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Malax, de Marie-Jeanne Urech

Publié le 01 septembre 2016 par Francisrichard @francisrichard
Malax, de Marie-Jeanne Urech

L'ennui naquit un jour de l'uniformité.

Antoine Houdar de la Motte

Eh bien, de l'uniformité des êtres qui peuplent Malax, le roman de Marie-Jeanne Urech, ne naît pas l'ennui. D'abord parce que derrière leur uniformité se cachent tout de même des singularités (même si cela demande quelque effort pour les mettre à nu), ensuite parce que l'imagination débordante de l'auteur est fascinante, enfin parce que, dans ce polar à nul autre pareil, l'intérêt est soutenu jusqu'au bout par des rebondissements improbables.

Le monde que décrit l'auteur n'est cependant a priori guère palpitant. C'est un monde où les employés portent le même uniforme noir pour déambuler en troupeau dans les rues de la ville: redingote et melon. Les femmes ne se distinguent des hommes que par une plume sombre piquée sur le liseré de leur chapeau: c'est la seule coquetterie autorisée. Tous ces êtres humains, habit de pingouin, âme de mouton, habitent des mitoyennes bien alignées.

Il y a des caméras de surveillance à tous les coins de rue de la ville que cernent des collines noires: 167'454 au total pour être exact, qui filment nuit et jour. La caméra n°1 a été installée face à l'hôtel de ville d'un autre siècle: Le maire estimait que toute vie passait forcément par un formulaire de naissance, de mariage, de divorce, de décès. Par conséquent, il pourrait filmer le plus grand nombre de ses concitoyens à cet endroit stratégique. 

L'électricité de la ville est fournie par le Bâtiment des Forces Générales. Cette centrale se compose de dix mille sept cents cyclistes qui se relayent vingt-quatre heures sur vingt-quatre en trois tours de huit. Et ces cyclistes, aujourd'hui en sous-effectif, d'où la survenance de pannes, chevauchent des tricycles, ne s'arrêtent jamais de pédaler, tout en s'hydratant, même pour assouvir un besoin naturel, grâce à un ingénieux système de dames pipi...

Cinq heures sonnent au clocher de l'église Rédempteur. C'est la fin du travail. Un troupeau en redingote et chapeau melon dévale l'avenue Malax. Trublion du troupeau, l'un de ces hommes redresse soudain la tête. Son visage forme une tache blanche parmi la mélasse des melons qui le bousculent. Il reste figé quelques instants sur la chaussée mouvante, s'effondre, puis disparaît au milieu de ses semblables. Pas tout à fait semblables, puisqu'il est mort.

L'inspecteur Jean est chargé de l'enquête. A l'aide des caméras de surveillance, il va remonter le temps du mort inconnu, à la seconde près, parcourir en sens inverse le trajet qu'il a suivi avant de tirer sa révérence, finir par l'identifier et par déterminer s'il s'agit d'une mort naturelle ou d'un meurtre. Parallèlement à l'enquête se déroule une vie personnelle qu'il semble considérer avec beaucoup de détachement, mais c'est le masque d'un coeur tendre.

A la faveur de cette reconstitution des faits, le lecteur fait plus ample connaissance avec la ville et avec son univers. Peut-être satire de l'époque actuelle, en même temps que préfiguration de ce qu'elle deviendra, le récit les dépeint en termes cliniques, l'auteur ne se privant pas de jongler avec les mots, suscitant le sourire, voire le rire du lecteur, mais l'un et l'autre dans un registre plutôt grinçant que vraiment désopilant.

Francis Richard

Malax, Marie-Jeanne Urech, 112 pages Hélice Hélas

Livres précédents à L'Aire:

L'ordonnance respectueuse du vide (2015)

Le train de sucre (2012)


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