jacob Nahon, Joseph Médioni et Emile Sebban, eux aussi revenus de la guerre et qui, sous la conduite du dynamique rabbin aumônier militaire Isaac Rouche, étaient arrivés au Maroc avec les rêves fous de leur vingt ans, et leur serment durant la tourmente de se consacrer avec ardeur à l'œuvre d'éducation juive.
C'est ainsi qu'à la fin de l'année 1945 est née l'Ecole normale hébraïque. Il s'agissait de "façonner des militants, enseignants qualifiés, capables de dispenser les connaissances fondamentales du judaïsme et d'assurer l'éducation juive en vue de régénérer le potentiel des écoles, des institutions, des communautés". Vaste et ambitieux programme, mais l'on peut dire que, très vite et durant de longues années, l'Ecole normale hébraïque a répondu de façon inespérée à cette attente. Deux grandes figures adhèrent immédiatement au projet et coopèrent à sa réalisation :
- Ruben Tajouri, l'opiniâtre et audacieux délégué de l'AIU au Maroc, maître d'œuvre des structures scolaires et administratives ;
- S.D. Lévy, l'inlassable créateur des œuvres juives et président de l'association Maghen David pour la diffusion de la langue hébraïque, qu'il met entièrement - locaux et personnel - à la disposition de l'AIU.
Dans les petites salles de la rue Cottenest, une dizaine de jeunes gens d'âge très variable suivent des cours de Bible, de Talmud et un enseignement primaire de base. En octobre 1946, les meilleurs éléments de ce groupe et quelques élèves du cours moyen de l'Alliance sont réunis en section normale hébraïque qui recevra chaque année une nouvelle génération en classe de sixième. Innovation "révolutionnaire" pour un réseau scolaire à structure syndicalisée sur le modèle de l'enseignement public français : le rabbin Rouche assure la direction. Maîtres et élèves vivent en véritable communauté. Cette vie partagée, cette symbiose sera désormais l'un des principes constitutifs de l'esprit et de la réussite de l'Ecole normale hébraïque, et l'un des secrets du profond attachement des anciens élèves à leur "grande famille", par-delà les années et les continents.
La section normale n'est pas qu'un séminaire de formation : elle sert de laboratoire et de ferment pour la rénovation des programmes hébraïques dans les écoles. A partir d'elle, les membres de l'équipe Rouche mettent en place un service d'animation et d'inspection hébraïques. Véritables missionnaires itinérants de la culture juive, ils vont parcourir inlassablement le Maroc, réaménageant les objectifs, les contenus, les horaires, conseillant et "recyclant" les maîtres, revalorisant un enseignement qui reprenait vie et dignité dans le grand courant de la renaissance hébraïque contemporaine. Cet essaimage sera désormais l'un des aspects organiques de l'Ecole normale hébraïque et de sa vocation élargie.
1949 : la section qui grossit vite nécessite de nouveaux locaux et structures. Le rôle du président Braunschvig est déterminant : de vastes bâtiments sont mis en chantier à la sortie sud de Casablanca. Achevés en mars 1951, ils reçoivent dans le quartier résidentiel de l'Oasis les cinq premières promotions d'élèves-maîtres.
Distribution des Prix (30 juin 1953) de gauche à droite : Le rabbin Rouche, J. Braunschvig, J.D. Lévy et R. Tajouri
L'École normale hébraïque de l'OasisLa consécration :
1951-1955
L'inauguration officielle le 8 avril 1951 par Messieurs S.D. Lévy et J. Braunschvig, en présence des plus hautes autorités rabbiniques et des instances communautaires, consacre solennellement la reconnaissance par l'ensemble du judaïsme marocain de la place et de la mission de l'Ecole normale hébraïque. Chaque année, elle accueillera un lot sans cesse croissant de candidats. Ce sont surtout des enfants de familles pauvres ou modestes, avides d'épanouissement personnel, de promotion humaine et d'émancipation communautaire. De tous les coins du Maroc, des capitales régionales ou des communautés les plus petites et les plus reculées, les élèves arabophones, francophones, hispanophones, apportent la richesse de leur diversité et de leur adhésion à la vocation éducative de leur "seconde famille". Leur soif d'apprendre impressionne même les habitants du quartier, étonnés de leurs "promenades" studieuses et des lumières tardives aux fenêtres des dortoirs.
