Le covoiturage est l'occasion de partager davantage que les frais de déplacement, mais aussi un moment avec d'autres personnes de milieux et d'origines différents. C'est une façon de voyager, ouverte sur le monde. C'était mon mode de déplacement privilégié en période estivale, jusqu'à ce que…
Le fameux site BlaBlaCar met en relation conducteurs et passagers. Grâce à ce site simple et agréable d'usage, j'ai eu l'occasion de partager plusieurs trajets, pour toutes sortes de destinations, courtes ou longues, en France aussi bien qu'à l'étranger. Car ce site, initialement français, existe désormais dans une vingtaine de pays, permettant de voyager en Europe, mais aussi au Brésil et en Inde.
Il est même possible de réserver pour un tiers, enfant, neveu ou ami. C'est une bonne façon de faire connaître le site et d'initier au covoiturage. C'est donc ce que je fais pour un ami. Une fois la réservation effectuée en ligne, et donc prépayée, les coordonnées du conducteur me sont communiquées et je peux l'appeler pour préciser l'heure et le lieu de rendez-vous du départ. Celui-ci est un habitué qui est positivement apprécié de ses passagers.
Pas d'étranger à bord
Au téléphone, il se ravise soudain, au motif qu'il ne prend pas d'étranger à bord. Je reste un instant sans voix, sans comprendre le sens de sa phrase, ni le rapport avec notre conversation. Puis je tilte : xénophobie.
Fantasmant sur la base d'un prénom peu traditionnel, pas strictement franco-français et peut-être aussi parce qu'une frontière est approchée sur le trajet qu'il propose, il cède à la peur de l'autre. Sans doute imagine-t-il être confronté au flux des migrants, avoir affaire à quelque passager clandestin, à quelque potentiel violeur de « nos » femmes blanches, ou pire, à un terroriste de retour de camp d'entrainement au Jihad. Car il enchaîne : « Non, je préfère pas. Avec tout ce qui se passe en France en ce moment, vous savez ma p'tite dame, je… » et déroule la litanie des arguments superficiels et autres superstitions xénophobes qu'alimentent nos chaînes d'infos, terrorisant mes concitoyens. La crise migratoire ne passera pas par lui. Il n'en sera pas complice. Pas de passager clandestin. Pas de risque terroriste. Lui est un bon français. Son ton paternaliste, de quinqua qui croit édifier l'oiselle que me découvre être pour lui, achève de m'écœurer et me tire de ma stupeur. Je le coupe net, remercie ironiquement son ouverture d'esprit et lui raccroche au nez. Non, je ne veux pas entendre ses inepties. Ce n'est pas bon pour le moral.
Eurk ! Envie de me décaper les oreilles et le cerveau au savon noir. Je reste abasourdie par sa franchise, par sa xénophobie qui se dit sans détour, explicitement. Comment ça, pas d'étranger à bord ? Existe-t-il un macaron à coller sur le pare-brise pour le signifier ? Ce picto m'aurait-il échappé en ligne ?
Le conducteur, seul maître à bord
De retour sur le site, je m'étonne de ne pas trouver le moyen de signaler l'inconvenance d'un membre. Son comportement est effectivement contraire à la charte de bonne conduite de BlaBlaCar, qui invite à être « prévenant et accueillant ». Y souscrire engage à adopter « les valeurs du covoiturage : tolérance, respect, partage et convivialité. »
J'interpelle donc BlaBlaCar, via le tchat en ligne, où l'un des helpers me rappelle, après avoir mis en doute mon appréciation de la situation, où il ne voit ni racisme ni xénophobie [*], que le conducteur est seul maître à bord. Mon interlocuteur semble oublier que la loi française condamne « toute discrimination fondée sur l'appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion. » Je crains soudain que, au delà d'un manque de discernement, celui-ci ne partage l'opinion du conducteur. BlaBlaCar serait-il complice de la xénophobie de ses membres ?
Que le conducteur conserve son libre choix, soit. C'est un principe légitime, qui n'est pas à remettre en question. Mais que BlaBlaCar cautionne tacitement l'argument discriminant en n'y voyant pas offense d'une part, ni ne donnant moyen de s'en plaindre d'autre part, me choque, en plus d'être contraire aux valeurs que ce site prétend partager. Mais surtout, en ne permettant pas de signaler les comportements discriminants et/ou délictueux, BlaBlaCar les favorise.
Que fait BlaBlaCar contre les discriminations ?
Car cette situation n'est pas sans précédent. L'islamophobie d'un conducteur a laissé une adolescente sur le bord de la route, faisant réagir l'association SOS Racisme en 2015. Que fait BlaBlaCar pour éviter cela ? Pas grand chose !
L'expérience est hautement désagréable pour l'utilisatrice que je suis. Pour améliorer l'UX, je suggère donc à BlaBlaCar que la préférence nationale soit indiquée sur le profil du conducteur, parmi les autres préférences, de la même façon que chacun·e indique s'il préfère parler un peu, beaucoup ou passionnément. Bref, qu'il soit possible d'indiquer si l'on supporte la présence d'un étranger dans la voiture comme c'est déjà le cas d'un fumeur ou d'un animal de compagnie. Cela améliorerait l'expérience sur le site, en aidant les passagers à mieux choisir, leur évitant de perdre leur temps à essuyer des refus désagréables. Et pourquoi pas de jolis pictos aux couleurs de chaque pays ? Quant à moi, je veux mon macaron « I talk to strangers » !
Trêve de plaisanterie. BlaBlaCar a déjà pris position, sur une autre forme de violence, celle sexiste, elle aussi condamnée, en proposant une offre dédiée « entre femmes ». Si l'on suit cette logique, BlaBlaCar devrait proposer une offre dédiée « entre étrangers » afin de les mettre en confiance en leur évitant le risque xénophobe. De la même façon que « certaines femmes se sentent plus à l'aise avec d'autres femmes » je me sens plus à l'aise avec des personnes accueillantes et ouvertes sur le monde et je préfère la compagnie exclusive d'étrangers, plutôt que de contrevenants nationalistes xénophobes.
Cette façon qu'à BlaBlaCar de ghettoïser les potentielles victimes ne risque pas de modifier les comportements sexistes ni xénophobes, et laisse la porte ouverte à toute discrimination.
Au contraire, je demande à BlaBlaCar, à la suite de SOS Racisme, d'introduire une clause de non discrimination et de permettre le signalement des comportements contrevenants. Au-delà du caractère légal, il en va de l'image de marque du site BlaBlaCar. Ce dernier prétend promouvoir “une pratique qui promeut les échanges entre personnes de milieux et d'origines différents”. Cet exemple prouve qu'il n'en est rien puisque, selon eux, le conducteur conserve son libre choix. En n'agissant pas concrètement contre ce genre de comportement BlaBlaCar ne fera que renforcer ce genre de pratiques contraire à l'éthique qu'ils mettent en avant
, estime l'association. Je plussoie.
[*] Il n'y a effectivement pas racisme dans la situation dont je témoigne ici, mais bien xénophobie. La xénophobie, qui signifie littéralement « peur de l'autre », désigne la haine des étrangers quelque soit leur origine, tandis que le racisme présuppose qu'il existe différentes races humaines et que certaines sont supérieures aux autres.