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Olympe en burkini

Publié le 26 août 2016 par Tetue @tetue

J'entendais ce matin un homme politique français dire que la France est le pays de la libération de la femme. C'est le pays qui a inventé la minijupe, c'est le pays des féministes.

Comment peut-on oser prétendre défendre les femmes, quand on expose tant d'ignorance, en si peu de mots, de quoi m'étrangler dans mon café ? Pourquoi le journaliste qui le reçoit, laisse dire, sans rectifier ? Rappelons-leur un peu notre histoire...

Pays des droits de l'homme

La France, pays des féministes ? Le mot naît effectivement en France. Mais la première philosophe féministe est l'anglaise Mary Wollstonecraft, bien avant Simone de Beauvoir, laquelle est bien plus lue à l'étranger qu'en France, où son Deuxième Sexe fut violemment attaqué. Pas spécialement française, la première vague du féminisme emerge dans plusieurs pays occidentaux. C'est en Allemagne que naît un mouvement international des femmes, sous l'impulsion de la journaliste Clara Zetkin. C'est au Royaume-Uni que la revendication pour le droit de vote est la plus virulente, les suffragettes inquiétant le pouvoir dès 1889. Comparativement à celles étrangères, la mobilisation française reste faible.

La France, pays de libération des femmes ? Il faut attendre un siècle encore avant que la France daigne accorder le droit de vote aux femmes, après l'Espagne, la Turquie, la Birmanie ou même l'Ouzbékistan. Même aujourd'hui, les femmes sont mieux représentées au parlement au Soudan, en Irak et en Afghanistan qu'en France, laquelle vient de rétrograder de la 36e à la 60e place. Notre pays se distingue surtout par ses retards en matière d'égalité.

Bref, la France, qui plus est dans la bouche d'un politique, n'a pas de leçon de féminisme à donner. Hey mec, un peu de pudeur et de discrétion, s'il te plaît !

Car la France reste avant tout le pays des " droits de l'homme ", non pas humains, comme ailleurs dans le Monde, au motif que l'Homme, avec son grand H, représenterait l'humanité, dans cette langue artificiellement regenrée, au 17e siècle, afin que le masculin l'emporte sur le féminin, par une institution dédiée, l'Académie française, vestige misogyne, qui sévit toujours. Conserver cette appellation historique ne cesse de rappeler, à celles qui l'oublieraient, que la " déclaration des droits de l'homme et du citoyen ", dont la France reste si fière, ne s'appliquait volontairement qu'aux hommes, l'Assemblée Nationale de 1789 estimant que les femmes ne méritaient pas de droits, avant de guillotiner celles qui, comme Olympe de Gouge, osèrent en réclamer. Dans un pays si conservateur, les féministes françaises font ce qu'elles peuvent et rament beaucoup.

Quant à la minijupe je m'étonnerai toujours qu'elle soit associée à la " libération de la femme ". Culturellement, c'est du même niveau que la récupération publicitaire du slogan " Moulinex libère la femme " pour vendre des robots de cuisine. De la part d'un homme politique, c'est bas. Et tellement stéréotypé ! D'où vient l'idée que plus la femme se dénude, plus elle s'émancipe ? D'une autre campagne de pub, celle qui fit enlever le bas à Myriam ? Libération pour qui ? Puisque c'est à ses yeux assez important pour qu'il en parle, notons que la minijupe libère moins la femme que ses cuisses et manifestement le désir masculin d'y accéder. Au passage, ce n'est pas l'invention française qu'il prétend, puisque créée par la styliste anglaise Mary Quant pour son fameux modèle Twiggy, avant d'être certes popularisée en France par le couturier Courrèges quelques années plus tard (encore un cas où l'histoire efface la femme pour ne retenir que l'homme). Mais dans le fantasme nombriliste de cet homme, la France semble avoir tout inventé.

Quand j'entends telle déclaration, j'entends surtout que la France est le pays des hommes arrogants et des politiques ignorants. Tais-toi, s'il te plaît tais-toi, tu nous fais honte. Mais très certainement ne fait-il que se mettre au niveau d'ignorance de mes concitoyens, pour les brosser dans le sens du poil, profitant du micro pour attirer à lui un électorat indigent. Mais pourquoi le journaliste ne le confronte-t-il pas à ses erreurs et contradictions ?

Françaises, déshabillez-vous !

Dans sa vision, la femme libérée est donc court vêtue. Tandis que l'autre reste voilée ? Car c'est bien de cela qu'il s'indigne : il soutient les arrêtés municipaux de cet été qui interdisent aux femmes d'aller couvertes sur la plage. C'est ainsi qu'à Cannes les femmes sont désormais sommées de se dénuder, alors qu'en 1918, semblable arrêté leur imposait de se vêtir d'un costume de bain complet [...] blouse et pantalon pour les dames, autrement dit de ce qu'on appelle aujourd'hui un " burkini ", néologisme formé de la contraction de " burqa " et " bikini ".

