Pierre Belmont
Journaliste, fondateur de Nom de Zeus
Publication: 04/04/2016
Paul Jorion n'est pas de ceux qui vous redonnent foi en l'avenir. Dans son dernier ouvrage Le dernier qui s'en va éteint la lumière, l'anthropologue estime qu'il ne reste que deux ou trois générations à l'humanité avant de disparaître. Pour Nom de Zeus, il explique pourquoi la fin est si proche. Entretien pré-apocalypse.Paul Jorion est de ces personnages inclassables. Chercheur en sciences sociales, anthropologue (un temps élève de Claude Levi-Strauss) il a également enseigné à Cambridge dans les années 1980 une matière que l'on n'appelait pas encore intelligence artificielle, avant de travailler dix ans dans l'antre du diable : le milieu financier des subprimes au début des années 2000. Décrit tantôt comme un prophète de malheur, tantôt comme celui-qui-avait-annoncé-la-crise-mais-qu'on-n'a-pas-écouté, l'homme emprunte autant à Jacques Attali qu'à Frédéric Lordon ou Thomas Piketty. Dans son dernier ouvrage, il n'annonce pas moins que "l'extinction de l'espèce humaine d'ici deux ou trois générations."
S'il utilisait les canaux politiques et idéologiques habituels, on pourrait dire que Le dernier qui s'en va éteint la lumière est un ouvrage férocement anti-capitaliste. Mais la charge est plus subtile. Et ne laisse aucune chance. À l'homme, à la Terre, à l'économie. Selon l'auteur, "il y a trois domaines dans lesquels on peut constater une totale perte de contrôle de l'humain: la crise environnementale, ce système financier au bord de l'implosion et notre incapacité à faire face à la complexité robotisation de la société". Les cavaliers de l'apocalypse opèrent désormais en trio.Retrouvez plus d'articles sur Nom de Zeus.
Trahis par notre environnement
L'environnement, en premier lieu. "Les scientifiques et climatologues, même les plus optimistes, estiment que même si nous maintenons une hausse de 2° d'ici la fin du siècle, ce sera une vraie catastrophe. Or nous semblons plutôt nous orienter vers une hausse de 3° ou 4°. Même en considérant qu'on tienne nos engagements, ce que l'on n'a jamais réussi à faire, les catastrophes semblent inévitables, et les prochaines générations connaitront des ouragans dans l'Atlantique , El Nino pourrait s'arrêter,le niveau des mers augmentera, etc."
L’élévation du niveau des mers pourrait atteindre 2 mètres à la fin du siècle https://t.co/KppC4zIG7J— Paul Jorion (@PaulJorion) 30 mars 2016"L'environnement nous trahi, car nous l'avons colonisé de façon brutale et non durable. J'ai l'habitude de dire que nous utilisons 1,6 planète par an. Pas besoin d'être très doué en maths pour voir que nous allons rapidement être confrontés à une limite". Pour certaines études, la limite pourrait être encore plus proche. L'ONG Global Footprint Network estime ainsi que si nous conservons notre rythme de consommation, nous aurons besoin de deux planètes en 2030.
Finance: un système au bout du rouleau
Notre système financier est incapable de gérer cette crise. Et pire, il l'aggrave. "Notre modèle économique est tel, que nous sommes obligés de faire de la croissance. Sauf que cette croissance ne tient absolument pas compte de ce que l'on appelle externalités négatives, comme par exemple la pollution ou la crise environnementale. Par-dessus le marché, nous tenons à notre État-providence, mais nous l'avons fait reposer uniquement sur cette même croissance". Pour l'auteur, seule la décroissance permettrait donc d'éviter le cataclysme environnemental.Le chercheur Paul Jorion évoque sur @franceinter la creation dune taxe Sismondi sur la productivité des #robots face aux risque de luddisme.— Capucine Cousin (@Capucine_Cousin) 25 mars 2016
Les robots nous poussent vers la sortie
Car c'est là le troisième point. La complexité des systèmes automatisés nous échappe."Nous demandons de plus en plus aux robots et ordinateurs de prendre en charge des problèmes que nous avons nous-même créés. Il y a un exemple frappant, c'est la Bourse. Aujourd'hui, le nombre de tâches effectuées par les machines est effrayant, vous pouvez quasiment allumer le robot, le faire mouliner toute la journée et clôturer tranquillement le soir sans vous être occupé de rien. Le problème, c'est qu'une partie du système tenait au fait que les erreurs humaines s'annulaient entre elles. Les robots faisant moins d'erreurs, le système peut continuer sa fuite en avant sans être freiné par l'Homme"Nous avons lancé le processus de deuil de notre propre espèce"On ne cherche plus de la vie, mais des civilisations perdues. Trouver dans l'espace des êtres ayant besoin d'eau et d'air semble compliqué. On cherche donc des êtres ayant été un jour intelligents au point de maîtriser l'atome et s'étant éteints, laissant derrière eux des machines "intelligentes" qui leur survivront. Cette idée est l'aveu que nous avons lancé le processus de deuil de notre propre espèce".Les progrès en robotique et en intelligence artificielle sont impressionnants, mais peut-on en déduire que les robots remplaceront les hommes ? "À chaque fois que l'on dit "telle activité ne peut être exercée que par un humain", un système robotisé finit par s'y mettre. On l'a vu récemment avec la victoire d'AlphaGo au jeu de Go, qu'on prédisait impossible il y a quelques années. Nous ne sommes plus liés à la loi de Moore, mais à la multiplication des systèmes cognitifs. J'avais écrit en 1989 que la dernière chose qui restera sera l'appréhension émotionnelle ou affective, je n'ai pas changé d'avis".
- Blog de Paul Jorion
- Le dernier qui s'en va éteint la lumière: essai sur l'extinction de l'humanité -Fayard
- Ce siècle est peut-être le dernier de l'humanité
- Les 1% toujours plus riches après 2016 ?
- Paul Jorion, un anthropologue au pays des subprimes. Par Horschamps.org