L'éducation est globale pour le normalien ; on lui dispense une formation générale et une formation juive, des activités scolaires et parascolaires, culturelles, artistiques, sportives, de plein air ... Par les offices qu'il dirige à tour de rôle et qu'il anime, les chants, les célébrations de fêtes, l'oneg chabbat, les exposés-débats, l'exemple des maîtres et des aînés ... il vit tout naturellement un judaïsme heureux. Dans ce climat qui valorise son être, son passé, sa famille, il se prépare consciencieusement à la mission scolaire et éducative.
Après l'obtention du "diplôme d'études de l'E.N.H." d'un haut niveau, les "élèves sortants" effectuent durant l'été, en Israël, un séminaire d'approfondissement d'études anciennes et modernes, ce qui parachève leur formation, aiguise leurs aptitudes à l'enseignement et stimule leur missionarisme.
La sortie des premiers normaliens diplômés et leur nomination aux postes de Casablanca, Tétouan, Marrakech, Rabat, Fès, Meknès .... vont donner une nouvelle dimension à l'aventure passionnante de l'Ecole normale hébraïque. Les débuts de ces nouveaux "ambassadeurs" de l'éducation juive sont prometteurs. Par leur application, leur compétence, leur dévouement, ils imposent respect et autorité aux élèves et aux parents, forcent la sympathie coopérative des collègues, transforment progressivement le paysage hébraïque des écoles et suppriment la fracture entre enseignement moderne et enseignement traditionnel. Bientôt le nouveau corps enseignant jouira de la consécration statutaire administrative. Le comité central de l'AIU décide la création d'un "cadre de l'E.N.H." qui, sur le modèle du cadre des titulaires, adopte les principes de la fonction publique.
Après quatre années de consolidation, l'Ecole normale hébraïque va connaître, en même temps que des changements et des défis, un vaste élargissement.
Le rabbin-directeur Isaac Rouche - connu sous le nom de commandant Rouche - doit cesser sa carrière militaire. Appelé à des fonctions rabbiniques en Europe, il "confie" l'Ecole normale hébraïque à l'équipe de ses élèves, ses co-fondateurs et co-responsables, durant les neuf années de son sacerdoce.
Il a proposé à l'Alliance - qui l'entérine - la nomination d'Emile Sebban comme directeur, à la tête du conseil permanent de l'école.
Les nouveaux "mousquetaires" - comme on se plait à les désigner - et particulièrement le trio Sebban, Hazan, Médioni - "libérés" en quelque sorte de la présence du "père", mobilisent dans le second souffle de leurs trente ans, leur énergie et leur détermination pour élargir et intensifier la vocation de l'Ecole normale hébraïque. Certes, les cinquante-quatre normaliens des cinq premières promotions ont bien enrichi le réseau de l'AIU au Maroc. Mais le temps est venu de reprendre l'objectif originel plus ambitieux : répondre aux besoins éducatifs, scolaires et communautaires de l'ensemble du monde juif, non seulement au Maroc, mais sous toutes les latitudes ; et en retrouvant le souffle fondateur, donner à l'Ecole normale hébraïque, à partir de son implantation régionale, la dimension universelle de sa véritable vocation. Il convient donc de prolonger la scolarité.
Bousculant les pesanteurs administratives et les contraintes hiérarchiques, profitant d'un dialogue ininterrompu avec le président Braunschvig, le nouveau directeur va devenir auprès de l'AIU l'avocat ardent du pari sur le Maroc moderne, terre d'accueil et de rencontre. Au moment même où l'avenir de l'Alliance au Maroc est pour le moins très incertain, il s'agirait de donner à l'âme de l'école qui s'élargit un corps à sa mesure : il faut pour cela construire de nouveaux bâtiments, accroître les structures afin d'augmenter les capacités d'accueil et les possibilités de réalisation.
Emile Sebban se bat pour la "grande" école, réunit des contributions financières importantes et finit par obtenir l'adhésion complète et décisive du président Braunschvig, son "allié" à Paris. A l'occasion du centenaire de l'Alliance en 1960, celui-ci sollicite l'ouverture d'un "fonds spécial pour les écoles normales". En 1961, l'école étend ses larges constructions sur près d'un hectare.
Le directeur et son équipe multiplient les initiatives, les réalisations. Des collaborations précieuses au plus haut niveau sont sollicitées et obtenues pour l'enseignement des sciences juives, la formation générale, la formation pédagogique, ainsi que l'éducation culturelle, artistique, sportive.... Cette contribution des meilleurs maîtres - rabbins, enseignants, éducateurs, philosophes, conférenciers, animateurs ... - vient chaque jour enrichir l'apprentissage de la vie et de la carrière. L'histoire de l'Ecole normale hébraïque aura été marquée par le désir ardent des jeunes artisans d'une épopée éducative juive d'offrir à leurs élèves, en même temps que des conditions matérielles décentes, la possibilité de s'épanouir à la fois en tant qu'homme et en tant que Juif.