Oui, aussi incroyable que cela puisse paraître, en plein état d'urgence, bien qu'ils pérorent que nous sommes en guerre, les hommes politiques français n'ont rien de mieux à faire que de se mêler de la tenue de plage des françaises ! La hausse du chômage ou la dette écologique les préoccupe moins que le fait que les corps de toutes les citoyennes ne s'offrent pas au regard.

Tant et si bien que certaines sont aujourd'hui verbalisées pour le port d'un simple foulard. D'autres sont contraintes de se dévêtir en public. Comment peut-on dénoncer le voile comme moyen d'oppression des femmes [...] et dans le même temps, les violenter dans l'espace public à cause de lui ? s'indignent les féministes efFRONTé-e-s.

Pendant ce temps là, le Canada autorise le port du voile dans sa police, en Australie, le voile islamique devient " corporate ", tandis qu'en Angleterre, l'animatrice vedette Nigella Lawson, se baigne en burkini, non par pudeur religieuse, puisqu'elle est athée, mais pour se protéger du soleil. À travers le monde, bien des femmes, parce qu'elles sont pudiques, croyantes, complexées ou malades, retrouvent le plaisir de nager grâce à ce maillot de bain couvrant commercialisé depuis quelques années, que la France voudrait leur interdire. De quel droit ?

Cessez de nous dire comment nous devons nous habiller !

Encore une fois, dans ce pays assombri, la lumière vient d'ailleurs : le maire de Londres, de passage hier à Paris, rappelle que " personne ne devrait dicter aux femmes ce qu'elles doivent porter. Un point c'est tout. C'est aussi simple que cela. " Oui, fichez-nous la paix !

Puisque nous sommes dans la garde-robe féminine et les rappels historiques, n'oublions pas que le port du pantalon n'est accordé aux françaises que depuis 3 ans seulement. Que certaines furent internées en asile psychiatrique pour avoir osé en porter. Qu'en France, des adolescentes sont exclues des cours en raison de leur tenue, qu'il s'agisse d'un foulard ou de cheveux bleus.

Celui qui s'exprimait ainsi ce matin était un député régional, mais aurait pu être n'importe quel homme politique français, tant ceux-ci l'ouvrent à tort et à travers, aveuglés qu'ils sont par la menace terroriste, dont il finissent par faire le jeu, jusqu'à l'ancien président Sarkozy qui souhaite légiférer sur la tenue des femmes " sur tout le territoire de la République ", lui qui n'hésite pas à voiler son épouse quand il s'agit d'aller négocier des contrats juteux à l'étranger. Dans leur hystérie, ils occultent qu'un pays qui interdit un vêtement ne fait pas mieux que celui qui l'impose.

Olympe en burkini
Men : Stop telling women what to wearCaricature d'Ann Telnaes du Washington Post : " Hey les mecs, arrêtez de nous dire comment nous devons nous habiller ! "

Outre la surenchère dans le ridicule qui donne matière à moquerie de la part de la presse étrangère, ils ont en commun de parler à la place des personnes concernées. Et c'est ce qu'il y a de pire. Ces hommes-là, des élus, sensés nous représenter, voilent notre parole de leurs discours. Eux savoir. Eux décider. Pour nous. Malgré nous. Pour notre bien. Comme les talibans qu'ils prétendent dénoncer.

Les femmes politiques qui se rebiffent sont rappelées à l'ordre, comme de mauvaises élèves, infantilisées, par le premier ministre lui-même. Nous sommes au pays des droits de l'homme, rappelez-vous. Les femmes n'y ont pas leur mot à dire. Les concernées sont inaudibles. Et les féministes instrumentalisées.

Les féministes défendent la liberté de choisir

Qu'on ne s'y trompe pas, le féminisme convoqué ici en guise d'argument n'est qu'un prétexte opportuniste. Parce qu'il y a tout de suite moins de monde pour s'indigner des femmes violées plutôt que des femmes voilées ! Surtout si elles portent une minijupe, n'est-ce pas ? L'argument féministe est instrumentalisé par le pouvoir pour camoufler ce qui n'est autre que son islamophobie. Mais ne nous trompons pas d'ennemi.

Au contraire de ce que tentent de leur faire dire les hommes au pouvoir, pour les féministes, l'interdiction est pire que le voile. Les féministes défendent la liberté de choisir. Pour chaque femme. De porter une minijupe ou un pantalon, une combi de surf ou un costume trois pièces, une boule à Z ou un foulard, des talons ou des rangers, un bikini ou un burkini si ça leur chante. Chaque femme a le droit de disposer de son corps comme elle l'entend. Personne n'a à lui dicter comment s'habiller.

Hey mec, ne t'en déplaise, le Conseil d'État vient de leur donner raison, en suspendant l'arrêté qui interdisait l'usage de la plage aux femmes selon leur tenue, au motif qu'il porte une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d'aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle.

Cependant, n'en tenant pas compte, au lieu de démissionner, notre premier ministre, comme les candidats en campagne, continuent de soutenir les élus aux arrêtés liberticides.

Et c'est Olympe qu'ils guillotinent chaque jour davantage.


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