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Ça y est : on peut être condamné pour avoir consulté de sites terroristes

Publié le 18 août 2016 par H16

Mal écrites, inadaptées au monde contemporain, obsolète déjà au moment de leur écriture et de leur vote, certaines lois restent lettres mortes et ne sont jamais appliquées. D’autres, en revanche, ont à peine le temps de sécher sur les feuilles du Journal Officiel qu’elles sont déjà en application, avec zèle. C’est le cas pour la loi rendant délictueuse la consultation de sites prônant le terrorisme.

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L’idée générale de cette loi est, comme souvent du point de vue gouvernemental, à la fois simple, pratique et, du point de vue du citoyen, extrêmement dangereuse : il s’agit de punir de façon sévère (emprisonnement, amende élevée) le fait de consulter régulièrement des sites internet qui incitent directement au terrorisme ou qui en font l’apologie. Le parcours de cette idée est au moins aussi intéressant que la loi qui aura été votée récemment (en mai) dans le cadre de la Réforme Pénale.

En effet, cette idée, incarnée dans une loi votée sous un président, un gouvernement et une assemblée de gauche, avait été proposée par un président, un gouvernement et une assemblée de droite, sous Sarkozy : en 2012 et après les attentats de Toulouse et de Montauban, le petit Nicolas souhaitait faire un délit de la consultation de sites terroristes et un projet de loi à ce sujet avait été déposé en avril de cette année. La vilaine et méchante droite de l’époque s’était heurtée à un mur de protestations, de la part de nombreux experts (dont le Conseil national du numérique et des magistrats antiterroristes) qui estimaient la proposition dangereuse voire impossible à mettre en application. On se rappellera ainsi que le Conseil Constitutionnel de l’époque avait estimé cette mesure « sans précédent ni équivalent » et risquait d’embastiller des individus qui n’auraient commis ou tenté de commettre aucun acte délictueux. En outre, ce même Conseil estimait que ce nouveau délit portait une atteinte ni nécessaire, ni proportionnée, à la liberté de communication.

Bref : c’était une proposition de loi vraiment pas assez bisou pour notre Grande & Belle République.

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Rassurez-vous. Tout ceci changera promptement quelques années après. En mai dernier, la gauche au pouvoir n’aura pas à subir cette levée de boucliers. L’opinion publique, durablement choquée par les attentats de 2015, et savamment travaillée au corps par une presse analytique, pondérée et, en un mot, irréprochable, ne trouvera rien à redire lorsque cette même idée trouvera sa place dans la Réforme pénale et sera votée sans souci. De façon commode, le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi sur cette nouvelle loi, et n’a donc pas émis le moindre avis. Par souci d’honnêteté, gageons qu’il sera cohérent et l’étrillera donc comme en 2012…

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En attendant, la loi existe donc et n’a guère attendu d’être appliquée : lundi 8 août, un homme a été condamné à deux ans de prison ferme par le tribunal correctionnel de Chartres pour avoir consulté, de façon répétée, des sites incitant à commettre des actes terroristes.

N’ayant pas connaissance du dossier complet, il est bien évidemment délicat de se faire une idée précise de la justesse de la condamnation. Cependant, à la lecture des quelques articles consacrés à cette affaire, on comprend assez vite que l’individu n’en était déjà plus à la simple consultation (répétée et régulière) de sites sulfureux. D’autres éléments semblent montrer qu’il préparait de façon plutôt active un attentat sur la Tour Montparnasse, par exemple.

Il n’en reste pas moins que les charges retenues concernent bien cette consultation régulière de sites prônant le terrorisme et non la préparation d’attentats, et tout comme le Conseil constitutionnel qui estimait dès 2012 que cette loi puait un peu du bec, tout libéral un tant soit peu lucide se doit de prendre avec les plus grandes pincettes ce genre de nouvelles. Si on peut peut-être se réjouir qu’un éventuel terroriste en herbe a été arrêté avant de perpétrer un acte horrible, on doit aussi rester vigilant à ne pas sombrer dans un univers à la Minority Report dont on voit assez bien les inconvénients et assez mal les avantages.

En effet, en se cantonnant aux chefs d’inculpations, la situation actuelle revient à pousser un individu dans une prison pour un acte qui tient de l’usage de la liberté de communication et d’expression. Fondamentalement, c’est gênant notamment par l’arbitraire même de la définition de site terroriste, laissée peu ou prou à l’appréciation du législateur qui a largement prouvé son côté cyclothymique.

Pragmatiquement, la sentence étant de deux ans, on donne deux années (disons une derrière les barreaux, selon toute vraisemblance) à cet individu pour faire les meilleures fréquentations au sein de nos prisons françaises réputées pour leur capacité à adoucir les mœurs des détenus.

Accessoirement, on va accroître un peu plus la pression carcérale pour un type qui n’est effectivement pas encore passé à l’acte. On a d’ailleurs mobilisé la justice pour lui alors que, parallèlement, on a bien du mal à assurer l’ordre et la paix partout ailleurs (encore une fois, difficile de ne pas noter qu’on semble préférer choper du menu fretin facile plutôt que des gros poissons qui, eux, font des dégâts mais nécessitent plus de méthodes, plus de travail et plus de temps de la part des forces opérationnelles).

Mais surtout, on se prive d’une entrée dans les réseaux djihadistes qui alimentaient cet ahuri : en pistant cet individu, on aurait pu éventuellement remonter à ses petits camarades « de lutte ». À défaut, on imaginera charitablement que ce dernier argument a été soigneusement évalué par les services compétents et que l’incarcération de notre apprenti-terroriste n’a pas obéré les multiples enquêtes certainement en cours sur ses aimables relations. Les performances récentes de nos services de renseignement et du gouvernement laissent cependant planer un petit doute…

En tout cas, tenez-le vous pour dit : consulter un site terroriste est donc maintenant passible de prison. Comme la définition de « site terroriste » est éminemment sujette à changement lorsque le gouvernement le juge bon, ce site (comme beaucoup d’autres libéraux, libertariens ou anarcho-capitalistes, et prônant le « moins d’État ») pourra être facilement reclassé terroriste lorsque le moment sera propice. Amies lectrices, amis lecteurs, faites attention : venir ici, lire voire participer aux débats et commentaires sur cette page pourra peut-être vous valoir, un jour futur, un passage par les geôles françaises.

Jamais la subversion n’aura parue plus triviale.

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