La formation du normalien ne s'arrête pas avec l'obtention de son diplôme et le début de sa carrière. Il faut soutenir, conseiller, orienter le jeune maître, nourrir sa vocation par des visites, des rencontres, des sessions pédagogiques et d'études. Amplifiée à partir de 1955, cette action va connaître à partir des "anciens" trois prolongements notables qui vont élever le niveau de l'enseignement hébraïque et créer un nouveau corps d'enseignants pour les collèges puis les lycées :
- Les séminaires d'été en France vont se dérouler à partir de juillet 1956 et pendant une dizaine d'années. Le premier séminaire à l'école Gilbert Bloch d'Orsay ne remplit pas tous les espoirs. Professeurs et normaliens s'étaient déplacés du Maroc pour bénéficier de l'enseignement de "Manitou", le grand penseur juif, Léon Askénazi. Malheureusement, "Manitou", souffrant, ne peut
assurer tous les cours et une grande partie du programme ne peut être réalisée. Au lendemain de ce premier essai, Emile Sebban découvre le professeur Abraham Epstein, l'un des maîtres contemporains des études talmudiques, issu d'une lignée prestigieuse de Guéonim lituaniens, qui vit près de Paris. Désormais l'itinéraire d'Abraham Epstein va coïncider, jusqu'à sa disparition en 1971, avec l'aspiration profonde des animateurs de l'Ecole normale hébraïque : unir le savoir et le savoir-faire.
A partir de 1957, il va nourrir les séminaires d'été de son humanité et de sa science, puisées aux sources les plus authentiques du judaïsme à vocation universelle. Il va en faire des lieux d'études approfondies et des laboratoires de réflexion et de programmation pédagogiques.
Equipe sportive de l'E.N.H. (mars 1971)
André Neher, grand philosophe du judaïsme et directeur de l'Institut d'hébreu à la faculté de Strasbourg, devenu collaborateur fervent du professeur Epstein, se joindra à lui pour enrichir les séminaires de sa remarquable contribution. Au contact des "séminaristes", il va à son tour se passionner pour l'action de l'Ecole normale hébraïque et devenir, jusqu'à son départ de France en 1968, un enseignant et un maître à penser pour l'équipe fondatrice el pour des générations de normaliens, dont bon nombre deviendront ses étudiants en faculté.
- Les quatre promotions de "Talmudistes" : en novembre 1957, la promotion des six premiers normaliens-instituteurs "sélectionnés", entame à l'Ecole normale israélite orientale (ENIO) le cycle de deux années. De 1959 à 1965, trois autres promotions de ces "élèves particuliers", surnommés les "Talmudistes", mèneront de front avec aisance des études générales et un programme juif intensif. Commencé en semaine à Auteuil, l'horaire d'études bibliques et talmudiques s'amplifiera le week-end, au domicile même du maître, à Livry-Gargan. Du vendredi après-midi au dimanche soir, les "disciples" vont vivre intensément avec "le maître" la ferveur du chabbat partagé et de l'étude passionnée, préparant leur cœur et leur esprit à leur mission élargie.
Le groupe Epstein devient la pierre angulaire de la future "grande école". Dans les séminaires d'été, les "Talmudistes" prennent une part active en tant qu'initiés à la pensée et à la méthode Epstein, dont ils deviennent des relais et des éclaireurs. Au Maroc, leurs nouvelles compétences sont immédiatement mises à profit dans les écoles secondaires qui se développent, dans le service de l'enseignement hébraïque, à l'Ecole normale hébraïque elle-même.
Relève et nouvelles structuresAyant tous obtenu brillamment le baccalauréat (tremplin pour l'université) et le diplôme supérieur d'études juives (D.S.E.J.) devant un éminent jury d'universitaires juifs et rabbiniques, dont les professeurs Levinas et Neher, ils vont commencer une carrière rayonnante au Maroc puis pour beaucoup d'entre eux, la poursuivre en France, en Espagne. Belgique, Israël, Canada....
