Dans la vie, l'essentiel est de trouver chaussure à son pied. Ou plus exactement de bonnes pantoufles.
Le commun porte des charentaises, des chaussons, des mules à talons plats ou hauts, voire des tongs... Au sommet de la pyramide sociale, quelques uns - hauts fonctionnaires et anciens politiciens - pratiquent le pantouflage, c'est-à-dire un sport réservé à une élite cynique qui consiste à aller du secteur public au secteur privé, voire à retourner ensuite, fortune faite, dans le secteur public.
Le dernier élu en date se nomme Manuel Barroso. L'individu présidait la commission européenne. Il œuvrait donc, théoriquement, pour le bien commun des citoyens européens de 2004 à 2014. Depuis, il coulait des jours heureux en pré-retraite jusqu'à son embauche par Goldman Sachs. On n'en attendait pas moins comme sinécure pour ce petit télégraphiste qui a imposé d'impitoyables cures d'austérité au peuple grec pour sauver des banques privées allemandes et françaises.
Cette embauche a créé quelques remous bien que Manolo ait respecté les règles déontologiques. D'ailleurs, son successeur ne le blâme pas. Libre à lui d'aller pantoufler et de se faire, excusez l'expression, des couilles en or. Droit dans ses pantoufles, il a l'intention de faire profiter la banque et accessoirement l'Union européenne de ses compétences en ces temps de Brexit...
Cet aller rappelle celui de l'ancien chancelier Gerhard Schröder chez Gazprom pour 200.000 euros mensuels, ou de Tony Blair devenu conseiller chez Morgan et LVMH, voire de Nicolas Sarkozy avec ses conférences grassement payées. Ces reconversions confortables se pratiquent depuis fort longtemps aux Etats-Unis. Toutefois, des grincheux ne l'acceptent pas encore, reprochant ainsi à Hilary sa proximité avec certains milieux d'affaires qui ont assuré la fortune de sa famille. On verra ce qu'il en sera quand Paul bismuth officialisera sa candidature à la primaire de la droite.
Par ailleurs, le pantouflage ne concerne pas seulement d'anciens politiciens. Il est surtout pratiqué par de hauts fonctionnaires. Un certain nombre sont aujourd'hui à la tête d'entreprises du CAC 40 qui ont été opportunément privatisées. D'autres, plus anonymes sont recrutés à des postes de direction ou de conseil, à l'instar de Bruno Bézard, ancien Directeur du trésor, qui a récemment rejoint un fonds financier chinois, Cathay Capital, sans que cela ne froisse la socialosphère bien que l'intéressé pourra faire profiter son nouvel employeur de sa connaissance de certains dossiers.
Enfin, quand certains vont, d'autres reviennent tel Mario Draghi à la BCE qui officiait jadis chez... Goldman Sachs : qui dit allers, dit retours !
Ainsi, le retour de Sarkozy, ou encore celui de Macron à Bercy qui avait quitté la fonction publique pour s'enrichir dans une banque dite d'affaires, un acteur important de la finance spéculative dont les activités ne sont pas sans incidence négative pour les salariés, les territoires et le budget de l'Etat.
Ou encore, celui de François Villeroy de Galhau dans la fonction publique [1], récemment nommé gouverneur de la Banque de France après avoir dirigé BNP Paribas, soit la banque française systémique qui compte le plus grand nombre d'agences dans les paradis fiscaux... Nul doute qu'il sera impitoyable dans ses contrôles contre son ancien employeur et ses anciens confrères si ces derniers - hypothèse saugrenue - favorisent l'évasion fiscale via leurs filières bancaires dans les paradis fiscaux !
Nonobstant le fait que ces allers-retours respectent un code déontologique bien complaisant quant il s'agit de hauts fonctionnaires, ces pantouflards futurs, présents ou passé n'en orientent pas moins les pratiques et les politiques publiques comme l'illustre un chapitre du livre noir des banques (Attac & Basta !), en particulier ceux de la direction du trésor qui une fois sortis de l'ENA, ont, pour la plupart, un plan de carrière pré-établi qui doit les conduire dans le secteur privé avec la certitude de multiplier au moins par dix leurs revenus.
Ainsi, le système capitaliste à tendance néo-libérale libertaire encourage certaines mœurs ou habitudes au sommet de l'échelle sociale, dont ces allers et ces retours qui ne prêtent guère à débat et à polémique, et encore moins à interdiction et à condamnation, tant la notion d'intérêt général ou d'intérêt commun a été dévaluée au profit de l'intérêt privé, si bien que les deux se retrouvent aujourd'hui au même niveau et se confondent dans l'esprit de ces politiciens et de ces hauts fonctionnaires.
Il en résulte des politiques mises en œuvre au nom de l'intérêt général qui favorisent des intérêts particuliers à l'instar des lois, directives et décrets de la dérégulation de la finance, de la casse du droit du travail, de la baisse des cotisations sociales qui sont le revenu indirect des travailleurs, du versement de plus 40 milliards d'euros au titre du CICE aux entreprises du CAC 40, de la banalisation du travail dominical, de la privatisation de monopoles publics, de l'opacité du secteur financier, des réformes des retraites, ou de la destruction progressive de la sécurité sociale.
Aussi, nul doute que le peuple abandonnera ses savates pour délivrer de fatals coups de tatanes à ce système qui favorise la misère sociale et qui protège ces oligarques pantouflards.
Note
[1] Villeroy de Galhau ou l'omnipotence de la finance sous Hollande