Photo Lionel Bonaventure/AFP
L’historien Alain Ruscio, spécialiste du colonialisme, considère que le candidat Nicolas Sarkozy renoue dans ses dernières propositions avec les « vieux démons de la droite d’avant 1944 ».
Avec ces dernières propositions identitaires, Nicolas Sarkozy rompt-il avec les fondamentaux de la République française ? Alain Ruscio : Il y a eu plusieurs républiques en France. Elles n’ont pas toujours rimé avec démocratie. Il y a eu les répressions coloniales, les mises à l’index des minorités, la chasse aux italiens… Mais Sarkozy rompt avec le minimum républicain de la Ve République pour revenir aux vieux démons de la droite d’avant 1944, pour faire revenir à lui un électorat d’extrême droite, pour hystériser la question identitaire et une islamophobie rampante qui est en train de devenir une véritable maladie de la société française. Selon l’ancien président de la République, l’Etat de droit est évolutif… Alain Ruscio : Le droit est évolutif, oui. Mais une évolution peut constituer une progression comme une régression, et en l’occurrence il s’agit chez Sarkozy d’une régression. Il y a par exemple cinq millions de musulmans en France et une très importante communauté juive. Si le programme de Sarkozy était appliqué, avec la fin des repas scolaires de substitution, les enfants musulmans et juifs pourraient être amenés à ne plus manger avec leurs camarades et leurs copains de classe. Ils seraient exclus d’un temps scolaire, d’un temps de vie, au nom d’une laïcité fermée et dévoyée. C’est d’une violence inouïe. Tout cela ne vise qu’à agrandir la fracture de la société française, jusqu’à la rendre infranchissable. Nicolas Sarkozy veut créer une cour de sûreté anti-terroriste comme celle mise en place par de Gaulle pendant la guerre d’Algérie contre l’OAS… Alain Ruscio : Il s’agissait d’une justice d’exception, présidée par un fidèle du pouvoir en place, par un juge adhoc. La comparaison est très surprenante. D’une part, les enjeux sont différents. D’autre part, que Sarkozy regarde son entourage. Même si Patrick Buisson n’est plus là, il y a parmi ses fidèles des idéologues du retour à l’esprit colonial, de Eric Ciotti à Christian Estrosi. Il y a des nostalgiques, des exaltés de l’Algérie française et de l’OAS. Lionnel Luca, le maire de Villeneuve-Loubet (PACA), qui a pris un arrêté anti Burkini sur les plages de sa commune, avait été l’un des fers de lance de la loi sur les aspects positifs de la colonisation. Il y a là-dedans tout un magma identitaire nauséabond et empuanti. Peut-on parler de dérive maurassienne ? Alain Ruscio : Je ne sais pas si c’est une dérive à la Maurras ou à la Barrès, mais il y a derrière cette attaque contre le droit du sol et contre l’immigration cette vieille rengaine conservatrice selon laquelle la terre ne mentirait pas, comme l’avait repris Pétain. Ce discours défend qu’il y aurait une identité immuable et intemporelle, très fermée, et que ceux qui ne se coulent pas dedans sont en fait des « anti-France ».