- Les "Arabisants" : Le Maroc indépendant s'arabise, la langue arabe prend un nouvel essor. Toujours enseignée dans les écoles de l'AIU en tant que langue nationale, sa place grandit dans les programmes à partir de 1956. Il faut augmenter le nombre des maîtres. Aubaine inespérée : l'Ecole normale, depuis sa création, dispense un excellent enseignement de l'arabe à ses élèves. En attendant un recrutement spécifique extérieur et une reconversion de certains titulaires, les normaliens déjà en poste sont en mesure d'assurer, outre leurs cours d'hébreu, un horaire d'arabe. Dans certaines classes, il deviendra courant de voir les normaliens hébraïques assurant le triple enseignement du français, de l'hébreu et de l'arabe.
A l'Ecole normale qui a recruté deux professeurs agrégés, l'enseignement de l'arabe est renforcé et les élèves encouragés à préparer le certificat et le brevet d'arabe classique et, pour les meilleurs, le diplôme d'arabe classique qui équivaut à la licence. Tandis qu'un "service de l'enseignement de l'arabe" est créé auprès de la délégation de l'AIU au Maroc, l'Ecole normale ouvre une section des "Arabisants" pour de jeunes instituteurs redevenus élèves-maîtres. En un an de perfectionnement intensif, ce groupe qui s'est bien intégré à la vie de l'école et a bénéficié de sa formation pédagogique et de son esprit missionnaire va aider le réseau d'écoles à progresser dans l'acquisition de la langue arabe.
1961-1977 :
L'année de l'installation dans les vastes bâtiments est marquée par le départ du plus fidèle compagnon d'Emile Sebban, Albert Hazan, aumônier militaire, qui doit quitter le Maroc avec les troupes françaises.
Jospeh Médioni avait, quant à lui, quitté l'Ecole normale depuis 1958 pour une année d'études à l'Institut d'hébreu de Strasbourg, puis pour ouvrir le service de l'enseignement hébraïque au Maroc en 1959 et enfin pour prendre des fondons d'inspection auprès de l'AIU à Paris.
Mais la relève amorcée avec les séminaires va s'amplifier et maintenir la constance des structures et la vitalité de l'école. Des "Talmudistes" parmi les plus engagés et les plus compétents viennent seconder le directeur dans les domaines essentiels : surveillance, répétition, vie religieuse, activités culturelles, scoutisme, sport ... D'autres vont s'affirmer comme professeurs de matières juives : Bible, Talmud, Histoire, Littérature. Les Simon Busbib, Juda Castiel, Bénito Garzon ... auront marqué des générations de leurs cadets et entretenu en eux la "flamme normalienne". Comme sur le plan de la vie quotidienne, les auront marqués les deux "mamans" de l'école : la rayonnante et méticuleuse intendante, Mme Benzaquen, et, la laborieuse et affectueuse infirmière-lingère : Mme Delair. Lorsqu'en 1965, Isaac Amsellem et Jacob Nahon, les deux derniers équipiers cofondateurs, appelés à des fonctions rabbiniques à Monaco et à Paris, quittent le Maroc, Emile Sebban peut s'appuyer sur une nouvelle équipe entreprenante d'éducateurs-enseignants. La relation privilégiée du jeune directeur, leur ancien professeur et dirigeant de jeunesse, et de ses élèves devenus ses amis et associés dans l'œuvre éducative, est un élément fondamental du climat d'harmonie qui préside à la tâche quotidienne.
Au cours d'une excursion (février 1968).
Malgré la forte émigration des premières années, de l'indépendance du Maroc et de la diminution de la population juive, le nombre de candidats à l'Ecole normale hébraïque et d'élèves admis n'a jamais faibli. C'est d'ailleurs la seule école juive au Maroc dont l'effectif est resté constant à ce jour et a même augmenté.
Sans attendre l'aval de l'administration, Emile Sebban, avec la "complicité" de ses équipiers avait introduit dès 1958, en classe de seconde professionnelle, un enseignement scientifique et littéraire "clandestin". Il s'était assuré le concours bénévole de professeurs amis qui allaient maintenir durant plusieurs années leur collaboration. La réalisation de l'école secondaire complète était lancée.
Désormais, la nouvelle structure prévoit deux options pour les élèves maîtres de cinquième année : la sortie en fin d'année selon l'ancienne formule ou la poursuite jusqu'en classe terminale du baccalauréat. Cette double formation se poursuivra jusqu'en 1977, date à laquelle les derniers élèves se destinant à l'enseignement recevront le diplôme d'études de l'Ecole normale hébraïque (D.E.E.N.H.) qui aura été ainsi délivré à trois cent-un normaliens.
