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Je ne commencerai pas cette chronique en rappelant que Blick Bassy est un très grand artiste musicien camerounais. Très belle musique, sophistiquée, sensible, l’homme a une très belle voix et le personnage à prime abord est excentrique et à la fois réservé. C’est l’impression qu’il m’avait laissé à l’occasion des dix ans de la collection Continents noirs de Gallimard. Je ne dirai pas non plus que lors d’une danse des mots exécutée avec Yvan Amar et Ralphanie Mwana Kongo, nous avions eu droit à un intermède musical de … Blick Bassy.
Je signalerai toutefois mon intérêt immédiat quand j’ai pris connaissance de la parution de ce roman Le Moabi Cinéma. Pour ce qui concerne ma chronique littéraire, je commencerai par dire que Blick Bassy est avant tout un artiste, un créateur. Parlons tout d’abord de ce qui m’a emballé. L’histoire. Le Moabi Cinéma est un roman dont la trame se déroule à Yaoundé, capitale de ce grand pays d’Afrique centrale. A Essos, en particulier. Boum Biboum, dit « Mingri » appartient à la bourgeoisie locale. Son père est commissaire de police, polygame et ils ne font pas partie de cette Afrique que l’on plaint. Il a des frères, des soeurs, des grands parents… Boum BiBoum fait surtout partie d’une bande de cinq jeunes adultes. Google+ le génie, Simonobissick le dur à cuir, Rigo le footballeur addict, Obama l'homonyme de quelqu'un, Yap le godfather, qui exerce le pouvoir de la force sur ce beau monde. C’est une bande de gais lurons qui se retrouve régulièrement chez Molo l’Infalsifiable, le bar où ils prennent régulièrement une pinte de bière. Soyons précis, une descente de bière. On boit au goulot là-bas, pas à la pinte. Ces jeunes gens ont tous le baccalauréat et se sont tentés pour nombre d’entre eux, le temps d’une saison, aux études universitaires. Boum Biboum a loupé le coche d’aller faire ses études à l’étranger par un funeste sentiment de solidarité avec ses potes de jeu et de combat.
A la longue, en raison d’un pays dont l’horizon ressemble aux environs de Zurich, ville cernée par de hautes montagnes, sans opportunités sur place, cette bande finit par être le réceptacle des discours des mbenguistes (entendez par là ceux qui à habitent Mbeng, en France et par extension en Europe occidentale). A force de discours, partir est la seule issue. Seulement, l’obtention des visas se faire. Roman sur l’immobilisme, l’attente et la désespérance de la jeunesse africaine, Le Moabi Cinéma est un texte porté par l’humour de Blick Bassy, un talent certain d’écrivain qui ne force pas sa nature. C’est d’ailleurs étonnant puisque le musicien qu’il est ne chante qu’en bassa, langue du centre du Cameroun. En plus la bande de jeunes n’est pas souvent traitée en littérature africaine. Cela étant, qu’est-ce qui caractérise ce roman et le différencie d’autres auteurs qui pataugent dans ce sujet consternant? Le Moabi cinéma.
Je vous l’ai dit, Blick Bassy est un artiste pur. Il nous monte de toute pièce une situation ubuesque qui permet pourtant de pousser la réflexion. Boum BiBoum tombe par hasard sur un moabi particulier dans la forêt qui jouxte la capitale camerounais. Un maori géant dans lequel sont incrustés des écrans géants qui diffusent des images inédites du monde, de l'Occident, des images brutes de décoffrage. C’est une révélation pour Mingri qui est prêt à tout pour comprendre le phénomène et l’exploiter...
Que feraient parents, amis, aventuriers s’ils leur étaient donnés de découvrir l’envers du décor, l’imposture des mbenguistes ou des « parisiens » ? C’est la question principale que Blick Bassy pose. Le roman souffre de quelques incohérences chronologiques. Il serait malhonnête de ne pas le dire, mais en terminant ce roman, la chute est particulièrement douloureuse, je pense que cela ne nuit pas à l’intelligence du projet.
Un dernier mot. L’auteur a un regard extrêmement critique vis-à-vis de certaines approches du christianisme en Afrique centrale. Il la met en scène d’ailleurs de manière particulièrement violente. Comme si les croyances protestantes portaient l’essentiel de la désespérance de la jeunesse camerounaise. Par contre, Blick Bassy semble manifestement indulgent vis-à-vis du système politique qui tient ce pays depuis les indépendances. Le sacrifice d’un individu ne provoque que quelques larmes avant que les gens continuent le show et la vie. Une société civile très amorphe et peut être fataliste.
Blick Bassy, Le Moabi cinéma
Editions Gallimard, Collections Continents noirs
Crédit Photo Helie/Gallimard