Après 1977 : la continuitéEn 1961, les premiers élèves de la nouvelle structure obtiennent brillamment le baccalauréat mathématiques, inaugurant la tradition des "100% de reçus à l'E.N.H.". Ils sont dans l'histoire, les premiers bacheliers d'une école juive au Maroc.
L'année 1961 est également marquée par la disparition de Ruben Tajouri, le vaillant délégué de l'AIU à la barre depuis l'avant-guerre. C'est l'occasion d'une réorganisation administrative avec deux co-délégués, jusqu'au départ à Paris, en 1963, de Haïm Zafrani, laissant Elias Harrus seul délégué pour le Maroc. L'AIU entérine l'autonomie de fonctionnement de l'Ecole normale hébraïque et de son domaine réservé dépendant directement de Paris, ce qui lui permettra de conserver ses critères de sélection, ses structures internes d'inspiration collégiale et son champ d'initiative. Les effets des bourrasques de 1967 et 1973 n'entameront pas l'intensité de la "vie intérieure" et du rayonnement communautaire. Au contraire, il faut répondre à l'ébranlement et offrir aux jeunes une sécurité morale stabilisatrice ainsi que les moyens et la force psychologique de s'adapter en tous lieux et en tous temps. La formation des maîtres se poursuivra jusqu'en 1977, maintenant à l'école de l'Oasis un caractère d'Ecole normale, bénéfique pour l'ensemble des élèves, normaliens se destinant à l'enseignement ou lycéens de la nouvelle formule.
Pour des raisons techniques, nous ne publions que de larges extraits du témoignage de M. Emile Sebban. Nous tenons à la disposition de tous ceux qui le souhaitent l'article in extenso.En 1964, le réseau de l'AIU - qui a pris la dénomination d'Ittihad-Maroc - a déjà formé cent soixante diplômés hébraïques. Les besoins en enseignants pour le Maroc ont bien diminué. Dans le mouvement général de la dispersion juive marocaine, une grande partie d'entre eux et des futurs diplômés seront disponibles pour d'autres pays. La physionomie de la communauté restante se modifie. Les grandes masses déshéritées, pour lesquelles l'accession des enfants à la carrière d'enseignant était une "ambition et une promotion", se sont réduites, entraînant une baisse de recrutement des élèves "traditionnels" accourus des villages et des petites villes, avec leur rêve de "devenir instituteur". L'AIU, dont les ressources diminuent, encourage la reconversion des enseignants et les affectations extérieures.
A partir d'octobre 1964, l'E.N.H. reçoit des élèves "externes", désireux de bénéficier de la qualité des études secondaires et des résultats de l'école, sans se destiner à la carrière d'enseignants. Un lot sans cesse plus important de ces lycéens viendra se joindre aux élèves maîtres. Pour beaucoup d'entre eux, la démarche Torah im Derekh Erets (accompagner la Torah de culture générale) s'inversera harmonieusement pour devenir Derekh Erets im Torah (accompagner la culture générale, qui était priorité, de Torah, dont la découverte est passionnante). Par cet enrichissement réciproque apparaîtra un nouveau type de "normalien" bachelier vivant un judaïsme heureux et engagé, et devenu responsable communautaire.
Depuis plus de dix ans, l'Ecole normale hébraïque s'est progressivement ouverte à une population scolaire moins démunie que la majorité des anciens candidats scolarisés gratuitement sous contrat quinquennal. Au fil des ans, sa réputation a touché toutes les couches sociales, y compris les familles aisées qui recherchent pour leurs enfants d'excellentes études générales, une formation juive et la santé morale dans un environnement sécurisant : toutes choses qui composent le label de qualité de l'Ecole normale hébraïque.
L'Ecole normale hébraïque en tant qu'école de formation d'enseignants cesse sa vocation professionnelle. Mais sa raison d'être fondamentale est sauvegardée. Les fondateurs de 1946 visaient la formation d'un type humain, conscient des valeurs du judaïsme et témoins d'une certaine manière d'être juif. Il fallait constituer l'être avant l'enseignant, la création précédant l'histoire. L'objectif cardinal demeure. A partir d'un recrutement plus disparate, qu'il faudra homogénéiser, dans ses niveaux et ses motivations, l'Ecole normale hébraïque va tâcher, avec un fort pourcentage de réussite, de continuer à former des êtres de qualité, témoins de la double culture et modèles de Juif engagé-Emile Sebban
* Ces passages sont extraits de messages adressés à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de l'E.N.H. (mars 1971).
ENH Oasis - Casablanca - 1958